Chapitre 15 (fin de la partie 3)
Chloé, Lili, Idriss et Mathéo rentrent au camp pour l'émission de radio. Ce soir, c'est au tour de Sylvain de mitonner le repas. Le désherbage s'est bien passé et les jeunes ont préparé des crêpes. Quand Lili et Chloé arrivent au studio, Angèle est en train de raconter comment s'est déroulé son après-midi, et surtout ce qu'elle a appris au jardin. Manu invite les auditeurs à téléphoner pour partager leurs expériences "culturelles" avec Angèle. Lili donne des nouvelles de la ressourcerie et lance un appel concernant des fonds de pots de peinture pour son buffet. Chloé décrit les nouveaux dépôts, en particulier un ensemble de fauteuils en rotin, idéal pour une terrasse, et s'engage à mettre une photo dès ce soir sur le site. Ils passent quelques morceaux de musique sélectionnés par Romane, ce qui ne correspond pas exactement à la programmation habituelle. Les auditeurs qui appellent ont une moyenne d'âge de quatorze ans, une grande première très rafraîchissante. À dix-neuf heures, tout le monde est réuni autour de la table, les enfants sont très fiers et enchantés de leur journée. Manu émet la possibilité de leur ouvrir l'antenne plus souvent. Angèle propose immédiatement de parler du collège le lendemain : « parce que c'est trop nul ! » Tout le monde s'amuse beaucoup à écouter les doléances de cette rêvolutionnaire en herbe.
— Si nous laissons faire cette gamine, demain nous aurons des montagnes de cahiers sur les places publiques ! s'amuse Mathieu.
— Et toi Romane, qu'est-ce que tu en penses ? demande Manu.
— Je fais une playlist de musique pour demain.
— Moi, je sais faire marcher les micros et envoyer la musique, intervient Juju.
— Et bien voilà, avec Juju à la technique, l'équipe est au complet ! Bon ben les gars, je crois que vous êtes en train de vous faire piquer votre place par la nouvelle génération, ricane Mathieu.
— Après tout, pourquoi pas ? Laissons-leur les commandes et allons à la plage ! propose Sylvain.
— En tout cas, c'était un moment délicieux, s'extasie Manu.
Sur ce, Mathieu se lève, ébouriffe Juju et annonce :
— Les amis, je rentre. Au fait, j'ai pris rendez-vous chez le notaire pour la semaine prochaine, faut que nous avancions sur le projet concernant la ferme. Chloé peux-tu le noter sur le tableau ? Ce sera jeudi prochain à quinze heures. J'aimerais bien que l'un de vous m'accompagne.
— Bien sûr Mathieu. Je note aussi une discussion à ce sujet demain soir et une autre mercredi prochain pour faire le point avant ton rendez-vous.
— C'est vrai que j'ai eu pas mal de contacts au marché et toi aussi Manu à la radio, non ? renchérit Sylvain.
— Oui. J'ai tout noté quelque part...
— Moi aussi, j'ai vu arriver des projets dans la boîte mail du site, dit Louise.
— C'est bien. Allez, bonne nuit la compagnie.
— Bonne nuit Mathieu, à demain. Tu passeras le matin ?
— Oui, j'emmène les gamins au village chercher le pain, c'est convenu avec les filles et Juju.
Sylvain et les mômes se collent à la vaisselle avec Louise et Carine. Demain ce sera aux deux frangines de se mettre aux gamelles. Tous les autres ont regagné leurs pénates, le calme s'est installé dans le camp. Après une journée bien remplie et un bon repas, chacun se retire dans son coin assez rapidement. C'est aussi cela la vie en communauté, des moments d'isolement.
Chloé termine de charger les photos sur le site de la ressourcerie. Elle répond à quelques mails de personnes intéressées par l'appel à projets concernant la ferme et note leurs coordonnées. Un message attire plus particulièrement son attention. Un couple, avec deux enfants, diplômé en agriculture, avec de l'expérience, veut s'installer en bio pour monter une ferme traditionnelle : vaches, poules, cochons, lapins. Une ferme typique du début du vingtième siècle, celle de ses grands-parents. Il y a aussi une éleveuse de brebis et un naturopathe qui souhaite produire des plantes médicinales. Toutes ces personnes semblent très motivées et compétentes. Le choix ne sera pas facile mais enrichissant humainement. Elle opère déjà une première sélection, ne gardant que l'agriculture biologique, cela avait été précisé, mais il y a aussi quelques demandes en agriculture raisonnée. Quand elle éteint l'ordinateur et propose une infusion à Mathéo, il lui montre ses croquis de girouette.
