6 - Vent de folie

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Morgane se réveilla en sursaut. Ses vêtements poisseux engluaient contre sa peau. Elle se redressa, hagarde, cherchant la lumière. Ses muscles se détendirent d’eux-mêmes quand ses yeux la trouvèrent. Là, dans l’embrasure de la porte. Tout allait bien.

Elle se redressa, fit craquer sa nuque endolorie. Après une toilette rapide, penchée sur le lavabo, elle se changea et se recoiffa. Elle avait pour habitude de porter ses cheveux en couronne tressée, lorsqu’elle devait travailler. Elle préféra ne pas les lâcher. Faire quelques contrôles de routine en salle des machines s’avérerait vital, dans les jours à venir.

Une fois changée, elle se plongea quelques instants dans la lecture des schémas du moteur, s’intéressant en parallèle au cahier de suivi. Sur les pages jaunies et noircies de cambouis, les machinistes de l’Aube notaient toutes leurs observations à la fin de chaque traversée. On avait déjà répété maintes fois que l’axe moteur devait être changé… Mais à la saison chaude, quand on avait mis le navire en cale sèche pour une révision complète, la compagnie n’avait voulu verser les fonds nécessaires pour racheter la pièce. Elle n’avait que deux ans, et elle coûtait cher. On n’avait préféré investir dans la rénovation de la coque.

Morgane claqua la couverture du cahier, réfrénant mal son irritation. Il était vrai que l’imperméabilité du navire laissait à désirer, la saison dernière. Mais elle aurait préféré avoir un axe moteur fonctionnel qu’une coque rutilante, là où elle se trouvait.

Parce-que plus elle remontait les pistes, plus il lui semblait évident que le problème venait de là. Et, elle, elle ne pourrait rien y faire.

Agacée, elle décida qu’il était temps de s’extirper de sa cabine. Elle replaça sa lampe près de l’entrée, l’éteignit et sortit dans le couloir. Son obscurité oppressante lui donna la chair de poule. Le fait qu’il y retentisse des murmures n’arrangea rien à la chose.

Intriguée Morgane s’approcha de l’origine des voix. Elles prenaient leurs sources au pied de l’escalier, dans le halo de lumière du poste de contrôle. Elle allait se montrer, comptant par la même occasion rejoindre l’étage, quand elle reconnut la voix de Cassandre. Elle se figea. Son corps, de lui-même, refusait d’avancer et de croiser ce garçon. Alors elle se plaqua contre le mur et attendit, partagée entre l’envie de se forcer à poursuivre son chemin et celle de retourner dans sa cabine.

- C’est impossible ! Souffla Sharkelle, son accent prononcé facilement identifiable.

- Je t’assure que c’était lui ! Je t’assure, je… J’ai peur. J’ai peur. Ça recommence, ils ne me laissent pas tranquille !

- Il faut que tu retournes voir Nina, Cassandre ! Je ne peux rien faire pour toi, moi.

- Non ! Non, pas Nina !

- Mais qu’est-ce que tu espères de moi, bon sang ?

- Et puis cet endroit… Je n’en peux plus ! Il faut que je sorte.

- Tu sais bien que c’est impossible !

- Je m’en fous ! Ce bateau me scie les nerfs tu… Tu l’entends qui craque, tout le temps ? On dirait qu’il va se casser en deux, on n’est pas en sécurité, ici !

- Dehors non plus.

- Il va nous tuer, ce bateau Sharkelle ! On va crever quand il coulera, tu verras. Il va nous écraser.

- Non, nous en sortirons avant. Nous ferons en sorte d’en sortir avant.

- On va mourir ! On va mourir, on va mourir, on va mourir !

Morgane, derrière son mur, céda. La folie qui grimpait dans la voix du jeune homme lui faisait l’effet d’un poison acide dont elle reniflait les relents. Elle n’en pouvait plus, il fallait qu’elle échappe à cette conversation dénuée de sens. Il fallait qu’elle s’en aille.

Elle s’arracha à son espionnage et traversa le couloir des cabines en sens inverse. Elle voulait s’éloigner de ces chuchotements hystériques jusqu’à ne plus les entendre. Peu importe si elle devait s’enfermer dans sa chambre et plaquer un oreiller sur sa tête pour cela.

Quelle ne fut pas sa surprise, pourtant, de constater qu’elle n’était pas la seule à errer dans le corridor. Appuyé contre sa porte, Izac Médian la lorgnait d’un air moqueur avec ses yeux de serpent.

- Tu espionnes les conversations, Morgane ? Railla-t-il à voix basse.

- Toi aussi, il me semble. Rétorqua-t-elle aussitôt.

Il eut un rire silencieux.

- Cassandre fait partie de mon équipage et sa santé m’inquiète. Il est légitime de ma part de l’espionner. Ce qui n’est pas ton cas.

Elle comprit qu’il la réprimandait pour la forme et s’approcha de lui avec méfiance.

- Qu’est-ce qu’il a ? Lui souffla-t-elle en pointant l’origine des murmures du menton.

- La Rocheuse lui a fait beaucoup de mal.

