VII
Au téléphone
— Jacques, enfin ! Il était temps, je commençais à m’inquiéter, comment ça va ?
— Bien, et vous, commandante, cette formation ? Vous êtes partie si vite, on se demandait ce qu’il se passait…
— Il y a trois mois j’ai fait une demande de formation complémentaire et la semaine dernière, Lechat m’a proposé une prépa à l’entrée à l’ENSP pour devenir commissaire. Ça ne se refuse pas, je devais commencer lundi à Lyon. Lorsque j’ai appris que j’étais remplacée durant les deux mois de la formation par une certaine Capitaine Liliane Adache venue de la brigade criminelle, j’ai voulu en savoir plus sur elle, mais je n’ai rien trouvé.
— Comment ça, rien ?
— Non rien ! Pas d’affectation, pas d’état de service, absolument rien ! Alors j’ai fait appel à ton ex-cheffe, la capitaine Fleur Tiflé. Au passage, bizarre aussi celle-là… mais tu la connais mieux que moi…
— Bizarre ? Je ne crois pas, elle travaille surtout pour Interpol, mais c’est une excellente professionnelle…
— Je crois plutôt qu’elle travaille surtout pour la DGSI ! Mais peu importe, elle n’a pas pu avoir accès au dossier d’Adache et ça, c’est quand même curieux. Je crois que votre enquête concerne le meurtre d’Addit qui est parent d’un proche et influent conseiller auprès de la présidence, cette affaire sent le souffre, non ? J’ai cru comprendre que le dernier bouquin de l’écrivain concernerait la politique ! En sais-tu quelque chose ?
— Non, tout ce qui concernait ses écrits a disparu, ordinateur, téléphone, dossiers et son secrétariat a été cambriolé ; là-aussi, seul ce qui concernait son bouquin a été volé. Par ailleurs, une journaliste, Marie Zaria, qui le connaissait bien et semblait avoir des informations sur le contenu de ce livre, selon ce qu’elle m’avait laissé entendre, a été assassinée ce matin avant de me fournir ses tuyaux. Elle avait l’air de savoir quelque chose sur Adache également…
— En ce qui concerne cette dernière, ta copine Fleur va tenter d’en savoir plus par un ami et, entre-nous, je crois qu’elle y arrivera si elle travaille bien pour les services secrets. Je te tiendrai au courant. Fais bien attention à toi, cette affaire semble dangereuse pour ceux qui enquêtent ou qui sont liés, d'une façon ou d'une autre à Jacques Addit. Il a dû mettre la main dans le panier de crabe et voulu dénoncer quelque chose que les politiques ne peuvent ou ne veulent pas dévoiler... fais gaffe ! Le meurtre de la journaliste est peut-être un avertissement ! On ne parle plus de censure, là, le meurtre c’est radical pour empêcher quelqu’un de parler...
— Je ne fais que traiter cette enquête comme un meurtre classique en recherchant le coupable, je ne vais surtout pas me mêler de politique, n'ayez crainte !
— Tant mieux ! Mais ne t'en fais pas, si tu mets le nez où il ne faut pas, tu verras, vous serez dessaisis et remplacés par une équipe de Lyon ou Paris. Bon je vais dîner maintenant, passe une bonne soirée !
— Vous aussi, commandante, à bientôt.
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Bureau de la capitaine Adache
— Tout le monde est présent ce matin, c’est bien ! Voyons où nous en sommes, le directeur et le préfet tannent le commissaire Lechat, qui me répercute ce qu’ils lui disent, pour accélérer notre enquête. Nous savons tous que les meurtres de l’écrivain et de la journaliste sont liés, le problème c’est que nous manquons d’éléments pour le prouver. Lieutenant Janeau, où en êtes-vous ?
— En ce qui concerne l’affaire Addit, nous avons eu confirmation de la part de monsieur Neufvies, son éditeur, lors de sa déposition, que le livre qu’il s’apprêtait à publier était bien à caractère politique et sans doute un « brûlot ». De là à supposer qu’il puisse s’agir d’un meurtre destiné à l’empêcher de divulguer un secret d’état, il n’y a qu’un pas... que je ne franchirai pas.
