Divergence
C'est le cœur lourd et submergée d'une colère incontrôlable que Hanna quitte la demeure du préfet. Ses dernières paroles ne cessent de tourner en rond dans sa tête : je suis le préfet, par conséquent, je suis intouchable.
" Personne n'est intouchable, pense-t-elle, écœurée par cet être immonde. "
Après avoir rejoint la ville, il ne lui faut pas longtemps avant de trouver un taxi qui la ramènera au bureau. Une fois dans le véhicule, l'adrénaline redescendue, elle commence à peine à ressentir une douleur au-dessus de son œil, n'ayant même pas senti que du sang avait coulé sur son visage.
Elle ouvre alors son sac et se saisit de son miroir de poche avant de s'observer dedans. C'est à ce moment-là qu'elle aperçoit l'état de son arcade. Elle prend un mouchoir et essuie le sang qui a presque déjà séché.
« Comment vais-je pouvoir expliquer ça ? »
Elle continue d'essuyer le liquide rouge sur sa joue et maintient une pression sur sa blessure afin d'arrêter le saignement, priant pour qu'elle n'ait pas besoin de recevoir de points de suture.
Après plusieurs minutes, elle retire le tissu de sa blessure et se regarde une nouvelle fois dans son miroir. Soulagée de constater que le sang a cessé de couler, elle examine la plaie d'un peu plus près, constatant qu'une ecchymose est déjà en train de se former.
Elle défait alors la pince de ses cheveux et les laisse retomber, faisant en sorte que l'on ne puisse pas voir sa blessure. Elle les maintient en place avec sa barrette et lance un dernier regard à son reflet.
« Ça fera l'affaire, se rassure-t-elle tout en replaçant correctement sa mèche de cheveux pour camoufler le désastre. »
Arrivée au travail, elle se rend directement à son poste et y dépose ses affaires. Elle attrape ensuite le dossier de l'affaire en cours et se rend aussitôt au bureau de son mentor, espérant qu'il soit présent. Devant sa porte, elle frappe deux coups avant d'entrer, après y avoir été invitée.
Elle s'avance vers McMillan qui a le nez plongé dans des documents, l'air concentré. Mal à l'aise de devoir le déranger, elle continue pourtant de s'avancer vers lui, ne pouvant pas rester les bras croisés face au monstre qu'est monsieur Parker.
« Avez-vous quelques minutes à m'octroyer, s'il vous plaît ? Se risque-t-elle à demander alors qu'il ne daigne même pas relever son visage vers elle.
— Comment s'est passée votre entrevue ? Lance-t-il soudainement.
— Mon entrevue ? Répète-t-elle, déstabilisée par sa question.
— Avec monsieur Parker, dit-il froidement lorsqu'il pose un regard furieux sur elle. »
Hanna, prise au dépourvu par le comportement de Logan, hésite à répondre, lorsque celui-ci se lève pour la rejoindre, les mains dans les poches de son pantalon. Il se place face à elle, plonge son regard dans le sien, avant de l'observer quelques secondes. Il reprend ensuite la parole.
« Comment pouvez-vous ignorer qu'il s'agissait du préfet ? Comment un procureur peut avoir manqué ceci ? Que faisiez-vous avant d'être transférée dans mon service pour être aussi ignorante ? Hum...
— D'aussi loin que je me souvienne, la politique ne m'a jamais intéressée, répond-elle tout en le fixant droitement.
— Mauvaise réponse, surénchérit-il avant de lui tourner le dos pour regagner son bureau.
— Il est coupable, vous le savez, n'est-ce pas, poursuit-elle assurément alors qu'elle le rejoint.
— Quelles preuves avez-vous ?
— Justement ! Hausse-t-elle soudainement, ce qui interpelle son interlocuteur qui s'arrête dans son élan. Les preuves que nous avons dans le dossier ne peuvent pas être révoquées. Elles sont même plutôt accablantes, alors je...
— Alors quoi, la coupe-t-elle brusquement tout en lui refaisant face. Avez-vous une quelconque preuve qui relie monsieur Parker à ces crimes ? Avez-vous le moindre doute de sa culpabilité ?
— Je n'en ai aucun, lâche-t-elle avec assurance. Il est coupable.