Elle garda le silence un instant, les yeux rivés sur l’extrémité du couloir. À présent, il lui semblait entendre le garçon sangloter.

- À lui plus qu’à toi, visiblement… Commenta-t-elle.

Le regard d’Izac se gela et elle eut l’impression de l’avoir. Elle regretta aussitôt ses paroles. D’une, parce-qu’elle parlait sans savoir, et de deux parce-qu’elle n’avait pas envie d’attiser la colère de cet homme qui, force du destin, devenait peu à peu un allié.

- Tu n’en sais rien. Trancha-t-il.

- Clarisse m’a expliqué.

- Qu’est-ce qu’elle t’a expliqué ?

L’information semblait le frustrer plus qu’autre chose. En voyant les prémices d’une colère pétiller dans ses yeux, Morgane recula d’un pas.

- Ho, rien de bien précis. Répondit-elle évasivement. L’histoire dans les grandes lignes. Elle voulait que je la comprenne avant de la juger.

Elle crut que le capitaine allait s’agacer davantage, mais une toux grasse le coupa dans son élan. Elle provenait de la cabine qu’il venait vraisemblablement de quitter, et elle se prolongea si longtemps qu’on eût dit que quelqu’un mourrait, là-dedans.

- Kéops est malade. Expliqua le balafré devant la mine inquiète de la machiniste.

- C’est grave ?

- Ça ne te concerne pas.

Elle se renfrogna. S’il vit qu’il l’avait, lui aussi, agacé, Izac n’en montra rien. Et s’il s’en soucia, ça ne le secoua pas davantage. Lorsqu’il ouvrit la bouche, il changea complètement de sujet.

- Comment va le générateur secondaire ?

- Si les chauffages tournent, c’est qu’il va bien. Rétorqua-t-elle sèchement. Je vais descendre, de toute manière. J’ai quelque chose à contrôler.

- Je te fais confiance pour nous maintenir en vie.

Elle eut un sourire si crispé qu’il lui fit mal aux joues.

- Et si j’échoue, je passe par-dessus bord, c’est ça ?

Elle se sentit bête de cette pique puérile. N’avait-elle point de meilleure idée que se de titiller la colère d’Izac Médian ? Mais, à en juger pour le sourire fugace qui apparut sur ses lèvres, il trouva plutôt sa réplique amusante.

- Je serais bien impoli de te tuer sans raison.

Sur cette conclusion, il la dépassa et s’éloigna d’un pas vif, comme s’il était pressé, soudain. L’instant d’après, elle entendit sa voix interrompre les sanglots de Cassandre et sut qu’il était allé au secours de Sharkelle.

Seule à nouveau, Morgane se massa nerveusement les bras. Si elle avait trouvé le capitaine aimable au début de leur conversation, elle avait eu l’impression de discuter avec un banal assassin détrousseur de cadavre sur la fin. Ce qu’il était, tout compte fait... Et, s’ajoutant à ce constat hésitant, elle commençait presque à le trouver humain, chose qui n’était pas pour améliorer son humeur.

Morose, inquiète et oppressée, elle décida de descendre sur le champ aux moteurs. Elle regagna sa cabine, enfila une épaisse veste de marin, des gants, une écharpe et enfonça un gros bonnet de laine grise sur son crâne. Après quoi elle s’équipa d’une lampe torche et quitta la zone chauffée.

En franchissant la porte coupe-feu, elle eut l’impression de changer de monde. Un froid mordant la saisit à la gorge. Ses semelles firent crisser les cristaux de glace qui tapissaient le sol. L’obscurité n’était plus qu’un néant aussi lisse qu’une tache d’encre.

Douloureusement, elle déglutit. Elle venait de prendre conscience qu’elle devrait traverser l’Aube tout entier avec pour seule lumière cette misérable lampe torche.

Tant pis, il fallait bien que quelqu’un le fasse.

Décidée, elle se mit en marche. Sa foulée ample, rapide, était le seul son vivant qui hantait les corridors. Tous les autres, du chant de la neige qui tombait de nouveau aux grincements de la coque pressée par la glace, n’étaient que les bruits sinistres d’une mort interminable.

Morgane pressa le pas, dérangée par cette obscurité pesante qui l’encerclait de toute part. Plus elle descendait, plus le froid lui semblait sec, agressif. Plus le silence lui semblait épais. Plus les gémissements du navire se disloquant lentement sonnaient fort à ses oreilles.

Une fois dans les soutes, elle inspecta le générateur secondaire. Il faisait chaud, les mécanismes vrombissaient sans accrocs, le niveau du réservoir n’avait que peu baissé. Tout était en règle. Il n’y avait aucune raison de s’inquiéter de ce côté-ci.

Elle quitta son local, prenant soin de verrouiller à clef la porte dans son dos, comme toujours. Claquant des dents, elle décida qu’il était temps de jeter un œil au moteur. Elle ne pourrait pas l’ouvrir seule, mais elle pouvait inspecter ses entrailles par une petite trappe prévue à cet effet.

