13 - Danse macabre

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Elle avait une écrasante sensation de chaleur dans les tempes. Peut-être avait-elle encore de la fièvre ? Tout était si sombre qu’elle ne voyait que des silhouettes. Seule sa lanterne jetait sa lumière dans le vide. Quelque part, elle entendait des frottements. Ceux que font des membres qui s’agitent dans une veste synthétique. Intriguée, elle ouvrit un œil. Elle vit, dans le vague, une masse humaine passer. Puis le sommeil, plus puissant que tout le reste, l’avala de nouveau.

Un instant plus tard, elle se réveilla en sursaut.

N’avait-elle point vu quelqu’un se lever et partir ? L’esprit embrumé, elle se redressa sur les coudes. Nina ronflait.

C’était sans doute quelqu’un allé uriner. Depuis la disparition regrettable de la "boîte à pipi", on faisait comme on pouvait…

Elle était sur le point de s’allonger de nouveau quand elle prit conscience que l’abonné absent n’était autre que Kéops. Ce constat la jeta assise pour de bon.

Figée, tout d’abord, elle contempla durant un temps la couche vide. Disparu. Envolé. Se sentait-il assez bien pour s’éloigner sans danger ? Avait-il vu quelque chose qui l’avait intrigué ? Sa fièvre l’avait-il fait délirer au point d’en quitter le camp ? Il fallait le retrouver. Tout de suite.

La brume du sommeil désormais chassée de son esprit par l’angoisse, Morgane quitta ses couvertures et ondula entre les corps endormis jusqu’à trouver celui qu’elle cherchait.

Izac.

Allongé en chien de fusil, le capitaine ne bougeait pas d’un pouce. Elle n’était pas certaine de s’attirer ses bonnes grâces en le dérangeant, mais elle savait pertinemment qu’il préférait qu’elle le prévienne.

Elle lui glissa une main sur l’épaule. Elle n’eut pas le temps de prononcer son nom qu’il se redressait déjà dans un sursaut. Elle sut alors qu’il ne s’était sans doute jamais endormi.

L’air étonné, il la lorgna en fronçant les sourcils.

- Quoi ? Lâcha-t-il enfin à mi-voix, constatant qu’elle ne disait rien.

Trop occupée à inspecter la glace translucide de ses iris, elle en avait oublié de parler.

- Kéops. Souffla-t-elle enfin. Il a disparu.

Une vague de panique fusa dans le regard du capitaine. Il se redressa d’un bond.

- Quand ?

- Je ne sais pas. Avoua-t-elle, honteuse de ne pas avoir réagi plus tôt.

S’en fichait-il ou fit-il le choix de ne pas lui en tenir rigueur ? Peu importait. Il empoigna sa lampe torche et lui fit signe de se saisir de sa lanterne.

De toute évidence, ils partaient le chercher.

Aucune lumière dans le corridor par lequel ils étaient arrivés, la seule option plausible était le passage inconnu. En silence, sans réveiller les autres, ils quittèrent le camp par la faille qu’ils ne connaissaient pas. Et sans savoir pourquoi, Morgane sentait que c’était par la bonne direction.

Leurs pas, sonnant sur le sol de verre, se répercutaient en de longs échos sinistres dans le silence de la caverne. La machiniste n’en avait jamais vu de si grande, de si majestueuse. Levant bien haut son luminaire, elle jeta un grand cercle de brillant autour d’eux. C’était comme entrer dans la gigantesque salle de danse d’un colossal palais.

Izac, les sourcils froncés, les lèvres pincées d’inquiétude, ne semblait pas enclin à apprécier la grâce des lieux.

Quand ils marchaient tous ensemble, en file, ils évoluaient dans une puissante lueur blanche. Mais là, à deux, ils n’étaient qu’une bulle tremblante dans le néant. Morgane, avec le sentiment d’être retournée à sa solitude dans les dédales des tréfonds, jeta un regard en arrière pour s’assurer que les reflets du camp étaient toujours là.

Soudain, Izac se figea. Devant eux, à quelques mètres seulement, sur le seuil d’un étroit couloir, gisait une veste.

Une épaisse veste rouge portant le sceau de l’Aube. La machiniste sentit son cœur se glacer. Il était trop tard…

Le faisceau d’une lampe torche se ficha dans ses yeux.

- C’est la veste de Kéops. Déclara le capitaine avec rudesse, comme s’il lui faisait un reproche.

Elle comprit qu’il était seulement très inquiet, et repoussa le halo éblouissant de sa torche.

- J’ai vu, oui. Répondit-elle, sinistre. Arrête de m’éblouir.

Mais, presque aussitôt, la lumière revint.

- Pourquoi a-t-il enlevé sa veste, Morgane ?

- Mais… Vire cette lumière bon sang ! S’agaça-t-elle.

Cette fois, il obéit en silence et lui jeta un regard insistant.

- Il a enlevé sa veste parce qu’il avait chaud. Déclara-t-elle enfin.