— Auriez-vous des éléments propres à éliminer cette hypothèse ?
— Non, mais tout semble nous diriger vers cette conclusion et je me demande si on ne nous balade pas…
— Que voulez-vous dire ?
— Que ce soi-disant assassinat politique peut cacher autre chose.
— Par exemple… ?
— Je ne sais pas, une vengeance, un mari trompé…
— Vous pensez à cette femme brune que l’on a pas pu identifier ? Nous aurions donc un supposé mari, jaloux du supposé amant de sa femme non identifiée ! Comment comptez-vous procéder pour retrouver tout ce beau monde ?
— Je ne pensais pas nécessairement à cette femme inconnue, mais peut-être avait-il d’autres aventures et la vengeance peut également être un mobile. Je vais éplucher son dossier, on n’a pas fait de recherches dans sa vie privée… la seule chose dont on soit sûrs, ce n’est pas un crime crapuleux.
— Et votre enquête ?
— Comme je le pensais, l’immatriculation de la moto n’a rien donné, les numéros sont ceux d’une Harley qui a été accidentée il y a quatre ans et mise à la casse depuis. On l’a retrouvée et la plaque est toujours dessus, le propriétaire est dans une chaise roulante. Sur la vidéo, on distingue un homme, de dos, plutôt mince, qui paraît de petite taille, sur une Yamaha 900 XSR noire. On épluche la liste des propriétaires et également les déclarations de vols de motos. Sans résultat pour le moment.
Les étuis ramassés sur place et les balles de neuf millimètres extraites par la docteure Singh, sont en cours d’examen à la balistique aucune empreinte n’a été relevée sur les étuis. Le tireur s’est servi de sa main droite pour abattre la journaliste avant de ranger l’arme dans un sac ou une poche ventrale, on ne voit pas très bien sur les images de la vidéo, et de redémarrer immédiatement. Tout s'est passé, selon la vidéo, depuis l’arrêt de la moto devant la victime, jusqu’à son départ, en moins de treize secondes, deux secondes de plus pour voir le meurtrier disparaître dans la première rue à droite qui, malheureusement, n’est pas sous vidéo. On n'a pas pu retrouver sa trace et des agents visitent tous les garages et parkings souterrains en ce moment en interrogeant les commerçants des rues avoisinantes qui auraient pu l'apercevoir.
Madame Zaria, était morte quand les secours sont arrivés. La légiste a relevé deux blessures par balle dans la poitrine et une balle en pleine tête qui a causé sa mort, il était onze heures quarante. Elle devait déjeuner avec moi dans le restaurant Sukiyaki à midi-trente, ce jour-là, car elle disposait d’informations sur Jacques Addit, et probablement sur le livre qu’il allait publier. Il semble que mon témoignage... hem... ne soit pas suffisamment étayé, pour le juge et la proc, pour permettre de relier officiellement les deux affaires à ce stade.
— En effet, lieutenant, madame Disset et monsieur d’Arcène, sont particulièrement tatillons sur la procédure et le commissaire m’a demandé de trouver un élément concret pour les convaincre. J’ai donc demandé et obtenu une commission rogatoire pour perquisitionner chez la journaliste. J’y pars maintenant avec l’officier Erwin Chester et vous, lieutenant, vous vous rendrez à la rédaction du journal avec la lieutenant stagiaire Patricia Vineaux pour y interroger les membres et si nécessaire, les convoquer ici pour interrogatoire. Par ailleurs le fait que vous considériez que nos recherches sont menées à partir d’un raisonnement spécieux ne me semble pas idiot à première vue, mais nous allons d’abord aller jusqu’au bout afin d’éliminer cette voie, disons "politique", avant d’étudier une ou d’autres pistes. Nous en reparlerons, car en effet, la solution "politique" semble tellement évidente…
JI 05/09/23
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