S’équiper des outils nécessaire, escalader les mécanismes et atteindre l’ouverture lui prit vingt minutes. Il lui en fallut vingt de plus la libérer de la glace, grattant avec un tourne-vis les cristaux qui l’emprisonnaient. Quand elle put l’ouvrir, elle ausculta les tripes huileuses du moteur de sa lampe torche. D’ici, elle entrevoyait les reflets capturés par les arbres à cames et les poussoirs. Mais impossible d’éclairer l’axe moteur, profondément enfoncé dans le noir.

- Fais chier. Pesta-t-elle.

Elle ne pouvait pas rester ici trop longtemps de crainte de tomber en hypothermie. La dernière des choses dont elle avait besoin, c’était de se rendre malade.

Avortant là son inspection, elle laissa la machine à l’abandon et se décida à revenir plus tard, mieux couverte. Après quoi elle rebroussa chemin et fuit les entrailles inertes de l’Aube.

Le retour lui parut, cette fois encore, bien plus long que l’aller. Elle était en train de se demander si elle ne s’était pas perdue quand quelque chose attira son attention.

Une veste, étalée sur le sol.

Perplexe, elle fronça les sourcils et s’en approcha.

C’était un blouson fourré, orange vif, avec des bandes réfléchissantes sur les bras. De la pointe du pied, elle tâta sa masse inerte. Gelé, le vêtement adhérait parfaitement à la moquette. Un malaise s’empara aussitôt de ses tripes. Si c’était bien là le couloir qu’elle avait emprunté en venant, elle était certaine de n’y avoir vu aucune veste. Cependant, elle pouvait tout aussi bien se tromper.

Cette forme de tissu congelé était sans doute un habit égaré par Clarisse lorsqu’elle avait monté les sacs. Peut-être avait-il glissé de l’un d’entre eux et que, dans sa hâte, elle n’avait pas prit le temps de le ramasser.

Morgane décida qu’elle n’avait aucune envie de passer une seconde de plus dans ce couloir à fixer ce blouson. Elle l’enjamba, réprimant une sueur froide, et s’en éloigna le plus vite possible.

Elle ne se détendit que lorsqu’elle eut poussé la porte de la zone habitée. Là, elle resta un instant immobile, apaisée, profitant de la chaleur des lieux. Plus de voix de Cassandre pour sangloter dans la semi-obscurité, plus d’Izac Médian pour tenir des conversations étranges. Seul restait Kéops qui, dans sa cabine, toussait toujours à s’en arracher la gorge.

Milante rejoignit la sienne pour y ranger ses effets et décida de monter au poste de contrôle. Elle n’y trouva qu’Eddy et Clarisse. L’un occupé à lire, l’autre concentrée à dessiner.

Un peu mal à l’aise de s’introduire ainsi dans cette paisible scène de vie, quelque peu décalée dans cette salle vitrée battue par la neige, elle hésita un instant. Pourtant, elle n’eut pas à s’imposer. D’eux même, les pirates levèrent la tête, et le plus mat des deux ouvrit la bouche.

- Bonjour, Morgane. Lança-t-il. Ou bonsoir, j’avoue que je ne sais plus vraiment… Où étais-tu ?

- Contrôle de routine dans les moteurs. Répondit-elle machinalement en ouvrant une bouteille d’eau. Et les autres, où sont-ils ?

- Nina est avec Cassandre. Kéops et Mika dorment. Izac est parti le repas avec Sharkelle. Elle tient à ce qu’il soit réconfortant au possible… Franchement, je crois que je me couperais une jambe pour un ragoût de viande.

Il tourna pensivement une page. La machiniste se rendit compte qu’il lisait le "Carnet rouge", guide de survie d’un explorateur ayant survécu aux sommets glaciaires de l’île Denfèr. Selon elle, cet ouvrage n’était pas d’une grande aide pour résister à la Grande Blanche, puisque contrairement aux montagnes elle ne comptait pratiquement pas de faune et certainement pas de flore. Quiconque espérait se nourrir du peu d’animaux qu’elle abritait pouvait se pendre sur le champ pour s’éviter une mort stupide et au moins aussi inutile.

Mais elle ne pouvait que comprendre le besoin viscéral de ce pirate des tropiques de se renseigner sur le froid. Lui qui ne connaissait que les tempêtes humides, les plages de sables blancs, les jungles et les eaux turquoise, il ne se sentait certainement pas de taille face à l’immensité de cette terre dont il ne savait rien.

- Vous voulez jouer aux cartes ? Proposa soudain Clarisse en levant le nez de son dessin.

Morgane aperçut sur sa feuille un croquis d’une précision remarquable, représentant une espèce de fleurs qu’elle n’avait jamais vue.

- Je vais en faire plusieurs et les accrocher dans la pièce. Expliqua-t-elle face à son air admiratif. Ça nous rappellera la maison. Ça, c’est une orchidée. Normalement elle est jaune, mais je n’ai pas de crayons de couleur… Alors, on fait une partie de cartes ?

