VII.3 - 11h06
“Vous vous rendez compte, Jiēshòu ?! jubile Xiǎo Tào.
— Je me rends compte que vous ne regardez pas la route devant vous, oui !
— Cet entretien valait de l’or !! Le schnock nous a donné tout ce dont on aurait pu avoir besoin.
— C’est vrai ! En parlant de ça, j’ai noté un élément qui pourrait vous intéresser.
— Je vous écoute dès qu’on arrive, je préfère ne pas diviser mon attention entre la route et vos paroles.
— Comme vous voulez. Quant à moi… j’aimerais comprendre cette histoire de faux procès, car c’est bien de ça qu’il s’agit, n’est-ce pas ?
— Vous savez quoi ? Allons au billard, Jiēshòu : on en parlera là-bas.
— Hier, le restaurant chic, aujourd’hui le billard… Vous cherchez à m’acheter ?
— Cessez d’être rabat-joie, ça nous fera le plus grand bien. En attendant qu’on arrive…
— Ha, Zhī-Lì m’appelle.”
Une photo de lui à la plage en tenue flamboyante apparaît sur l’écran de ma micro-tablette. Je prends l’appel.
“Salut, Jiēshòu.
— Salut, Zhī-Lì. Je suis désolée d’avoir zappé…
— Hm… Tu sais… je comprends que tu soies occupée depuis la mort de Shēng Mìng, mais j’aime pas le fait que tu m’aies zappé, comme tu dis.
— C’est vraiment pas contre toi, je te jure. C’est juste que…
— Tu passes ton temps avec le flic, je sais. Enfin, j’espérais quand même que tu t’y prendrais pas si brutalement.
— Je suis vraiment désolée. Je suis en route pour aller faire un billard, est-ce que tu veux venir ?
— Il est là ?
— Oui, pourquoi ? On a eu un entretien avec quelqu’un d’important, je te raconterai.
— Bon… d’accord. Envoie-moi l’adresse, j’ai pas une grosse clientèle aujourd’hui, je peux laisser l’androïde s’en occuper.
— On arrive dans trente minutes environ.
— C’est noté, à tout à l’heure.
— Merci, Zhī-Lì.”
***
Un robot à l'effigie du Roi Singe se tient sur le toit du salon à son nom et nous souhaite la bienvenue.
“Paix et Honneur, Zhī-Lì ! lance Xiǎo Tào devant les portes.
— Paix et Honneur, répond sèchement ce dernier.
— Je suis vraiment désolée, tu sais.
— Bah ! On n’a qu’à dire que c’est de l’histoire ancienne.
— Voilà une bonne idée ! Vous savez jouer au billard, Zhī-Lì ? demande le policier.
— Haha ! Je vous laisse le découvrir.”
Je suis contente de voir un sourire reparaître sur ses lèvres.
“Zhī-Lì est un habitué d’un salon à côté des Halles, je ne donne pas cher de nos peaux face à lui.
— Eh bien, sachez que j’aime les défis !” répond Xiǎo Tào.
À l’intérieur, un hôte déguisé en garde du deuxième siècle nous accueille ; sous une casquette chromée, ornée de l’emblème de la faction des Derniers Présidents, son visage doté d’une barbe fournie est engoncé dans une tenue à col Mao en soie, ornée çà et là d’emblèmes qu’on ne retrouve plus que dans les musées. Lorsqu’il quitte son comptoir pour nous accompagner vers les tables de billard, il révèle un pantalon bouffant et une paire d’épaisses bottes en caoutchouc.
Nous passons d’abord par une artère constellée de dàn zhù jī*, où les billes tournoient si fort que l’on croirait entendre une ruche entière bourdonner dans nos oreilles. Seul le vacarme des mains surexcitées des joueurs parvient à recouvrir partiellement le bruit. Le cerveau grillé par tant de paris, ils passent du rire aux pleurs dans la seconde.
Je reconnais dans l'expression de certains regards la détresse qui apparaît parfois sur le visage des clients ; drogués au sexe comme d'autres le sont au jeu. Combien de circuits dopaminergiques ont été abîmés ou même brisés à cause du métier ? Combien d'hommes est-ce que j'ai laissés ainsi, le cerveau bousillé par le manque de mon corps ?
Après l'artère viennent les tables de poker, de blackjack et d’une spécialité du salon (d’après notre hôte) : le guówáng jīhuì*².