Le silence du balafré lui fit comprendre qu’il attendait la suite de son explication. Mais elle n’avait rien à dire de plus. Elle n’avait aucune envie de lui détailler ce qu’elle avait vécu, de lui raconter comment elle avait failli mourir gelée. Elle s’était confiée à lui une fois, ça avait été une fois de trop. Tout était bloqué dans le fond de sa gorge par un sentiment étrange. Était-ce bien normal ?

Peut importait. Il se pensait si puissant que ça ? Qu’il se débrouille seul. Il apprendrait...

Alors, lorsqu’il vit qu’elle s’enfermait dans un mutisme têtu, il reprit sa marche et s’enfonça dans le sinistre boyau.

Glaciale, elle serra la poignée de sa lanterne à s’en faire mal et lui emboîta le pas.

Elle se glissa à la suite du capitaine dans la fêlure et se contorsionna pour le rattraper. Le couloir était si étroit qu’elle devait avancer en biais. Elle arriva à sa hauteur lorsqu’ils passèrent dans une zone plus large, et il s’arrêta un instant pour épousseter sa veste.

- Je hais être enfermé. Grommela-t-il, comme pour se justifier.

Il roula des épaules, mal à l’aise. Est-ce qu’il le percevait, lui aussi ? Ce quelque chose d’étrange qui flottait dans l’air. Il planait dans le néant sentiment doucereux trop familier. Il y avait, en ces lieux, un quelque chose qui les observait.

Pourtant, Izac reprit sa marche sans rien ajouter, courbé sous le plafond trop bas. Ne voyant rien d’autre que son dos et quelques mèches de ses cheveux noirs, la machiniste le suivit en maugréant silencieusement. Plus elle avançait, plus l’impression se renforçait.

Celle de s’enfoncer, pas à pas, dans une mielleuse mélasse.

- Izac. L’interpella-t-elle en se figeant, soudain.

La sensation, trop puissante, venait de lui rappeler les soutes du Perce-Néant. L’homme, agacé, s’arrêta un instant pour lui couler un regard impatient. Il soupira, l’air de dire "quoi encore ?"

- Nous devrions rentrer. Répondit-elle à sa question silencieuse.

Il lui fit face pour lui parler, lui plantant le faisceau de sa lampe dans les yeux par la même occasion. Mais quelle sale manie il avait !

- Je peux savoir pourquoi ? Lâcha-t-il avec un calme qui n’avait rien d’apaisant.

- Une mauvaise intuition.

Il se gratta la joue.

- Si tu n’as rien de plus solide qu’une intuition, autant continuer. Trancha-t-il d’un ton sans équivoques avant de reprendre sa marche.

- Tu devrais me faire confiance. Insista-t-elle sans bouger.

Il se figea à nouveau et fit demi-tour pour se planter face à elle.

- Bien… Soupira-t-il. Rentre donc, je continue.

Sidérée, elle le regarda s’éloigner. Cherchait-il à la ménager ou à se débarrasser d’elle ? Elle fut tentée de le laisser seul à la merci dans ces dédales monstrueux et de s’en retourner auprès du rassurant réchaud. Puis elle sut qu’elle en serait incapable. Si elle rebroussait chemin pour s’enrouler dans ses couvertures, elle ne pourrait faire rien de plus qu’attendre son retour, transie d’inquiétude et de culpabilité.

En rage, furieuse de n’être point capable d’assez d’indifférence pour agir ainsi, elle lui emboîta le pas encore une fois.

- Tu es pénible, Izac Médian. Gronda-t-elle pour elle même.

Bientôt, le conduit s’élargit et ils purent évoluer côte à côte. Ils trouvèrent une deuxième veste, accrochée à un pic de glace comme à un porte-manteau, et Izac passa un doigt songeur sur sa manche. Elle était déjà recouverte de gel.

Morgane sentit une peur empoisonnée lui retourner les tripes. S’ils ne faisaient pas demi-tour maintenant...

- Pourquoi a-t-il enlevé sa deuxième veste? Soupira-t-il, l’air de parler d’un mort, et pointant sa lampe torche vers Morgane.

Elle fut tentée de lui dire : Kéops avait entendu l’appel des profondeurs, il n’était plus, sans doute, qu’un maudit parmi d’autres. Et s’ils le croisaient, la meilleure chose à faire était de lui tourner le dos et de partir en sens inverse.

Mais elle en fut incapable, car elle était rongée par l’amertume. Car elle lui en voulait pire qu’à la peste. Il l’avait laissée tomber. Il l’avait laissée tomber, et il osait l’entraîner dans les dédales des tréfonds à la poursuite d’un cadavre ! Ironie du sort, moquerie du destin. Qu’il aille au diable !

Alors, distante, elle haussa les épaules et lui rendit son regard, l’air aussi ignorante que lui.

- Je l’ignore.