Elle avait enchaîné tout cela très vite, comme pour lui interdire l’occasion de lui poser des questions. Était-elle mal à l’aise de s’être confiée à elle plus tôt ? De fait, la machiniste n’en était pas bien plus avancée. Elle n’avait aucune idée de ce qu’était une orchidée. La botanique n’était clairement pas son rayon. En revanche, elle trouvait ça joli et exotique. C’était réconfortant.

Leur partie de cartes occupa l’heure qui suivit. Loin des flocons de neige qui crépitaient sur la coque, des vestes gelées dans les couloirs et des problèmes de santé des naufragés, Morgane projeta toute sa concentration dans la compréhension du jeu.

Vers ce qui lui sembla être dix-sept heures, Sharkelle, qui était remontée, s’affaira à ouvrir les quelques boîtes de conserves sélectionnées avec son capitaine. Dix minutes plus tard, une délicieuse odeur de légumes frits envahit la pièce. La voyant cuisiner, la machiniste pensa aussitôt à Murphy. Était-elle, comme lui, cuistot pour l’équipage ? Malgré la piètre qualité des aliments à bord, la pirate semblait véritablement déterminée à faire du repas un instant de bonheur.

Ils en avaient bien besoin, d’instants de bonheur…

Entre-temps, Cassandre, Mikael et Izac avaient eux aussi rejoint la pièce. Le capitaine lisait un livre sans sembler en voir les lignes. Du point de vue de Morgane, il fixait les pages, le regard dans le vague, ressassant sans doute quelques sinistres scénarios et les solutions qu’ils impliquaient. Mikael le borgne, lui, triturait nerveusement le pendentif qu’il portait au cou, son iris unique fixé sur le poste radio.

- Il est amoureux de Nina. Souffla Clarisse par-dessus la table en suivant le regard de la machiniste. Il s’inquiète toujours quand elle reste trop longtemps au contact d’un malade.

- Et elle le sait ? Interrogea-t-elle en retour, plus intéressée par cette information que par son jeu médiocre.

L’autre haussa les épaules.

- Va savoir... C’est pas le genre à remarquer ces trucs-là.

Après quoi Eddy remporta la mise sans un mot.

Morgane reporta son attention sur les canapés. Cassandre, roulé en boule entre deux coussins chat, lui rendit son regard. Elle sursauta et détourna les yeux aussitôt. La mine sombre du jeunot et sa moue dérangeante n’avaient pas changé. C’était prouvé, il ne la portait pas dans son cœur.

Elle en eut la confirmation un quart d’heure plus tard. Tous attablés, Nina et Kéops compris, ils venaient de terminer de mettre le couvert. Ignorant les ronchonnements défaitistes du malade qui, un peu à l’écart, ne semblait pas voir l’intérêt de ce cirque dans leur situation, Sharkelle laissa au blondinet le soin de servir les naufragés. Ce dernier, équipé d’une louche en métal cabossée, entreprit de céder à chacun sa part du repas. Morgane ne put s’empêcher de saliver face à l’aspect alléchant des légumes. Depuis ses patates bouillies, elle n’avait rien mangé.

Pourtant, quand vint son tour d’être servie, sa bonne humeur s’étiola. Avec une étincelle étrange dans les yeux, Cassandre laissa tomber dans son assiette une dose largement inférieure de potage. De plus, la moitié rebondit sur le fer avec un "floc" misérable et trois gouttelettes vinrent tacher son pull. Dépitée, la machiniste lorgna d’un œil morne l’aspect de son plat.

Elle n’avait même pas la moitié de ce qu’avaient les autres. Frustrée, elle renifla avec agacement.

- Cassandre. Intervint-elle alors qu’il s’éloignait pour ranger la casserole. Pourquoi je n’ai droit qu’à une misérable lichette, moi ? Ma gueule te reviens pas ?

Lorsqu’elle était de mauvaise humeur, elle n’était pas du genre à prendre des pincettes. Elle trouvait s’être, là, plutôt bien contrôlée. Pourtant, cette démonstration de son caractère difficile provoqua plus d’un haussement de sourcils dans la tablée.

Le mousse, lui, se figea dans son mouvement et lui jeta un regard trouble, où il lui sembla voir une pointe d’hésitation, un zeste de colère et un bol de ressentiment.

- Tu te contenteras de ce qu’on te donne. Rétorqua-t-il. Estime-toi heureuse d’être en vie.

Choquée, elle n’eut pas droit à davantage de commentaires. De toute manière, tout était servi, et personne ne semblait prêt à partager sa part avec elle. Elle n’écopa que de quelques regards gênés de la part de ses voisins de table, et d’une indifférence quasi insultante de la part du restant de l’équipage. Les poings serrés, les ongles enfoncés dans les paumes, elle hésita à quitter la pièce pour manger seule. Puis elle se rendit compte qu’elle n’en aurait pas le courage et grignota son repas dans un silence morose.

En plus, c’était rudement bon. Elle aurait bien aimé en avoir un peu plus…

Son tracas ne s’apaisa pas du repas. Les regards insistants que posait Cassandre sur elle n’étaient pas pour la mettre à l’aise, et elle ne se sentait pas vraiment à sa place dans les conversations. On évoquait des anecdotes dont elle ne savait rien, racontant des aventures dont elle ignorait tout. Et fait, elle ne se sentit mieux que vers la fin, lorsque Clarisse lui céda son bol de pomme en sirop. L’émaciée ponctua cet acte d’un regard glacial en direction de son cadet.