— J'aime bien celle-ci, avec les formes géométriques.
— Ce sont des idées, je ne sais pas si elles seront réalisables, un point de départ. Demain Idriss doit m'initier à la soudure, j'espère que je ne me suis pas trop mélangé dans le tri des métaux.
— Demain matin, je resterai ici. Je veux aller glaner des plantes et préparer des sachets de tisane avec celles qui sont sèches. Nous en vendrons la semaine prochaine sur le marché. Il va me falloir de la place pour étaler la verveine citronnée, les pieds sont magnifiques, je vais commencer la récolte.
— Elle est délicieuse celle-ci ! Qu'as-tu mis dans ta potion ?
— Mélisse, coquelicot et verveine, cela détend et aide à dormir.
— Parce que tu veux dormir, toi ?
Il se lève, rejoint Chloé assise de l'autre côté de la petite table, l'enlace et l'embrasse. Elle se blottit contre lui et pose sa tête sur son épaule.
— Tu sais Chloé, la semaine qui vient de passer est la plus heureuse de toute ma vie.
— Vraiment ?
— Tout n'est que pur bonheur ici avec toi. Je vis comme dans un rêve.
— Un rêve que nous faisons tous ensemble et qui du coup devient une réalité. C'est magique ! Il suffit de penser les choses pour qu'elles existent, mais il faut les penser à plusieurs. C'est ce que nous avons tous découvert ici, grâce à cette expérience.
— Il faut le vivre pour le croire.
— Oui, il faut expérimenter pour savoir. Tant que tu ne vis pas les choses elles n'existent pas vraiment, ça reste des concepts, c'est aussi simple que cela.
— En tout cas, d'être tombé sur toi l'autre jour, je n'en reviens toujours pas...
— Sans doute devions-nous nous rencontrer, c'est la vie qui décide. Nous avons quelque chose à faire ensemble qui va nous permettre d'évoluer tous les deux. Nous avons à apprendre l'un de l'autre.
— Pour moi c'est clair, mais toi, qu'est-ce que je peux t'apporter ? Je me sens redevable.
— Quelle drôle d'idée, tu ne me dois rien ! Tu as ressuscité une partie de moi que j'avais laissée mourir. Je n'avais plus fait l'amour depuis des années. Je n'en éprouvais ni l'envie ni le besoin et toi tu as remis tout cela en route. Crois-moi, c'est précieux.
— Je t'aime Chloé.
— Tututute... Non, tu aimes le bonheur, tu aimes l'état dans lequel tu te sens, tu aimes ce que tu envisages, tu aimes la vie. Moi, tu ne me connais pas. Tu crois que tu m'aimes parce que je suis le déclencheur de tout ça.
— Qu'es-tu en train de me dire, que je ne t'aime pas, ou que tu ne m'aimes pas ?
— Je dis que l'amour c'est pas ça. En huit jours, ou huit semaines, ou huit mois on ne peut pas aimer quelqu'un. On peut simplement avoir envie de continuer de l'accompagner et partager des moments avec lui. L'amour n'est ni un besoin, ni une envie, ni un coït, l'amour c'est un cadeau ! Aimer quelqu'un c'est lui donner tout en échange de rien. Et je crois que pour en arriver là, c'est long. Aimer implique beaucoup d'engagements, cela ne devrait jamais être dit à la légère... Pour moi l'amour c'est un gland, dit-elle avec malice. Il faut beaucoup de temps pour qu'une toute petite graine devienne un chêne solide et vigoureux. Il faut beaucoup d'attention, de soin et de persévérance. Si le mot amour n'était pas utilisé à tort et à travers, cela éviterait bien des malentendus et bien des souffrances. Moi, je ne veux vivre l'amour qu'un jour après l'autre, au présent seulement, et que tous ces moments remplissent ma vie.
— Comment te dire ce que je ressens pour toi si je ne peux pas te dire que je t'aime ?
— En t'efforçant d'entrer dans les détails, tout en finesse et avec précision. Par exemple, je peux te dire que là, tout de suite, je suis bien, blottie dans tes bras, que cela me détend, me rassure, que je me sens en sécurité. Je peux te dire que j'aime ton odeur, ton visage, ce que je vois dans tes yeux. Que je désire sentir ta peau contre la mienne, ton corps dans mon corps et m'endormir près de toi.
Mathéo, ému et troublé, soulève Chloé et l'emmène dans la chambre. Il est fou de désir pour cette femme qui sait déclencher chez lui des explosions de sensations. Elle lui transmet une vision de la vie qui transforme tout en or pur.
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