Chapitre 1
Cher psy,
Vous ne me connaissez pas encore, mais vous allez devoir m’écouter. Ça tombe bien, c’est votre métier.
Je suis la femme de Jim.
Bien sûr que vous connaissez Jim, il vient vous voir depuis des années. Jim est anxieux. Jim fait des crises d’angoisses. Jim fait tout pour aller mieux.
Jim m’a ouvert les portes d’un monde que je ne connaissais pas. Un monde obscur et pas franchement joyeux. Mais vous savez, comme on dit. Pour le meilleur et pour le pire.
J’ai rencontré Jim en boîte de nuit. J’étais dans une de ces périodes de la vie où l’on est triste et désemparée, où l’on sort, sans trop y croire, où l’on rencontre des hommes, sans trop y croire, et où ils repartent le lendemain, sans qu’on y ait vraiment cru.
Jim m’est apparu dans la foule, et je n’ai plus réussi à détacher mon regard de lui. Il dansait avec un grand sourire, magnifique. Il avait ce petit air perdu, il avait l’air dans sa bulle, un grand rêveur, comme moi.
La vérité, c’est qu’il n’était pas du tout perdu, juste bourré. Ce n’était pas un grand rêveur. Ce n’était pas un « comme moi ». Mais ça, je m’en suis rendue compte trop tard. Je l’aimais déjà. Et on ne s’est plus jamais quittés.
Nos débuts ont été magnifiques. C’était joyeux, passionnel, explosif. J’en parlais à toutes mes amies. J’étais joyeuse, je me sentais intouchable. Je riais au nez de mon passé qui cherchait à me revoir. Je riais au nez de tous mes malheurs, qui me semblaient derrière moi. Je riais, tout simplement.
Jim était calme, sensible, compréhensif. Jim me donnait toute l’affection, toute l’attention qui m’avait manquée tout ce temps. J’ai compris grâce à lui que les histoires d’amour pouvaient être simple. J’ai compris à quel point j’étais loin d’avoir eu du simple dans ma vie.
C’est en partie pour ça que l’anxiété m’est apparue si difficile à accepter. C’était une tache noire dans ma vie en rose. C’était une petite tache, insignifiante au départ. Mais qui a grossi, pour diverses raisons. Et qui m’a révélé d’autres taches, que je n’ai plus réussi à ignorer.
Voilà pourquoi il faut qu’on discute, cher psy. Parce qu’aujourd’hui, Jim a disparu.
Jim est parti sans rien dire, il n'a rien laissé derrière lui. Rien, pas même un petit mot. Je pensais déjà souffrir de ses silences. Mais son absence est bien pire.
Alors oui, il a forcément laissé des indices. Il a forcément essayé de me prévenir que ça n'allait plus, qu'il n'en pouvait plus. Mais je n’ai rien vu. Ou je n’ai peut-être rien voulu voir.
C’est pour ça que j’ai besoin de votre aide, cher psy.
Parce que vous étiez son meilleur confident. Le seul devant qui il osait se montrer, lui, sans toute cette carapace qu’il se plaisait à porter.
D'ailleurs, vous savez, j’ai souvent ruminé à cause de vous. Je me demandais pourquoi il vous racontait tant à vous, et pas aux autres.
Pourquoi moi, qui passait tellement de temps avec lui, je n’avais pas le droit de le connaître aussi bien que vous. Pourquoi il ne s’ouvrait pas à moi, alors que je l’aimais envers et contre tout.
Parce que même dans nos pires moments, malgré toute la colère qu’il a pu m'inspirer, je l'ai aimé malgré tout.
Je voulais le connaître par cœur, mais je refusais de me retrouver à votre place. De jouer le psy. Parce que c’était votre métier, pas le mien. Parce que je ne pouvais ni le comprendre, ni le soutenir dans son état. Je ne pouvais pas, ou je ne le voulais pas. Sûrement un petit peu des deux. Je m'obstinais à ignorer ses soucis pour ne pas qu'ils m'embrument l'esprit à moi aussi, pour ne pas qu'ils empoisonnent ma petite vie si parfaite. Je l'ai souvent détesté pour noircir ce beau tableau qu'on avait entamé ensemble.
Mais je l’aimais malgré tout, vous savez. Et tout, c’est vraiment beaucoup.
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