- La prochaine fois, elle sera servie comme nous. Trancha-t-elle fermement.

Personne ne la contredit. Sharkelle hocha même la tête pour l’appuyer, et le blond plongea honteusement son nez dans son dessert.

Morgane dut, après cela, se lancer dans une description de la mer des Fracas. Les naufragés s’intéressaient tout particulièrement à cet environnement étranger et la machiniste se fit violence pour leur dépeindre les caprices des eaux malgré son envie persistante de se plonger dans le mutisme. Elle avait grandi dans un phare, elle était familière aux tourmentes de la région.

- C’est pas demain la veille qu’on naviguera par chez toi… Commenta Mikaël avec un sifflement craintif.

- Demain la veille, on sera mort. Grommela Kéops en se mouchant.

Ce qui lui valut une claque sur la nuque de la part de sa voisine.

Milante avait déjà dormi, mais elle décida de se caler sur le rythme du groupe. Elle rangea donc avec les autres, participa à la vaisselle, puis descendit dans le couloir des cabines.

- Bonne nuit ! Lança quelqu’un.

- Bonne nuit, t’as rien de mieux à dire ? Grinça un autre.

- Kéops ! Si tu ne cesses pas de râler, je te donne un coup de pied au cul si fort que t’auras le fion dans le pif, ça te fera une troisième narine ! Rugis un troisième, probablement Nina.

Il y eut quelques rires, un applaudissement, et les portes claquèrent.

De nouveau seule, Morgane retira machinalement ses bottes fourrées, son pull, son jean, et se glissa sous les couvertures. À sa grande surprise, elle s’endormit comme une masse, le sourire encore sur les lèvres.

Le geste de Clarisse, elle n’était pas près de l’oublier.

__

Quand elle se réveilla, elle n’eut aucune idée de l’heure qu’il était. Quand elle y repensa, elle constata que cela faisait un moment qu’elle n’avait pas été certaine de "l’heure qu’il était". Le temps semblait s’être figé.

Elle se redressa, s’étira, remarqua qu’elle avait mal au dos. Les vieux matelas de l’Aube étaient loin d’être optimaux… Ils n’étaient pas faits pour de longs séjours. Habituellement, ceux qui y dormaient n’y passaient même pas une nuit.

Morgane se demanda sombrement si elle aurait l’occasion de naviguer de nouveau un jour. Puis elle chassa cette sinistre interrogation. Silver la cherchait, elle devait avoir confiance en lui. Silver la cherchait, et il la trouverait.

Elle se leva, s’habilla et sortit dans le couloir. Elle comprit alors d’où venait cette agitation qui l’avait tirée de son sommeil.

Des cris s’élevaient d’une cabine. Des sons étranglés, un peu misérables, qui ressemblaient fortement à des sanglots. C’en était sans doute. La porte de l’une des chambres était ouverte, dispersant un rais de lumière chaude sur la moquette du couloir. En outre, quelques pirates erraient dans le corridor en dardant des regards inquiets en direction de l’embrasure. Lorsqu’elle se campa à ses côtés, Mikaël lui jeta un coup d’oeil sourd d’angoisse de son unique iris.

- Cassandre fait une crise. Expliqua-t-il. Ça lui arrivait souvent, à la Rocheuse. Il avait de la fièvre et il délirait, alors il voyait des gens morts. Sharkelle essaie de le calmer.

Au même moment, Morgane saisit quelques mots dans l’inintelligible complainte du torturé.

- Derrière mon hublot ! Il était derrière mon hublot !

Aussi se tourna-t-elle vers le borgne en fronçant les sourcils.

- Qui a-t-il vu, cette fois ?

L’autre haussa les épaules.

- Murphy.

Sans qu’elle ne sache trop pourquoi, ce seul nom lui glaça le sang. La scène prit tout à coup sous ses yeux une dimension morbide qu’elle détesta. Avec le besoin pressant de s’éloigner au plus vite, elle salua Mikaël, tourna le dos à la scène misérable et se précipita dans le poste de contrôle.

Là, elle le traversa, courant presque, alluma le poste radio et se laissa tomber sur le canapé. Enfin, le calme revint, porté par une musique classique qu’elle connaissait par cœur.

C’est seulement à cet instant qu’elle remarqua Izac.

Appuyé contre un mur, les bras croisés, il semblait réfléchir. Ou du moins avait dû réfléchir avant son arrivée intempestive. À présent, il la fixait comme si elle avait attrapé la peste.

- Cassandre va mal. Lâcha-t-elle pour détendre l’atmosphère.

Elle songea qu’il y avait sans doute autre chose à dire pour détendre une atmosphère… Le capitaine pinça les lèvres et son regard se détourna pendant qu’il pensait.

- C’est peu de le dire. Soupira-t-il. Il commence sérieusement à m’inquiéter. Nous n’avons ni les moyens, ni les mots, ni le matériel pour le prendre en charge. Tu n’aurais pas des compétences de psychologue, par hasard ?