— Sur quoi vous basez-vous pour confirmer sa culpabilité ? A-t-il fait des aveux lors de votre visite ?
— Oui, crache-t-elle sans ménagement alors que ses poings se serrent mécaniquement, ce que ne manque pas de remarquer Logan.
— Où sont-ils ? Avez-vous obtenu des aveux écrits ? Audio ? Visuels ?
— Non, mais je...
— Donc, vous n'avez rien, mademoiselle Fields, la coupe-t-il à nouveau.
— Je trouverai cette preuve et je vous l'apporterai moi-même, reprend-elle sur un ton plus que déterminant.
— Comment ? Demande-t-il alors qu'il s'avance vers elle, s'arrêtant à quelques centimètres de son visage.
— Le crime parfait n'existe pas, affirme-t-elle, les mâchoires serrées. Il y a forcément quelqu'un qui a fait une erreur, continue-t-elle tout en secouant le dossier devant ses yeux. Il y a une faille et je la découvrirai. Je prouverai que monsieur Parker est le coupable.
— Ensuite, l'interroge-t-il amèrement. Que ferez-vous ensuite ?
— Je ferai mon travail et l'amènerai moi-même devant la cour.
— Et ensuite ? Répète-t-il, faisant tout pour déstabiliser la jeune femme, qui pourtant, ne se laisse pas démonter.
— Qu'attendez-vous comme réponse de ma part, monsieur McMillan ? Il est intouchable parce que c'est le préfet. C'est ce que vous essayez de me faire comprendre, poursuit-elle alors que la colère prend progressivement possession de son corps.
— C'est parce qu'il est le préfet qu'il est intouchable, répond-il sèchement. Si vous ne saisissez pas la nuance, alors vous n'avez rien à faire au bureau des procureurs. Et encore moins dans le mien. Je n'ai pas envie de perdre mon temps avec une novice. »
La jeune femme ne dit rien, même si elle bouillonne de l'intérieur. Elle doit réaliser un effort surhumain afin de ne pas lâcher sa colère sur son supérieur. Ses poings se serrent davantage, ses jointures blanchissent sous la force qu'elle y emploie, tandis que ses ongles s'enfoncent dans la chair de ses paumes. Logan, quant à lui, reprend place derrière son bureau, reportant ses yeux sur son écran, ignorant une nouvelle fois sa recrue.
Exaspérée par son comportement, elle soupire bruyamment avant de lui tourner le dos. Elle commence à partir, lorsque, arrivée à la porte, la main sur la poignée, elle s'arrête et reprend la parole.
« Il y a quelque chose que j'aimerais comprendre, commence-t-elle à dire avant de se tourner vers lui.
— Laquelle ? Demande-t-il alors sans retenue tandis qu'il la fixe.
— Combien ? Combien monsieur le préfet vous a-t-il payé afin d'étouffer cette affaire ? Je suis vraiment curieuse de connaître votre réponse, monsieur le procureur, continue-t-elle tandis qu'elle prononce son statut avec un goût amer en bouche. Je ne peux pas croire que vous soayez ce genre de personne. Pas après votre parcours exemplaire. Alors, dites-moi, procureur McMillan, combien avez-vous touché ?
— Mademoiselle Fields ! Hausse-t-il sévèrement tout en tapant du poing sur le bureau.
— Je suppose que nous le saurons bien assez tôt, pas vrai ?
— Ne dépassez pas les limites, Hanna, sinon je...
— Je refuse de croire qu'il y ait un monstre caché derrière chaque être humain, conclut-elle en lui lançant un dernier regard méprisant, mélangé à de la tristesse. »
Sur ces dernières paroles, Hanna quitte son bureau sans même se retourner. Logan, lui, paraît visiblement agacé, même si énervé serait plus juste, par les mots de celle-ci. Il n'arrive pas à rester en place. Furieux, il se lève et fait les cent pas dans son bureau. Pourtant, malgré sa colère naissante, un sourire étire ses lèvres. En effet, en repensant aux mots et au tempérament de la jeune femme, il sait qu'elle sera une adversaire redoutable. Prêt à prendre le pari pour la mettre au défi, il prépare déjà la mise en scène de son prochain plan d'action. C'est à partir de ce moment-là, et uniquement à cet instant, qu'il saura si Hanna Fields est avec ou contre lui.
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