Retour au calme. Une tension extrême règne dans la pièce, alors que les voix discrètes des croupiers font et défont une à une les fortunes des joueurs autour des tables. Un écran LED représente le Roi Singe, avec, à ses pieds, les nombres de points marqués en gros chiffres.
Sous une casquette de vieil ouvrier, il me semble apercevoir le visage d'un client dans l’homme qui mène le jeu : si timide lors de nos rendez-vous et aujourd’hui si confiant, un sourire narquois sur le coin des lèvres, tandis que la sueur noie les fronts de ses opposants.
“Si Mesdames et Messieurs veulent bien me suivre”, susurre l’hôte, avant d’ouvrir deux grandes portes de chêne affublées du numéro 8 en calligraphie classique.
Une table verte feutrée, de larges queues accrochées au mur, mais, surtout, une énorme peinture statique de Sun Wu Kong*, l’air joyeux.
“Mesdames et Messieurs disposent d’une télécommande accrochée de ce côté-ci au mur. Sachez que la télévision réagit également aux commandes vocales. Si vous souhaitez commander des boissons, vous pouvez aussi le faire via ce petit appareil. Il suffit d’appeler l’accueil. Pour ce qui est de la note…
— Oh, ne vous embarrassez pas avec ça, c’est moi qui invite.
— Monsieur est généreux. Soit. Elle sera directement prélevée sur votre compte lorsque vous quitterez la salle. Bon jeu à vous !
— Merci, lâche Zhī-Lì, une queue de bois dans la main.”
Xiǎo Tào propose de m’aider à me dévêtir et pose nos vestes sur un porte-manteau taillé en forme de bec de cigogne.
“Début de la partie, ordonne-t-il.
— Bien ! Haha ! Partie débutée !” répond une enceinte taillée dans la bouche du singe.
Nos trois noms apparaissent en caractères holographiques devant la peinture, soulignés par le nombre de boules nous restant à entrer. Une portion de la table s’affaisse avant de ressortir, chargée de ces dernières.
“Quel sera l’ordre des joueurs ? demande l’enceinte.
— Moi, Zhī-Lì, puis Xiǎo Tào.”
La boule blanche apparaît devant moi, et je suis invitée à casser. D’un coup sec, je fais éclater la formation triangulaire et parvient à faire rentrer une première boule à bandes.
“La chance du débutant, grogne Zhī-Lì.
— Possible, voyons si elle me suit jusqu’à la victoire, hein ?”
Il sourit puis demande à la télévision de lancer une chaîne de musique. Un homme baraqué en tenue mongole entame un chant de shaman-opéra. Alors qu’il vise dans un angle improbable, Zhī-Lì demande :
“Cet entretien, du coup ?
— Ha ! Eh bien, Xiǎo Tào a rencontré le chef des shouddhs en personne.
— Sérieusement ? demande mon ami en tirant un coup sans parvenir à rentrer aucune boule.
— Je suis le premier surpris, confesse Xiǎo Tào. Il nous a fourni des informations cruciales. Nous sommes désormais sûrs de l’implication de Menxiang Shiyé dans les assassinats.
— Attendez, quoi ? Vous me faites marcher, là.
— Et pourtant, les preuves sont là, noir sur blanc. Māo Tóu Yīng m’a tout confirmé.
— Il vous a tout avoué, comme ça ? Ça me paraît invraisemblable.
— Il faut croire que la sénilité rend généreux ? sourit Xiǎo Tào en envoyant l’une des boules de Zhī-Lì dans un trou.
— Ha ! Merci du cadeau.
— Xiǎo Tào, vous m’aviez dit dans la voiture que vous m’expliqueriez, pour ce faux procès.
— Bien sûr, répond le policier, l’air grave. Vous connaissez un peu l’histoire du conglomérat ?
— Dans les grandes lignes, oui.
— D’accord. Ce qu’il est important de retenir, c’est la méthode que Menxiang Shiyé utilise pour surmonter les scandales qui ont été semés sur sa route. Vraisemblablement, elle vient des mafieux japonais d’avant la Guerre Finale.
— Les yakuzas, hm ? suppose Zhī-Lì après avoir réussi un coup très complexe.
— Exactement, répond Xiǎo Tào. Vous êtes versé dans l’histoire pré-apocalyptique ?