Ainsi soit-il. Elle sentit dans sa propre voix une douceur qu’elle détesta. Une douceur pateline, assortie à la mélasse dans laquelle elle avait l’impression de s’enfoncer. Était-elle maudite, elle aussi ? Était-elle en train de guider un marin égaré vers sa prison d’éternité ?

Elle se ressaisit aussi vite qu’elle s’était perdue. Ça n’avait aucun sens, elle perdait la tête. La fatigue, la faim, la peur et la colère n’arrangeaient rien à son état.

Trois pas plus loin, ils trouvèrent une lampe torche. Elle se trouvait posée là, sur le seuil du boyau qu’ils avaient traversé en entier. Éteinte, morte, gisant dans le givre à l’état de souvenir. Inquiet, Izac se pencha, la ramassa. Au même instant, sa propre lampe torche s’éteignit. Il ne resta plus que la lanterne de Morgane pour les éclairer.

- Merde… Jura le capitaine en secouant son luminaire.

La machiniste ravala sa peur et lorgna en silence son comparse, occupé à retourner entre ses mains la lampe de Kéops.

- Il a continué sans lumière. Grogna-t-il.

Il savait très bien ce que cela signifiait… rien ne les attendait au bout de ce chemin. Rien que du froid, du vide et du macabre.

- Rentrons. Trancha la machiniste. On ne le trouvera pas.

Tout cela ne rimait plus à rien, désormais. Ils avaient la certitude que Kéops était mort, et…

- Je ne peux pas l’abandonner.

La déclaration angoissée du capitaine lui fit ouvrir des yeux ronds de surprises et une bouche tordue de dégoût.

- Et moi, si ? Cracha-t-elle du tac au tac.

Elle fut certaine de le voir tressaillir à cette accusation haineuse. Pourtant, il reprit sa route sans lui répondre. Quoi, il avait peur de perdre un autre ami, mais la donzelle qui lui avait offert la chaleur de ses bras pouvait bien crever au fond d’un trou ? Ce bougre de pirate n’avait aucun sens ni aucune morale. Ou alors, elle n’était pas en mesure de le comprendre.

Sa colère, déjà amère, s’acidifia. Elle serra les poings sans un mot, plantant sur la nuque de l’homme un regard de feu.

Il voulait voir où était Kéops ? Très bien… Il allait voir. Et il allait profiter du spectacle.

__

Ils avaient débouché dans une nouvelle caverne. Si celle qu’ils avaient quittée était un palais, ils ne pouvaient désormais être que dans son hall d’entrée.

Tout en longueur, luisante, comme sertie de milles et un diamant. De ses murs inégaux grossièrement taillés, la cavité s’élançait devant eux et se perdait dans une brume étrange, les invitant à poursuivre leur dangereuse expédition. De son plafond, arqué comme celui d’une cathédrale, tombaient des stalactites aussi effilées que des lames.

Et, plus splendide encore, il y avait les lumières. Les cages finement travaillées de lanternes énormes, brisées et prisonnières dans la glace. Bordant chaque côté du passage, elles jetaient sur son sol lisse une lueur faible, d’un bleuâtre sinistre, tout droit sorties d’un cauchemar huileux.

Morgane les identifia comme celles d’un navire de passager, datant des années mille huit cent. Sans doute éclairaient-elles jadis un pont et avaient-elles été arrachées dans une tempête pour se couler dans le froid.

Une sourde inquiétude fit battre son cœur plus fort. Faire demi-tour. Il fallait faire demi-tour.

Oui, mais elle ne pouvait laisser Izac.

Ho, lui l’avait bien laissée, elle !

Elle n’était pas lui.

Frustrée, elle grogna et continua d’avancer à ses côtés. Elle lui aurait bien précisé qu’il fallait se tirer, et vite, mais il ne l’aurait pas écoutée. Elle remarqua les regards qu’il jetait au décor, un peu plus distants que d’accoutumée. Elle eut un doute. Il lui semblait peu probable qu’Izac Médian soit quelqu’un de rêveur. Il était capitaine, il était pragmatique : il n’avait pas le temps pour ça.

Sans l’ombre d’une délicatesse, elle lui donna un coup sur l’épaule. Il sursauta.

- Ignore-les. Ordonna-t-elle, glaciale. La beauté et la chaleur sont des illusions, ici. Cet endroit te donnera tout ce que tu rêves de voir dans l’espoir que tu oublies que tu es en vie. On est que des égarés au fond d’un tunnel glacial, toi et moi, dans les tréfonds d’une terre qui ne laisse personne s’enfuir. Ne crois pas une seule seconde que tu pourras lui résister.

Sidéré, il émit un rire à peine soufflé. Pourtant, il parut troublé. Comme si elle venait pour vrai de le tirer d’un songe. Son instinct lui hurla de le forcer à rebrousser chemin, mais sa colère à son égard reprit le dessus et son amertume lui reprocha de l’avoir arraché à sa rêverie funeste.