Elle masqua mal sa surprise devant cette sollicitation. Elle eut du mal à savoir s’il s’agissait d’une plaisanterie ou d’une véritable question. La mine fermée du balafré ne la mit pas franchement sur une piste.

- Non. Répondit-elle, indécise.

Il se gratta le nez, et elle en déduisit qu’il n’avait pas été sérieux. Puis elle crut bon de relancer la conversation, dérangée par ce silence qui pesait entre eux. Le calme, avec cet homme dans la même pièce, perdait tout son sens.

- De toute manière, il ne m’aime pas.

- Vraiment ? Fit l’autre en levant la tête.

- Vraiment, mon capitaine. Ironisa-t-elle, agacée par sa réaction peu attentive. Je crois même qu’il me fait peur.

Cette fois, il la prit au sérieux et son regard s’assombrit. Il se redressa d’un geste sec et lissa les pans de son long manteau élimé.

- Je vais lui en parler.

Elle n’obtint pas d’avantage de sa part, et cela lui suffit. Izac Médian quitta la pièce d’un pas empressé et elle se trouva enfin face à sa solitude.

Un peu rassurée d’avoir su solliciter son inquiétude, Morgane se laissa aller contre le dossier de son canapé.

__

Elle ne savait pas combien de temps s’était écoulé lorsqu’elle dut repenser à cette affaire. Elle calcula, sur le moment, qu’il s’agissait d’une journée. En effet, ils avaient pris un repas dans l’intervalle. Mais à bien y réfléchir, il devait plutôt s’agir d’une quinzaine d’heures.

Pourtant, tout était paisible. Et en tournant la page de son livre, elle n’imagina pas une seconde que quoique ce soit puisse déraper.

Kéops était confiné dans sa chambre. Sa maladie n’allait pas en s’arrangeant et creusant sous les yeux de Nina, et par conséquent sous ceux de Mikaël, des cernes inquiets. Le médecin de bord et son soupirant échangeaient des messes basses dans leur coin, pelotonnés dans le canapé d’en face. Eddy, Clarisse et Sharkelle disputaient une partie de cartes. Izac veillait leur malade, c’était son tour de garde.

Quant à Cassandre, Morgane n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait en n’en avait pas franchement cure.

De nouveau, elle tourna une page, songeant sombrement à cette routine bien trop calme qui s’installait ici. Ils se voilaient la face, elle la première. Bientôt, il faudrait errer dans le froid et périr dans la glace. Bientôt, ils rejoindraient Murphy… Murphy…

Au même instant, une silhouette trempée de sueur déboula dans la pièce, arrachant un sursaut à l’ensemble des pirates.

Morgane en avait laissé tomber son livre.

Hagard, les yeux embrumés de fièvre, Cassandre promena son regard sur l’assemblée. Il semblait chercher quelque chose. Ou… Quelqu’un. C’est ce que la machiniste comprit quand il arrêta ses iris sur elle.

Là, il fit trois pas titubant et agita un doigt dans sa direction.

- Toi ! S’exclama-t-il d’une voix rauque. Toi ! Pourquoi tu n’as rien fait ?

Elle ouvrit la bouche, soufflée, se demandant ce qu’elle avait bien pu ne pas faire. Que pouvait-elle répondre à ça ? Elle n’eut pas à réfléchir plus longtemps. Voyant qu’elle gardait le silence, le jeunot s’avança davantage.

- Toi ! Répéta-t-il. Murphy vient me voir tout le temps à cause de toi ! Dis-lui de s’en aller, ou je sors moi-même pour le faire !

Cette fois, elle se leva d’un bond. Il s’était encore approché.

- De quoi est-ce que tu parles, Cassandre ? Parvint-elle enfin à demander.

- Oui, Cassandre, calme-toi, je t’en prie. Renchérit Sharkelle en se redressant à son tour.

Mais le blond ne sembla entendre ni l’une, ni l’autre, et il reprit sa complainte aux accents de folie.

- Murphy dit que c’est ta faute si le bateau a fait naufrage. Si tu t’étais montrée, comme tout le monde, on en serait pas là !

Elle suffoqua, horrifiée. Comment osait-il la… ! Puis un doute la saisit, et son souffle s’égara. N’était-elle pas responsable ?

- Cassandre, ne raconte pas n’importe quoi. S’indigna Clarisse. Si nous avions choisi d’aborder l’Ursula plutôt que l’Aube, ce ne serait pas arrivé non plus. Les deux bateaux étaient sur notre route.

- Non, c’est elle !

Une fois encore, il ne sembla pas se soucier de ce qu’on lui disait. C’en était trop, bien trop. Morgane sentit que ses mains tremblaient. Elle n’aimait pas ce gosse, non, elle ne l’aimait pas ! Ha, ç’aurait dû être lui, le balancé par-dessus bord ! Murphy avait sans doute été moitié moins dangereux à ses yeux que ce blondin l’était maintenant.

Elle voulait qu’il parte. Qu’il lui fiches la paix, ce sale gosse détraqué !