— J’ai joué à des jeux virtuels qui décrivaient leur monde, et j’ai vu un paquet de documentaires sur le sujet. Il m’est même arrivé de créer mes propres histoires de yakuzas sur des carnets, quand j'étais plus jeune.
— J’ignorais ça, Zhī-Lì !
— C’est intéressant, répondit Xiǎo Tào. Je crois que vous êtes la première personne que je rencontre à s’être penchée dessus.
— Il faut croire que je suis plein de ressources, sourit Zhī-Lì en pointant du bout de la queue son score désormais bien au-dessus du nôtre.
— Quoi qu’il en soit, lorsqu’a éclaté la Guerre Finale, les yakuzas ont été pris pour cible par l’empereur du Japon et ont fui dans la région où a été bâtie Tiankong. Ils ont apporté avec eux leur mode d'organisation, et ont marqué au fer rouge l’ADN de notre ville. L’une de leurs méthodes, pour étouffer leurs grosses affaires, était de désigner un membre qui se dénoncerait pour tout le groupe, prendrait une peine, puis serait grassement payé lorsqu’il sortirait de prison.
— Et vous pensez que c’est ce que Menxiang Shiyé est en train de faire ?
— Menxiang Shiyé a été fondée en grande partie par d’anciens chefs mafieux, répond Zhī-Lì. Ceci dit, il me semble que cette méthode a été abandonnée après la descente du dernier Bouddha sur Terre.
— En effet, reprend Xiǎo Tào, lorsque Mílè Púsà* a apporté avec lui l’Éthique Éternelle, ils ont dû revoir leurs méthodes, les rendre moins flagrantes. Notamment en demandant à des acteurs tiers de verser cette fameuse prime à leur place. Vous voyez où je veux en venir, Jiēshòu ?
— Bien sûr, c’est pour ça que la mise en scène atteint des niveaux dignes des plus grands studios. J’imagine que vous avez entendu parler de l’Affaire des Cigognes, Zhī-Lì ?
— Bah ! Quelle horreur !
— Et vous, Jiēshòu ?
— Ça ne me dit rien, non.
— Pour faire simple, des membres de MS enlevaient des enfants dans les orphelinats, les “remettaient en état”, si j’ose dire, pour après les vendre à des parents fortunés, mais rendus stériles par la Guerre. Je vous parle de ça alors que Tiankong ne marchait pas encore. Eh bien, croyez-le ou non, les cinq membres qui s’étaient dénoncés furent tous pris de révélation mystique et de profonds remords, si bien qu’à leur sortie de cellule, ils ont filé vers le temple le plus proche et se sont faits la tonsure. Plus jamais on n’a eu à se plaindre d’eux.
— Et tout pousse à croire que c’était sincère, complète Zhī-Lì.
— Personne n’a enquêté sur eux ?
— Le souvenir de Mílè Púsà suffisait encore à justifier bien des choses, à l’époque. En tout cas, si l’on observe l’histoire de Menxiang Shiyé sur les deux derniers siècles, on remarquera que les vrais scandales – je veux dire par là, les scandales qui incluent autre chose que de la simple corruption – sont de plus en plus rares. Je serais prêt à vous parier les clés de ma voiture que l’homme qui se fera enfermer demain sera pris d’un élan de foi bouddhiste sans pareil, une fois derrière les barreaux.
— Comment est-ce que vous pouvez en être sûr ? Un éveil ne se décide pas, sauf erreur de ma part.
— Je ne suis pas absolument sûr, mais j’en ai l’intuition la plus forte. Un éveil peut se déclencher à coup d’hypnose…
— Ou de drogues, reprend Zhī-Lì.
— Ou de drogues, oui. Quoi qu’il en soit, l’histoire en sera plus belle ainsi, et la colère des ménagères et des employés de bureau retombera bien vite, lorsqu’ils verront le criminel pleurer d’extase, suite à sa “rencontre” avec le dernier Bouddha. C’est à vous, Jiēshòu.”
Aussi invraisemblable que paraisse la théorie de Xiǎo Tào, quelque chose me donne aussi cette intuition, cette quasi-certitude qu’il a raison. Dans quel bourbier Shēng Mìng a-t-il pu bien se fourrer pour que deux institutions si puissantes en veuillent à sa vie ?