De toute évidence énervé d’avoir cédé au charme des lumières, Médian reprit sa route sans un remerciement. Recevoir l’aide de celle qu’il aurait laissé mourir l’agaçait au plus haut point. Et lui rappelait le monstre qu’il était...

Elle n’eut pas le temps de lutter davantage contre son dilemme. Ils venaient d’arriver au bout du tunnel.

Et là, devant eux, s’en trouvait un nouveau. De la hauteur et de la forme d’une porte, il bifurquait à droite aussitôt, leur interdisant la vue du lieu où il débouchait. Quand Izac s’apprêta à en franchir le seuil, elle trouva encore la volonté de l’arrêter.

Elle le saisit violemment par le bras et le tira en arrière. Furieux, il se dégagea avec une force et une souplesse que ne laissait pas soupçonner sa morphologie et lui jeta un regard assassin.

- Il est mort, Izac. Lâcha-t-elle d’un ton d’outre-tombe. Il est mort.

Il resta silencieux un long, très long moment. Il lui sembla percevoir, dans le fond de ses yeux, l’étincelle d’une viscérale tristesse, viscérale souffrance. Une fois encore, elle songea que le capitaine du Corbeau n’était qu’un masque. Que ses fureurs n’étaient que des parades derrière lesquelles il se cachait. Que sa froideur ne servait qu’à étouffer la puissance de sa solitude.

Oui. Il avait, dans ses yeux couleur glace, la même teinte que le givre de la Grande Blanche.

Cette couleur oubliée, seule. Qui luttait depuis toujours, sans aide aucune, contre la puissance des tempêtes.

Alors, quand il franchit le seuil, elle le laissa faire sans bouger. Tant pis pour lui. Au fond de sa propre tête, dans un recoin reculé de ses pensées, elle entendit une voix timide qui demandait…

Tu le sauveras, pas vrai ?

__

Ting. Ting. Ting. Ting.

Quelque chose carillonnait quelque part. Un son délicat, irrégulier, très léger, d’une douceur sans pareille et à la mélodie raffinée. Cette musique, irrésistible, résonnait dans ce couloir qu’ils traversaient à pas de loup. Izac, silencieux comme une tombe, avançait. Il avait, dans le fond des yeux, une lueur fauve à la sauvagerie alléchante, associée une curiosité étrange que Morgane ne connaissait que trop bien.

La mélasse. Il se noyait dans la mélasse.

Pourtant elle, elle marchait bien droite, le regard impassible, sa lanterne tendue devant elle avec indifférence. C’était étrange. Elle avait conscience de ce piège dans lequel elle entrait. Elle le sentait vibrer tout autour d’elle, elle percevait sa profondeur malsaine, elle savait ses rouages vicieux, mais il ne l’effrayait pas. Elle avait l’impression de revoir un vieil ami.

Ça n’avait pas l’ombre d’un sens, n’est-ce pas ?

Le capitaine, enfin, déboucha dans une limoneuse lueur blanche. Il descendit une marche, puis une autre, et se figea. Milante, restée sur le seuil, ne put que comprendre son immobilité.

C’était une salle. Ni grande ni étroite. Des murs métalliques chargés de boulons se perdaient dans des étaux de glaces fraîches. Une porte, au fond, entre deux bibliothèques éventrées dont le contenu jonchait le sol, déversait un flot de neige dure comme la pierre. La moquette, d’un rouge vif et vivant, se perdait sous une épaisse couche de givre qui lui donnait la pâleur de la mort. La lumière, vomie par un lustre honteusement laid, avait la teinte crue d’une lune trop blanche.

Et, au centre de la pièce était une table. Ronde, en bois massif, intruse dans ce décor si sobre.

Et derrière cette table une chaise. Et sur cette chaise un homme. Un homme qui touillait, avec mélancolie, le contenu vide de sa tasse en porcelaine.

Ting. Ting. Ting. Ting.

Lentement, cet homme leva la tête et sourit. Son sourire était faux. Son regard était vide.

- Je t’attendais. Murmura-t-il.

Loin. Si loin. Si mort. Si creux.

De là où elle était, Morgane vit Izac reculer d’un pas. Quand il se tourna vers elle pour chercher son regard, il lui sembla trouver dans ses yeux, l’espace d’un instant, une profonde détresse.

Elle sut qu’il voyait, lui, dans ce décor oublié, un chaleureux salon de fumeurs, doucement éclairé d’une lumière vivante, à la moquette et aux motifs muraux éclatants. Et elle sut que ça ne lui faisait que peu d’effet, car l’homme, l’homme qui l’attendait s’était levé.

Et qu’il était Murphy.

- Morgane… Souffla le balafré, fronçant les sourcils comme s’il était pris dans un dilemme cornélien. Morgane, il faut s’en aller.

Elle lui sourit, presque tendrement.

- Oui.

Le mot qui sortit de sa bouche lui parut lointain. Sa propre voix lui sembla si douce qu’elle se demanda si elle était vraiment sienne.

