Partie 6 - 4
Les cocktails chimiques qui nous furent administrés par le biologiste de la décurie Arcourt semblaient réanimer nos corps las. Lors de notre montée, nos pas étaient plus assurés, les petits cailloux arrondis posaient moins de problèmes lors de notre progression. Notre moral s’en ressentait aussi. Le ravitaillement n’avait pas seulement été physique. Psychologiquement, nous sentions tous que nous arriverions à un moment charnière. Un instant qui déciderait le futur de toute la lignée 55 Cancri. Enfin mon esprit se redonnait le droit d’espérer un après, où tous nos rêves pourraient se réaliser, quelles que soient les difficultés à surmonter. Nous étions tous prêts à les affronter.
Pourtant, à intervalles réguliers chacun de nous lançait un regard vers l’horizon craignant de voir un point sinistre venir éclipser notre futur. Nous ne pourrions rien contre un MART-MKD. Jorald continuait de le nommer le « Gritche » et déjà d’autres de mes compagnons l’imitaient. Si nous nous en sortions, cet engin militaire de malheur resterait bien vivant dans nos souvenirs et hanterait les hautes chaînes montagneuses itionnaises.
Déjà, la nuit recouvrait les paysages. L’hospitalité de la décurie Arcourt était toujours bien présente. Je ressentais encore une gêne quant à mon attitude sauvage sur le site de ravitaillement. Une honte d’être retourné à cet état primitif que seules les privations savent faire apparaître. Nous nous vantions d’être la fine fleur du processus éducatif de Belgi. Ceux qui avaient été choisis pour ensemencer un nouveau monde à bord d’un Markind. Quelques heures auparavant, nous étions tous prêts à ouvrir le crâne de l’un de nos semblables pour récupérer de quoi subsister. Les combinaisons légères neuves récupérées plus bas amélioraient enfin notre apparence, bien que certains d’entre nous affichaient une barbe et des cheveux hirsutes. Ceux qui restaient sous la direction d’Ingrid Arcourt paraissaient plus soignés. Mais ce n’est pas pour évoquer des sujets si triviaux qu’elle vint nous voir, une fois qu’elle eût remarqué qu’un calme particulier s’y prêtait.
Dressée devant nous assis en tailleur, nous l’écoutions comme si nous étions des enfants buvant des paroles porteuses d’un savoir.
« Demain, nous allons nous débarrasser des robots tactiques », annonça sans détour la jeune femme.
Ses yeux brillaient d’un feu presque divin. Je l’observais sans pouvoir m’en détacher.
« Ce sera notre ultime action sur Ition-g.
Un petit silence parcourut l’assistance.
— On pourrait essayer de retrouver d’autres colons, même des mutins et récupérer plus d’armes…
La décurion coupa sèchement Olas.
— Il ne reste que nous.
Je crois avoir ressenti le même froid glacial parcourir mon corps que mes compagnons. Olas resta un instant bouche bée avant de la fermer.
— Notre action sera découpée en plusieurs phases. Nous avons réussi à joindre le Markind quelque temps avant vous. Nous devions agir hier, mais votre ravitaillement a changé la donne. Le Markind m’a fourni quelques éléments supplémentaires dans le cube qui vous était destiné. Mais le plus important, elle m’a donné vous.
— Qu’attendez-vous de nous ? demandai-je.
Un léger sourire s’esquissa sur ses fines lèvres.
— J’ai besoin de deux coureurs. Les plus rapides et les plus agiles d’entre vous. »
Nous nous regardâmes tous et je compris, aux yeux de mes compagnons, que j’étais désigné d’office.
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