Chapitre 45 : Un jour pour souffler
J’ouvre les yeux lentement, un sourire léger étirant mes lèvres malgré la lourdeur qui persiste dans mes membres. La nuit a été un refuge, un cocon tissé par la présence de Gabi, et pour la première fois depuis des jours, je me sens reposée, presque bien. Mais au fond, ça remue encore – Marc, Vincent, cette soirée qui tourne en boucle dans ma tête comme un film que je ne peux pas arrêter. Je me redresse, passe une main dans mes cheveux emmêlés, et écoute le bruit familier qui vient de la cuisine : Gabi qui fredonne un air quelconque, entrecoupé par le cliquetis d’une cuillère contre une tasse.
Je glisse hors du lit, mes pieds nus frôlant le parquet tiède, et je la trouve là, en pyjama rayé, ses cheveux blonds relevés en un chignon désordonné. Elle remue un café, deux mugs fumants posés sur le comptoir, et me jette un regard par-dessus son épaule, un sourire en coin aux lèvres.
— T’as une tête de zombie, mais ça va mieux qu’hier, dit-elle, sa voix taquine mais douce.
Je ris doucement, un son rauque qui me surprend moi-même, et je hoche la tête.
— Ouais… grâce à toi.
Elle hausse les épaules, comme si c’était rien, et me tend un mug, ses doigts frôlant les miens dans un contact fugace qui me réchauffe plus que le café.
— Aujourd’hui, on bouge pas, annonce-t-elle, s’appuyant contre le comptoir. Netflix, conneries, et on reste au lit. T’en as besoin, et moi, j’ai pas envie de voir ta tronche de déterrée au boulot.
Je souris plus franchement, un éclat de légèreté perçant la brume dans ma tête, et je la suis jusqu’à la chambre, les mugs en main. Elle se jette sur le lit, attrape la télécommande, et on se dispute deux minutes sur quoi regarder – elle veut "Brooklyn Nine-Nine", je penche pour "The Good Place". Elle gagne, comme toujours, et on s’installe sous une couverture, des chips éventées sur les genoux, les rires de Jake Peralta remplissant la pièce.
La journée s’étire dans une bulle douce, entre éclats de rire devant les blagues débiles de la série et commentaires idiots qu’on se lance sans réfléchir. Gabi est à côté de moi, nos épaules se frôlant sous la couverture, et je sens son odeur familière – un mélange de shampoing à la vanille et de thé – qui m’enveloppe comme un refuge. Mes tracas sont là, tapis dans un coin de ma tête, mais ils s’effacent un peu, dilués par sa présence, par ce moment où je peux juste être.
Vers l’après-midi, pendant un épisode où Boyle fait une tirade sur la nourriture, mon téléphone vibre sur la table de nuit. Je tends la main sans réfléchir, mes doigts hésitant au-dessus de l’écran avant de le saisir. Le nom de Marc s’affiche, et mon cœur bondit, une vieille habitude remontant à la surface.
-Ce soir, 20h, Le Mirage. Sois là.
C’est un ordre, comme toujours, donné avec cette assurance froide qui ne doute jamais de ma réponse. Je fixe les mots, mon pouce suspendu au-dessus du clavier, et une vague de chaleur monte dans ma poitrine – pas de l’excitation, cette fois, mais un mélange de fatigue et de quelque chose qui ressemble à du défi. Gabi tourne la tête, remarque mon silence, et ses yeux glissent sur l’écran.
— Lui ? demande-t-elle, son ton neutre mais ses sourcils légèrement froncés.
Je hoche la tête, pose le téléphone sur mes genoux sans répondre, et elle me fixe un instant, un sourire en coin naissant sur ses lèvres.
— Bien joué, murmure-t-elle, une lueur de fierté dans ses yeux verts.
Je prends une inspiration, et le repose sur la table, un geste simple mais lourd, comme si j’éteignais une partie de moi. On reprend la série, mais quelques minutes plus tard, le téléphone vibre à nouveau, encore et encore – une série de messages qui s’empilent. Je jette un œil malgré moi.
-Réponds.
- T’es où ?
- Tu fais quoi ?
Chaque mot claque comme un ordre, une insistance qui me noue le ventre, mais je ferme les yeux, prends une profonde inspiration, et appuie sur le bouton d’arrêt. L’écran s’éteint, un silence soudain tombant entre nous, et je sens le regard de Gabi sur moi.
— T’es sérieuse ? dit-elle, son sourire s’élargissant. Putain, Cloé, je suis fière de toi.
Je ris, un peu tremblante, et hausse les épaules, me blottissant plus près d’elle sous la couverture.
— Faut bien que je respire un peu, non ?
Elle acquiesce, passe un bras autour de mes épaules, et on continue à regarder, les heures s’écoulant dans une douce torpeur. On parle de tout et de rien – des blagues de la série, de son collègue relou au boulot, de ce qu’on pourrait commander à manger. Sa main repose sur mon épaule, ses doigts frôlant ma peau par moments, et je sens une chaleur grandir en moi, différente, plus douce que celle que je connais avec lui.
Vers la fin de l’après-midi, alors qu’un épisode touche à sa fin, nos rires s’éteignent doucement, et un silence confortable s’installe. Je tourne la tête vers elle, croise son regard – ses yeux verts brillent dans la lumière tamisée, un éclat tendre et curieux qui me fige. Nos visages sont proches, trop proches, et je sens sa main glisser de mon épaule à mon bras, un frôlement léger qui fait battre mon cœur plus vite. Sans réfléchir, je me penche, mes lèvres effleurant les siennes, et elle répond, un baiser spontané, doux, délicat, qui dure quelques secondes – ses lèvres chaudes contre les miennes, un goût de sel et de café, une tendresse qui me coupe le souffle.
Je m’écarte doucement, mes yeux plongés dans les siens, et une vague d’émotion me submerge, mes joues brûlant alors que je murmure, hésitante, la voix tremblante :
— J’ai… J’ai besoin de faire un point.
Elle me regarde, un sourire léger aux lèvres, ses doigts frôlant encore mon bras, et elle hoche la tête, comprenant sans insister.
— Prends ton temps, Cloé, dit-elle, sa voix douce mais teintée d’une pointe d’humour. Je bouge pas d’ici, t’as pas à t’inquiéter.
Je ris, un son léger qui chasse la tension, et je repose ma tête contre son épaule, nos corps proches sous la couverture, un sourire partagé flottant entre nous. La série reprend, les rires absurdes de l’écran remplissant la pièce, et pour un instant, tout semble simple, léger, suspendu – même si je sais, au fond, que ce n’est qu’une pause avant la tempête.
Commentaires
Annotations
Versions