Et, au lieu de fuir, de partir, de disparaître, elle entra dans la pièce comme s’il s’agissait d’une évidence. Elle posa sa lanterne sur la commode, à côté de la porte, et elle sourit à nouveau.

L’angoisse qu’il lui sembla voir dans l’expression interdite du légendaire Izac Médian fut aussi agréable qu’un coup de dent dans un gâteau sorti du four.

Il l’avait laissée tomber. Il l’avait laissée tomber ! Comme avait-il pu la laisser tomber !

- Qu’est-ce que tu fais ? Gronda-t-il, menaçant, en reculant dans la pièce.

Derrière lui, Murphy avait délaissé table, chaise et tasse. Il s’était levé, et il attendait.

- Ce que je fais ? Répéta Morgane avec une lenteur hypnotique. Je fais ce que tu as fait, Izac.

Ni ressentiment, ni colère, ni choc sur ce visage impassible barré d’une trop profonde cicatrice. Le capitaine suffoqua en silence. Si longuement qu’un instant durant, au fond ce calme plat, il sembla à Milante entendre, au loin, siffler le vent.

S’il eut l’intention de prononcer le moindre mot, il n’en fit rien. Il n’en eut pas le temps.

L’exilé, Murphy le croqué, l’avait contourné avec lenteur et s’était campé dans son dos. Sa main droite, les doigts marbrés, la peau de lait, s’était plaquée sur sa bouche. Sa main gauche, de porcelaine craquelée, franchit la barrière de l’écharpe pour s’enrouler autour de son cou.

Et la machiniste ne bougea pas.

Elle ne bougea pas quand, déjà faible, le bras d’Izac tenta d’arracher de son corps ces deux membres froids qui aspiraient ses forces.

Ni pas lorsqu’il échoua.

Ni lorsqu’il posa sur elle ses yeux si clairs.

Elle ne broncha pas en y lisant, aussi clairement que dans un livre ouvert, une panique monstrueuse.

Ni lorsqu’il chancela, glissa au sol, les genoux dans le gel.

Ni lorsqu’il essaya, une nouvelle fois, d’arracher les doigts qui le bâillonnaient dans un inutile geste réflexe.

Ni lorsqu’il s’affaissa, façon poupée de chiffon.

Ni lorsqu’un givre délicatement irisé, aux motifs variés, s’attaqua à son visage.

Ni lorsque Murphy, doucement, comme pour ne pas le briser, enserra sa gorge un peu plus fort.

Morgane, songeuse, les mains dans les poches, se demanda soudain pourquoi elle ne faisait rien. Pourquoi elle ne bougeait pas.

Ho, et puis non. Cette question n’avait pas lieu d’être. Izac Médian méritait le sort que lui avait préparé la Grande Blanche. Il méritait cette fin savamment orchestrée dans les ruines d’un zeppelin écrasé aux fins fonds des tréfonds.

Elle fronça les sourcils. Comment savait-elle qu’il s’agissait d’un zeppelin ?

Intriguée, sans plus penser à Izac, elle prit conscience de la béatitude abstraite dans laquelle elle flottait. Comme si tous ses sens avaient été anesthésiés. D’abord par la rage, par l’amertume. Puis par le rien. Lequel avait entraîné l’autre ?

Indécise, elle chercha le regard bleu. Mais il s’était effacé. Le légendaire capitaine du Corbeau avait lâché prise. Peut-être avait-il trouvé là la punition qu’il attendait pour ses erreurs dévastatrices. Peut-être était-il rassuré de savoir que ses camarades morts allaient enfin être vengés. Peut-être se trompait-il sur toute la ligne.

Peut-être n’était-il responsable de rien.

Un choc électrique la traversa de part en part. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire ? Soudain, elle se prit à douter. Était-elle morte ? La Grande-Blanche était-elle parvenue à ses fins ? Paniquée, elle se mit à chercher frénétiquement les battements de son cœur, plaquant ses mains tremblantes sur sa poitrine. Non… Elle ne sentait rien… Où était-il ? Où était-il !

Enfin, elle l’attrapa du bout des doigts. La pulsation. Étouffée par l’épaisseur de ses couches de vêtements, par la torpeur étrange qui régissait l’endroit. Mais là. Bien là.

Il n’était pas encore trop tard pour elle.

Vous êtes vivante.

Elle était de nouveau dans un piège. Un autre piège, un piège plus doux. Plus vicieux. Un piège sur mesure qui s’alimentait de sa propre rage. Et il fallait qu’elle s’en tire. Maintenant.

Elle empoigna sa lanterne avec une telle violence qu’elle crut bien la briser.

- Non, Morgane. Intervint la voix de Murphy.

Au chevet de son capitaine qu’il tuait avec une douceur fraternelle, le matelot maudit lui jeta un regard presque suppliant. Elle sentit son cœur se serrer. Elle eut l’impression qu’il lui demandait de rester.

- Je t’ai ramené ta veste, Morgane. Je pensais que nous étions amis, à présent.