- Écoute, mon grand. Cracha-t-elle enfin, retrouvant sa verve avec soulagement. Je ne sais ni ce que je t’ai fait ni ce que tu me veux. Mais si tu as envie de discuter, tu vas être gentil de le faire sur un ton posé, de cesser de postillonner dans tous les sens et tu vas essayer d’être un peu plus clair parce que présentement, il n’y a que toi qui piges ce que tu dis ! Et si tu n’as rien d’autre à me dire que ces phrases sans queue ni tête, tais-toi. J’ai pas besoin de tes jérémiades pour passer le temps.

Enfin, il sembla s’apaiser. Il la considéra d’un œil nouveau, la lorgna comme s’il la voyait pour la première fois. Ses lèvres se mirent à trembler, ses yeux se mouillèrent de larmes, et il ouvrit la bouche de nouveau.

- Murphy t’a ramené ta veste. Murmura-t-il. Il veut savoir pourquoi tu ne la veux pas. Est-ce que tu es fâchée contre Murphy ? Il dit que ça le rend très triste. Il veut que je sorte dehors avec lui pour la récupérer.

Morgane chercha à tâtons l’accoudoir du canapé et s’y appuya. Un instant, ses jambes avaient faibli sous son poids. La veste… La veste dans le couloir… Par les Morts, par les Gelés, par les Croqués, se pourrait-il que… Se pourrait-il que…

Elle ne parvint pas à terminer sa pensée.

- Dis, Morgane, est-ce que tu es fâchée contre Murphy ?

Elle ouvrit la bouche, la referma, les yeux dans le vague. La veste ! La veste glacée, congelée, abandonnée. C’était une veste de marin, une veste orange de marin. Identique à celle qu’elle avait prise pour sortir, cette fois-là. Cette fois où Murphy…

- Réponds à la question ! Glapit l’autre.

Encore une fois, tout le monde sursauta. Lentement, Morgane releva la tête. Croisa le regard de Cassandre. Formula une réponse dans sa tête. La veste… Murphy…

- Murphy est mort, Cassandre. Balbutia-t-elle.

Elle sut qu’elle aurait mieux fait de garder le silence quand l’arrière de son crâne cogna le sol. Le mousse, avec une rapidité et une souplesse insoupçonnable, s’était jeté sur elle et l’avait plaquée par terre. Quelqu’un cria, des chaises se renversèrent. Puis la machiniste n’eut plus conscience que de la lame qui crissa sur le sol à quelques centimètres de son visage. Cette fois, ce fut elle qui hurla. Elle envoya son poing, rencontra la chair. L’impact lui fit mal au doigt, Cassandre tituba. Quand elle tenta de se dégager, le couteau de nouveau fusa.

Enfin, une force colossale arracha le poids qui l’écrasait de son corps. Le métal glacé de l’arme qui avait manqué de la tuer cliqueta parterre en tombant. Sonnée, elle eut vaguement conscience que quelqu’un la relevait de force. Quelque chose de mouillé coulait sur son front. Elle perçut la chevelure de Nina, ondulant comme une furieuse flamme bleue, et se rendit compte que le médecin de bord plaquait l’agresseur au sol sans la moindre pitié. Elle parlait, aussi, mais Morgane ne saisissait pas vraiment ses dires.

Elle passa une main sur son front, cherchant à comprendre l’origine de sa douleur. Quand elle ramena ses doigts en sangs, elle étouffa un hoquet misérable. Mourir ! Elle avait failli mourir ! Ses jambes l’auraient trahie si de nouveau ce bras ne l’avait pas maintenue en place. Elle s’y accrocha comme elle put, ses ongles s’enfonçant dans une chair impassible, recouverte de la manche d’une épaisse chemise en lin.

Elle sentit alors une main qui écartait ses cheveux. Le flot sur sa peau s’intensifia.

- Ha, il t’a eue. Constata Izac.

Cette seule phrase lui fit l’effet d’un déclic. Elle se rendit compte qu’elle s’agrippait à lui et qu’il s’agrippait à elle, comme si tous deux craignaient qu’elle s’effondre façon poupée de chiffon s’ils osaient se lâcher. Ce soutien incongru, bras enroulé autour de sa taille, acheva de la tirer de sa torpeur. Elle s’arracha à son contact interdit en promena un regard stupéfait sur la scène.

À présent Cassandre, roulé en boule, pleurait à chaudes larmes tout en marmonnant des excuses sans queue ni tête. Sharkelle, agenouillée en face de lui, tentait sans succès d’apaiser ses souffrances. Clarisse remettait en place la chaise qu’elle avait fait tomber en se levant. Eddy trépignait d’inquiétude dans son coin, ne sachant pas vraiment où se mettre. Et Mikaël suivait des yeux Nina, se crispant de la tête aux pieds dès qu’elle s’approchait un peu trop du jeune mousse. Avait-il peur qu’il sorte un couteau pour la tailler en pièce à son tour ?

