La porte
Toujours, il y a une porte, une simple porte, toujours la même, un peu usée, un peu écaillée, comme la peau d’un vieux lézard. Elle ne donne pourtant jamais sur le même paysage, le même lieu ; c’est une porte magique, sans doute, et cela ne rend pas les choses simples pour se retrouver. Mais c’est la seule porte par ici. Je me tenais devant, comme toujours, la main sur la poignée, attendant qu’il soit l’heure, me demandant où j'atterrirais. Le temps s’écoulait par la serrure, comme des grains de sablier. Les secondes venaient glisser sur ma peau, certaines se perdaient pour toujours dans mes manches trop larges, d’autres disparaissaient dans les spires du passé. Quand c’est l’heure, je le sens aussitôt, les secondes n’ont plus ni la même couleur, ni la même douceur, c’est comme comparer la caresse d’une plume de mésange à celle d’une moustache de chat. Cette fois encore, je ressentis l’infime changement, je tournai la poignée.
La porte menait à la plage. Grenadine bronzait, adossée au palmier nain, les pieds en éventail sur le ventre de sa tortue. Celle-ci tentait de se redresser, secouant ses nageoires sur la pelouse jaunie par la canicule. Grenadine, arrête de torturer cette pauvre bête, la grondait Clapotis, depuis le Jacuzzi. La mousse faisait de grandes bulles en soufflant dans les voiles au lieu de récurer le pont. Je me suis dit que ça allait mettre l’amirale en colère, j’ai préféré prendre les jambes de la porte en sens inverse. Le chalet brûlait dans la cheminée, les braises roulaient sur le tapir, qui s’en chatouillait bien le palmipède comme de sa première fourmilière. Au plafond, les enfants jouaient dans la piscine, leurs éclaboussures débordant sur le lustre des étés éteints. Bleuenn avait installé le ventilateur sous l’œil de bœuf et péchait au cerf-volant dans le ciel. Elle avait déjà capturé trois zéphirs et une tourterelle bleue. La porte s’était fondue au décor, j’ouvris le parquet pour monter vers la cuisine ouverte. Sésame y recousait ses cousins préférés, ceux avec les fleurs aux coins des lèvres et des plumes dans le ventre. Je souris au chat qui, pacha fautif, admirait sa griffe de fieffé félin, fièrement avachi sur son divin divan.
J’entrai dans l’armoire à pharmacie où des pyramides de gypse attendaient de soigner les plaies solitaires. Dans le coffre, des valises n’avaient d’yeux que pour une malle un brin ténébreuse, toute d’ébène polie et à l’humour en bandoulière. Au balcon, j’observai le lointain horizon s’émailler dans sa porcelaine de Troie, les montagnes et leurs valets attendre le téléféérique au bord de la voie lactée, les forêts prendre racine sous un vol de corneille acidulées. Une main vint se glisser dans ma nuque, comme une araignée, je me retournai vers l’Aube, à peine sortie du lit, la tête encore pleine de brouillard. Elle guettait l’Ivoire et l’Ambre qui bientôt apparaitraient. Moi, je préférai m’éclipser avant le jour, non pas qu’Ivoire, plus clair, me déplut, mais la flamboyante Ambre prenait souvent la mouche dans ses bas résines. Sur la pointe des pieds, je filai, entrechats et loups, comme une ombre de carnaval dans la rousseur de la nuit évanouie.
Dans la gare, Cecil tirait à l’arc-en-ciel des ricochets dans le vase des verveines pourpres. Je me suis installé près de lui, pour l’observer, l'instant d'un rebond. Autour de nous, quelques vieux nuages somnolaient d’ombres sur les bancs de sable clair, un œil cotonneux rivé sur les aiguilles de l’immense éolienne, attendant l’heure du prochain vent pour l’Irloinde ou l’Austrèle. Il y avait Cyrus et Magellan, et d’autres sans nom mais pleins de pluies et d’orages. Dans les couloirs aériens, par delà les mauves et les écumes, parfois, l’on trouvait la marche. Une simple marche d’atmosphère que l’on pouvait descendre ou monter, selon notre envie, et sans que cela ne nous mène ailleurs. Non, pour découvrir l'abîme d’Azur, la cache aux hirondelles de l’été, le saint des saints des firmaments, il fallait débusquer le reflet fugitif de la marche dans le miroir sans ride d’un lac d’altitude pris au piège dans la glace d’une fin d’hiver. Il ne restait alors qu’à attendre que le reflet de la marche à suivre ne fondît sous les notes ensoleillées du prélude au printemps pour accéder à l’Outreciel.
L’on dit que les soleils y sont innombrables et minuscules, comme autant de lucioles aux rayons de miel et d’ombrelle. L’on dit que les hirondelles de l’été y dansent des sarabandes mordorées, à la poursuite des astres comme d’insectes de lumière, qu’elles nichent dans des berceaux de nacre aussi fins et légers que des bulles de savon et que le vent emporte au gré de ses fantaisies. C’est ce qu’on m’a raconté, moi, je n’y suis jamais allé. Une fois, une seule, alors que j’avais pris une tramontagne avec Cecil, nous avions trouvé le reflet de la marche. Il s’était fait prendre dans la glace tardive d’un mois de mars, alors qu’il se baignait dans un tout petit lac aux eaux indigos, perdu au faîte d’un col enneigé. Notre joie fut telle que nous restâmes là, sur le givre, observant le chatoiement prisonnier sans penser à monter campement. Nous nous armions de patience mais le printemps n’était pas plus pressé que nous d’arriver. Tant et si bien que le froid avait fini par me réveiller.
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