Elle retint son souffle. Sentit qu’elle avait envie de craquer. Puis…

- Les morts sont morts, Murphy. Ton monde n’est plus le mien.

Cette fois, en entendant sa voix, elle sut qu’elle avait retrouvé le contrôle. Dans les yeux du croqué, quelque chose changea. Comme si, toute entière, la Grande Blanche venait de comprendre que son piège avait échoué.

L’exilé se leva d’un bond.

Milante ne laissa pas aux choses le temps de se faire. Elle arma son poing et frappa de toute ses forces. L’homme tituba. Mais son regard fixe, stagnant, vide, ne quitta pas son objectif une seule seconde. Ce n’était pas un bête choc, ni même un coup surpuissant, qui empêcherait un mort de mener à bien ses projets.

Quand elle le vit bondir, bien loin de la lenteur aérienne qui l’avait habité plus tôt, elle eut à peine le temps de réagir. Elle se pencha, s’empara du chandelier qui reposait sur la commode et le lui fracassa sur le crâne. L’objet se brisa net. Murphy, le visage déchiré de plaies béantes et grises, n’en fut nullement ralenti et s’écrasa sur sa cible de tout son poids. Morgane chuta avec rudesse dans l’escalier. Son épaule blessée la fit hurler de douleur, puis les mains du maudit se plaquèrent sur son visage pour l’endormir à son tour.

Elle sentit un froid terrible, effrayant, envahir ses chairs. Elle eut l’impression qu’un monstre de glace avait croqué dans sa face et en avait emporté la moitié. Dans un vent de panique, elle arma son bras et frappa de nouveau. Ce qu’il restait de son chandelier, à savoir quelques pointes métalliques, se ficha avec un bruit mou dans le cou de l’exilé. Elle le fit basculer, échangea leur position avec un cri. Assise sur sa silhouette qu’elle clouait au sol de toute sa masse, elle enfonça davantage son arme improvisée dans la peau du croqué.

Il y eut un bruit mou et un drôle de gargouillis. Murphy, impassible, lui rendit son regard. Puis, d’un dernier coup, elle parvint à planter l’aiguille métallique dans la glace du sol.

À présent, la créature était coincée.

Chancelante, tremblante de la tête aux pieds, elle se redressa en claquant des dents. L’adrénaline la transissait de frissons, le froid l’attaquait de toute part. Enfin, ses yeux trouvèrent une ombre avachie. Recroquevillée sur le sol, mangée par le givre.

- Izac ?

Son appel resta sans réponse. Elle se laissa tomber à genoux, à ses côtés, lui effleura l’épaule d’une timide caresse. Est-ce qu’elle l’avait tué ? Est-ce qu’elle l’avait laissé mourir ? Cette pièce d’épave serait-elle témoin de la fin du colossal Izac Médian ?

Pourtant, il restait un souffle dans cette bouche endormie.

Alors elle posa sa lanterne et frotta énergiquement cette épaule gelée. Sous ses doigts, sous la chaleur qu’elle produisait, le givre s’effaçait. Elle chassa les cristaux de glace qui capturaient le visage du capitaine. Avec une douceur qu’elle ne se connaissait pas, elle l’arracha au sol qui déjà commençait à s’emparer de lui et le hissa contre elle.

Il lui fallait plus de chaleur.

Quand la tête du capitaine roula sur son épaule, elle prit conscience que ses vêtements étaient glaciaux.

Fébrile, elle lui arracha ses deux écharpes et les échangea avec les siennes. Aussitôt, le froid s’engouffra dans le col de sa veste. Mais peu importait. Sa culpabilité d’avoir, pendant un instant, voulu le voir mourir était si puissante, si oppressante qu’elle se fichait du danger.

Alors elle en fit de même avec ses gants et ceux du gelé. Et avec ses vestes, et avec ses bonnets. Et lorsqu’elle fut satisfaite du résultat, lorsqu’elle constata que quelques rougeurs s’en étaient retourné sur les joues de Médian, que sa respiration dans son cou se faisait plus hardie, qu’il n’était plus aussi froid qu’un glaçon, elle décida de le traîner hors de cet endroit.

__

Elle était habituée à transporter des charges lourdes. Mais son épaule était blessée et le capitaine pesait son poids. Elle ne put que le tirer jusqu’au corridor en grimaçant, y faire une pause pantelante, et l’amener enfin jusqu’au cœur du grand hall.

Là, en sueur, essoufflée, endolorie et gelée jusqu’aux os, elle se laissa choir à genoux et l’attira de nouveau contre elle. Elle savait que le peu de chaleur qu’elle dégageait pouvait faire toute la différence.

Figée, immobile, elle resta ainsi si longtemps que des mois entiers auraient pu s’écouler sans qu’elle n’en ait conscience. En boucle, claquant des dents, elle se posait la même question sans se lasser.

S’il mourait ici, ici dans ses bras, aurait-elle le courage d’abandonner son cadavre pour rentrer, seule, au camp ?