J’essaie de reprendre ma concentration : il faut vaincre Zhī-Lì, qui a trois boules d’avance. Je pointe la queue vers un imbroglio dans un des angles, prend une inspiration et tire… La blanche part avec une sorte d’effet totalement imprévu, avant de s’approcher d’une boule à pois, de la faire ricocher sur une pleine qui, à son tour, pousse une rayée vers l’un des trous.
“Bravo ! s’exclame la voix du Roi Singe.
— Hé bien, il va falloir que je mette les bouchées doubles, sourit Zhī-Lì. Encore à toi.”
Je ne parviens pas à réitérer l’exploit, mais la blanche vient se coincer entre des boules rayées. Pris au piège, Xiǎo Tào ne peut pas s’extraire de ce traquenard, et préfère à peine effleurer la blanche pour maintenir Zhī-Lì dans cette position inconfortable.
“Quel était l’élément qui devrait m’intéresser, par rapport à l’entretien, Jiēshòu ?
— Ha ! C’est lié à l’accord entre Menxiang Shiyé et les Shouddhs.
— Vous en savez plus à ce sujet ?
— C’est que… j’ai un certain nombre de clients qui y travaillent, et ce n’est pas la première fois que j’en entends parler. Pour être plus exacte, c’est un événement important, au même titre qu’une fête d’équinoxe, dans l’entreprise. Les chargés des relations avec le Siège touchent une commission dessus, qui peut aller jusqu’à 0,5 % du virement par personne. Quand on voit les millions que ça implique, vous imaginez tout de suite le montant d’un tel cadeau. Intégrer le Bureau de Relations avec le Siège est un rêve pour beaucoup d’employés.
— Vous avez l’air bien renseignée ! remarque Xiǎo Tào, dont l’expression semble contrariée, quoiqu'aucun trait de son visage ne me permette de vraiment m’en assurer.
— Les histoires sur l’oreiller… En tout cas, le Vieux vous a menti.
— Vraiment ? Son cerveau est tellement grillé que je l’en croirais incapable !
— Le virement de cette année a été effectué il y a cinq ou six mois déjà, il vous suffira de remonter sur le relevé de comptes. Je le sais de source sûre, un certain nombre de clients haut placés m’en ont parlé. Ce qui m’a surprise, ce matin, c’est que vous ayez tout de suite sorti un chiffre énorme. D’habitude, les virements ne sont non seulement jamais effectués par MS elle-même, mais viennent en plusieurs fois, et toujours de la part d’entreprises qui n’appartiennent pas au conglomérat. C’est comme si une fièvre donatrice s’emparait de pans entiers de l’économie avant de retomber subitement, toujours aux alentours de la Fête de la Grande Marche, afin que ça paraisse naturel. Sur le livre de comptes, il vous suffit de retracer la provenance de chaque virement effectué autour de la période, et ensuite, d’interroger chaque entreprise individuellement. Bien sûr, ce sera long et fastidieux, mais les preuves finiront par tomber.
— T’as l’air aussi calée sur le fonctionnement de l’entreprise que nous sur l’histoire des yakuzas ! rit Zhī-Lì.
— Et pourtant, je ne me rappelle pas avoir déjà mis les pieds dans un de ses bureaux !
— Vous m’épatez, déclare Xiǎo Tào après avoir fini son tour. Vous voyez, quand je vous disais que votre expertise serait précieuse…”
Il ne reste plus que la boule noire à entrer pour Zhī-Lì, ce qu’il réussit sans la moindre peine. Alors la voix de Sun Wu Kong part dans un grand rire et des applaudissements accompagnent ses félicitations.
“Vous souhaitez refaire une partie ? demande Xiǎo Tào.
— Avec grand plaisir, répond Zhī-Lì, plein de fierté. Dào Zhàn doit passer à la télé, j’aimerais bien suivre son intervention, si ça ne vous gêne pas.
— Depuis quand est-ce que tu t’es mis à l’écouter ?
— Oh, tu sais, depuis un ou deux mois, je me suis rendu compte que je ne m’étais jamais fait mon propre avis à son sujet… Eh bien, il est beaucoup plus raisonnable que ce que les médias en disent.
— Je suis assez d’accord, ajoute nonchalamment Xiǎo Tào.
— Moi, il m’a toujours foutu la frousse.
— Parce que les médias racontent tout et n’importe quoi à son sujet, grogne Zhī-Lì. Mettez l’intervention de Dào Zhàn, s’il vous plaît.