Morgane se rendit alors compte que le médecin de bord s’était désintéressé de l’agresseur. Ses allées et venues avaient pour unique but de s’emparer de la trousse de soins et de venir se planter face à la blessée. Cette dernière n’eut pas le temps de protester que les doigts froids de la pirate s’étaient saisi de son menton. Elle lui fit pivoter la tête, le cou tendu pour apercevoir sa plaie.

- Assieds-toi. Ordonna-t-elle en déballant son matériel.

Elle hésita avant d’obéir, puis fini par pointer Cassandre du doigt.

- Il a plus besoin d’aide que moi. Trancha-t-elle.

Nina marqua un temps d’arrêt, réfléchit un instant, puis planta son regard implacable sur Izac.

- Tu sauras lui faire un pansement ?

- Pour qui te me prends ? Rétorqua-t-il.

Visiblement satisfaite de cette réponse, elle lui fourra son matériel dans les bras et s’éloigna en direction du torturé.

D’un œil suspicieux, Morgane lorgna le capitaine que préparait de quoi désinfecter. Malgré son commentaire désabusé, il semblait savoir ce qu’il faisait.

- Il y avait vraiment une veste. Lâcha-t-elle soudain.

Aussitôt, elle se sentit stupide. Il lui avait jeté un regard aussi étonné que désintéressé, comme s’il n’avait pas imaginé une seule seconde qu’il lui vienne l’envie de lui parler durant leur face-à-face.

- Une veste. Répéta-t-il pourtant en débouchant une petite bouteille blanche. Penche la tête.

- Oui, une veste. Fit-elle donc, s’exécutant docilement. Une veste, comme celle dont parlait Cassandre.

- Et de quoi parlait Cassandre ? Je ne suis arrivé que vers la fin, en entendant les cris.

Perplexe, elle remarqua qu’en effet, il ne portait pas son manteau. L’absence du lourd vêtement révélait le tissu épais et dru de sa chemise, ainsi qu’un collier de perles bariolées. Faisant ce constat, elle s’était redressée.

- Morgane, penches la tête !

- Pardon. (Un liquide froid dégoulina sur sa tempe et picota sa plaie). Cassandre disait que Murphy m’avait ramené ma veste.

Elle sentit que le balafré se crispait.

- Parce que tu avais donné une veste à Murphy ? Grinça-t-il entre ses dents serrées.

Quand il épongea le sang, son geste fut si sec et peu délicat qu’elle tressaillit.

- Il faisait froid. Crut-elle bon de justifier.

- Tu as sacrifié une veste pour un mort, Morgane ? Insista-t-il, la mâchoire de plus en plus crispée.

Elle remarqua qu’il se retenait de parler trop fort pour leur épargner l’attention des autres. Mais chacun de ses mouvements, de plus en plus brutaux, témoignait de sa colère et le regard qu’il lui jeta, brûlant d’une glace sévère, n’augura rien de bon.

La manière dont il parlait de l’homme qu’il avait lui-même condamné n’était pas pour lui plaire. Elle le trouva sinistre, tout d’un coup.

- Justement. Rétorqua-t-elle dans un souffle agacé. Il a été bien sympathique de nous la ramener.

Cette fois, le capitaine se figea. Quand il lui écarta les cheveux pour dégager sa plaie, elle crut qu’il allait lui arracher le cuir.

- Ne raconte pas n’importe quoi. Trancha-t-il fermement.

- Ce n’est pas n’importe quoi.

Il acheva de la soigner et recula brutalement, comme s’il s’était brûlé.

- Si nous avons besoin de cette veste à l’avenir, Morgane, tu en répondras.

Et, sur ces mots, il remballa le matériel et s’éloigna d’un pas vif. Elle le suivit du regard, les dents serrées. Comment avait-elle pu imaginer qu’en parlait à cet homme l’avancerait à quoi que ce soit ? Il était bien trop pragmatique pour porter crédit à des légendes et des suppositions... Elle grommela quelques mots frustrés et se leva, arrangea les mèches de sa couronne tressée malmenée. En plus de n’avoir obtenu aucune esquisse d’explication, elle n’en avait pas été rassurée. En fait, elle avait surtout l’impression d’avoir empiré la chose. Izac Médian comptait-il la punir pour la perte qu’elle avait causée ? Il était vrai que cette veste était plus utile ici que sur les épaules d’un cadavre. Pourtant, c’était Murphy qui l’avait. Mort sous une quelconque couche de neige, sans doute.

Elle sentit un frisson glacial la parcourir de la tête aux pieds. Elle crut soudain comprendre la réaction violente du capitaine.

Et s’il avait peur ?

Il n’y avait rien de plus humain. Et s’il avait peur ? S’il songeait que l’exilé, en effet, avait traîné jusqu’ici cette veste après sa mort pour la restituer à sa bienfaitrice ? Certes, cette scène n’avait aucun sens, mais il subsistait toujours un doute, alors… S’il s’avérait que cela fut possible, pourquoi ne pas penser que le saboteur ne chercherait pas à se venger ?

Non. C’était impossible. Dans la Grande Blanche comme ailleurs, les morts c’est mort. Et les morts ne tuent personne.

Morgane en vint à se demander si les pirates croyaient aux histoires de fantôme.

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