Elle en doutait.

Frustrée de devoir attendre sans savoir que cet homme ouvre les yeux, elle ne s’en voulut que davantage. Comme avait-elle pu vouloir sa mort ? Comment avait-elle pu vouloir la mort…

Elle en était encore à ses sombres réflexions quand il lui sembla le sentir sursauter.

- Izac ? Appela-t-elle d’une voix hésitante.

Il y eut un silence, puis…

- Morgane…

Elle sentit qu’il s’agitait. Cherchait à comprendre comment il était encore en vie. Comment il s’était de nouveau retrouvé dans ses bras. Puis, soudain, il s’arracha à son étreinte. Elle eut à peine le temps de se remettre du choc de le voir éveillé qu’un couteau se plaquait sous sa gorge.

Avec un hoquet d’horreur, elle écarquilla les yeux sous l’incompréhension. Elle sauvait ce pirate, et voilà qu’il la menaçait de mort ? Sonnée, elle ne pensa même pas à s’énerver.

Sans doute parce qu’elle sut en croisant son regard bleu translucide qu’il était sur le point de s’évanouir à nouveau. Alors elle attendit, immobile, qu’il se décide à parler.

- Tu es comme eux, n’est-ce pas ? Siffla-t-il entre ses dents.

Elle mit un moment à comprendre qu’il l’accusait d’être maudite et de l’avoir piégé. Interdite, elle se rendit compte qu’elle-même n’en savait rien. Puis elle sut que ça n’avait pas d’importance. Ni pour lui, ni pour elle. Elle avait manqué de le laisser mourir. À présent, elle pouvait être certaine d’avoir complètement perdu sa confiance. Cette idée lui arracha un rire amer, chargé d’ironie. Quelle belle réciprocité…

- Je ne sais pas. Répondit-elle enfin. Mais si je meurs sous ta lame, tu auras au moins la certitude que tu t’es trompé.

Il marqua un long silence, les lèvres pincées, les iris pétillants d’idées contradictoires que, cette fois, il ne s’embêta pas à masquer. Trop troublé ou trop fatigué pour cela ? Qu’est-ce que ça changeait… Elle sentit qu’il renforçait la pression sur sa gorge. Le métal trop froid mordit sa peau. Puis un chatouillis dérangeant dévala la pente de son cou.

Une perle de sang.

Voyant le sillon rouge qui se traçait sur la peau claire de la machiniste, Izac Médian daigna adoucir sa prise. Comme pour contraster avec ce geste, ses sourcils se froncèrent, assombrissant son regard.

- Pourquoi je ne suis pas mort ? Cracha-t-il, hors de lui. Pourquoi tu ne m’as pas laissé mourir !

Il lui sembla percevoir une pointe de détresse, dans son hurlement dangereux. Elle se ressaisit. Le froid, le choc, l’adrénaline perturbait ses sens. Elle devait garder l’esprit clair.

Elle sut qu’elle n’avait aucune envie de lui répondre vraiment. Elle refusait de lui avouer que si elle était allée jusqu’au bout de rien, que si elle n’avait eu aucune réaction, elle en serait morte sans doute autant que lui. D’horreur, de culpabilité.

Quand elle ouvrit la bouche, ce fut dans le but de l’atteindre.

- Je n’ai eu besoin de personne pour me rappeler que ce n’était pas juste.

Il grinça des dents, la fusilla du regard. Il lui sembla que sa rage était surtout née de la peur. Avait-il, durant un instant, ressenti cette terreur instinctive qui broie les boyaux de quiconque se voit confrontée à sa propre fin ? Avait-il, quelque part dans son étrange résignation, craint d’être seul ? De ne recevoir aucune aide ?

Enfin, il arracha sa lame à sa peau. La fit disparaître avec autant d’habilité qu’il l’avait sortie. Se redressa un peu vite, chancela un instant, puis la fixa longuement.

- J’ai cru que tu allais me laisser. Avoua-t-il avec froideur, de la même manière qu’il aurait commenté la météo.

- Dans ce cas, nous sommes quittes.

Il fronça le nez, l’air dégoûté, grogna quelque chose, puis ouvrit la bouche.

- Visiblement, je t’en dois encore une.

Prononcer cette seule phrase sembla lui écorcher la gorge. Frustrée par son manque évident de reconnaissance, furieuse de se sentir coupable, elle se leva d’un bond.

- Si ça te dérange, je peux te buter tout de suite ! Rugit-elle à quelques centimètres de son visage. Ça t’apprendra la politesse, connard !

Elle s’empara de sa lanterne et s’éloigna à grands pas, ses jurons résonnant dans les lumières du grand hall.