— Haha ! L’intervention est actuellement retransmise sur deux chaînes, informe le Roi Singe, TK-POL et NDelhi-TV, laquelle préférez-vous ?
— Qu’importe, les deux valent la même chose.
— Je regrette, je suis dans l’incapacité de choisir à votre place.
— Eh bien, va pour TK-POL.”
Puisque Xiǎo Tào a obtenu le plus petit score de la partie, il a l’honneur de jouer en premier. Alors qu’il entreprend de casser, le jingle des interviews de la chaîne retentit. L’ombre de Dào Zhàn s’éclaircit peu à peu, et son visage se révèle, toujours aussi froid, ses mèches poivre et sel plaquées jusqu’à sa nuque, ses yeux aquilins, sa bouche serrée comme le bec d’un oiseau une fois refermé sur sa proie, ses serres aiguisées fermement accrochées à ses dossiers.
“Madame, Monsieur, Paix et Honneur. J’ai le privilège, aujourd’hui, d’accueillir le chef du Parti de la Prospérité, le Seigneur Dào Zhàn de la lignée des Jīn Yīng. Monseigneur, Paix et Honneur et merci de nous accorder cette interview.
— Paix et Honneur, c’est moi qui vous remercie de m’inviter.
— Aujourd’hui, Seigneur Jīn Yīng, nous allons parler de la vague d’assassinats qui touche notre cité, ainsi que de vos propositions politiques face à ce problème. Si cela vous convient, alors je vous propose de débuter tout de suite…
— À une condition, répond Dào Zhàn, un sourire étrange sur le coin des lèvres.
— Ha ! T’as vu comme il les met au pas, ces saligauds de journalistes ? s’exclame Zhī-Lì.
— Eh bien… laquelle ?
— Appelez-moi simplement par mes noms, répond le politicien avant de partir dans un rire assez doux.
— Eh bien… si vous le souhaitez, nous pouvons nous arranger, sourit le journaliste. Ma première question, Dào Zhàn, portera sur votre diagnostic concernant les assassinats. Si vous me permettez de vous poser franchement la question, quelle est ou quelles sont les causes de cette terrible vague de meurtres ?”
Le politique replace ses cheveux derrière ses oreilles, prend une grande inspiration, et, comme s’il avait attendu ce moment depuis des semaines, se lance dans une diatribe à l’encontre du Syndicat, repasse en détails ses scandales depuis le début du siècle, et parvient, sans qu’initialement je ne m’en rende compte, à suspendre mon attention à sa voix. Chacun de ses constats, chacune de ses opinions sonnent comme des évidences qui me martèlent le crâne.
Ce qui semble être une dizaine de minutes passe ainsi, sans que le journaliste, malgré la manie qui touche sa profession, ne parvienne à l’interrompre, Dào Zhàn repoussant chacune de ses attaques déguisées comme un chevalier dévie le poignard d’un bandit d’une simple flexion de l’épée. Les arguments s’enchaînent comme une danse parfaitement apprise, millimétrée. Je crois que le journaliste lui-même cède à cette hypnose verbale.
Une fois son exposé terminé, le visage échauffé par tant de vérités, les yeux pétillants de conviction, Dào Zhàn lâche une réplique qui sonne comme un baisser de rideau :
“Ma pensée sur les mariages multiples pourrait être résumée en une phrase : il s’agit de la plus grande trahison des idéaux sur lesquels se fonde notre pays. Mon ambition, quant à elle, tient en une poignée de mots : abolir cette institution mortifère et empêcher qu’elle reprenne jamais pied sur notre terre.”
---
Dàn zhù jī* : nom chinois du pachinko, jeu à mi-chemin entre le flipper et les machines à sous, dans lequel on gagne des billes à échanger contre de l'argent, particulièrement populaire au Japon.
Guówáng jīhuì*² : La Chance du Roi.
Sun Wu Kong*³ : Souvent traduit en français par le Roi des Singes ou Roi singe, il s'agit de l'un des personnages les plus célèbres de la littérature classique chinoise, qui apparaît dans La Pérégrination vers l'Ouest de Wu Cheng En.
Mílè Púsà*⁴ : Nom chinois du Bouddha du futur, Maitreya. Il est dit que ce Bouddha apparaîtra lorsque l'enseignement de Shakyamuni (le Bouddha le plus connu en Occident) sera perdu/oublié, afin de le ramener sur Terre.
Annotations
Versions