- Pas un merci, ça serait trop civilisé pour ta gueule de taulard ! Pesta-t-elle, pressée par la nécessité absolue de sentir sa rage sortir. Non, toi, tu préfère de morfondre et te plaindre, hein ? C’est tellement plus facile ! J’aurais pu t’y laisser, moi, dans ton cercueil ! Si tu veux, on y retourne ! Capitaine de mes deux ! J’aurais pu t’y laisser…

Elle sentit sa voix s’érailler sur la fin de sa phrase et elle se figea, vidée d’énergie. Et par les morts, qu’elle avait froid ! Elle jeta un regard en arrière, vérifiant qu’Izac l’avait bien suivie. Il était juste derrière, mais si elle avait une foulée rapide et ample, lui semblait sur le point de tomber en morceau.

C’était frappant, la différence qu’il y avait entre son regard et son corps. Il restait, toujours, dans ses iris stupéfiants, une telle énergie et une telle force qu’elle ne l’imaginait pas flancher une seconde. Pourtant, elle dut bien admettre qu’elle ne pouvait pas le traîner à ce rythme sur tout le trajet sans devoir craindre de le voir s’effondrer comme une masse. Alors elle s’efforça de ralentir et, à contrecœur, elle reprit sa marche à ses côtés.

Ils progressèrent ainsi longtemps. Muets, silencieux, chacun plongé dans ses réflexions et ses hantises. Aucun ne chercha à masquer son soulagement lorsqu’ils quittèrent enfin les lumières du grand hall et s’éloignèrent dans l’obscurité des boyaux de la Grande Blanche. D’ailleurs, ils ne rompirent le sceau tendu de leur mutisme que dix minutes plus tard, quand la lampe torche d’Izac se fut rallumée dans un grésillement fatigué.

- Est-ce qu’on peut… Commença-t-il, hésitant. Est-ce qu’on peut s’arrêter un instant ? J’ai la tête qui tourne.

Morgane constata, non sans surprise, qu’il faisait un effort colossal pour se montrer courtois. De toute évidence, lui demander cette faveur au lieu de la lui ordonner, et ce sans se montrer désagréable, était pour lui une difficulté.

Pour toute réponse, elle se figea et se laissa aller contre le mur. Là, elle glissa jusqu’au sol et s’y assit, prenant conscience qu’elle était épuisée.

Il l’imita en grimaçant, puis renversa la tête en arrière et ferma les yeux. La machiniste l’observa du coin de l’oeil, vérifiant qu’il ne s’endorme pas. Il avait repris quelques couleurs. De ses traits, prisonniers entre la fourrure de sa capuche et les écharpes dans lesquelles elle l’avait enroulé, elle ne voyait que les yeux et c’était suffisant. La ligne gracile de ses cils profondément noirs. La courbe sévère, agaçante par son tempérament, de ses sourcils. Et la marque creusée, boursouflée de sa cicatrice, rendue plus crue encore par les lumières des lampes.

Soudain, il rouvrit les yeux. Ses deux iris, perles dans l’obscurité, s’éveillèrent avec une brutalité qui ne le définissait que trop bien. Elle s’était mise à claquer des dents.

- Tu as froid. Constata-t-il.

- Quel observateur tu fais ! Pesta-t-elle. Oui, j’ai froid. Tes vêtements sont gelés.

Il fronça les sourcils, l’inspecta du regard comme pour une première fois.

- Pourquoi portes-tu mes vêtements ? S’étonna-t-il.

- Je te l’ai dit, ils sont gelés. Si tu les portais encore, tu en serais sans doute au stade du cadavre. Il faut y aller, je ne sens plus mes pieds.

Il se leva.

- Très bien, mais récupère l’une de tes écharpes.

Sans lui laisser le temps de protester, il joignit le geste à la parole et lui fourra une pièce de laine dans les bras. Elle se débarrassa de celles qu’elle portait. Dès qu’elle enroula autour de son cou le vêtement encore chaud, elle sentit sa peau frissonner de bonheur. Puis ses dents claquèrent de plus belle.

- Qu’est-ce que tu… ? S’indigna Izac, la voyant arracher ses bonnets et ses gants sans ménagements.

- Ça me tient froid. J’ai tellement froid !

Le balafré s’empara de sa main droite pour l’élever à hauteur de regard sans ménagements. Une douleur sourde la fit tressaillir. Sous les pansements de Nina, ses engelures s’aggravaient. Une peur panique s’empara de son cœur. Izac retourna sa main entre la sienne, scrutatrice, puis ouvrit la bouche pour exprimer ce qu’elle pensait au détail près.

- Une mécano sans doigts ne sert à rien. Prends mes gants, et bougeons-nous.

Il ne lui laissa ni le temps de discuter, ni de réagir. L’instant d’après, elle avait les doigts enfilés dans une laine encore tiède et le capitaine s’éloignait, un peu plus vite, l’air pressé.

Elle commençait à le connaître assez pour savoir que cette attention n’était en rien une manière de rattraper son ingratitude ou ses indifférences sinistres. Il s’occupait d’elle comme d’un membre blessé de son équipage. Il était inquiet. En fin de compte, n’était-ce pas là une bien meilleure évolution ?

Le froid la rattrapant, elle lui emboîta le pas.

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