IX. - 20h54
“Alors, Fó, qu’est-ce que tu en dis ?
— Il me semble, Madame, que vos pièces vestimentaires ne sont pas accordées.
— Eh bien, Fó, heureusement que tu n’as pas de femme ; tu n’as aucun tact.
— Je vous prie de m’excuser, Jiēshòu. Néanmoins, étant une intelligence artificielle, je ne suis pas en mesure d’entretenir une relation de type amoureux.
— C’était une blague…
— Ha ! S’agissait-il là de second degré ?
— Oui, Fó. C’était… bon, qu’est-ce que tu me conseilles de mettre ?
—Je vous suggère de remplacer vos bottines satinées par une paire en cuir, de préférence noire ou bleue marine. Ainsi, elles pourront faire écho à la couleur de votre pantalon et de votre chemisier. De plus, je vois que vous disposez d’une paire bleu marine dont les talons sont de 3,8 centimètres, ce qui amènerait votre taille à un mètre soixante-cinq exactement.
— Et en quoi un mètre soixante-cinq est une bonne taille ?
— J’aime les nombres qui se finissent par le chiffre cinq, déclare Fó, l’air très sérieux.
— Tu es sûr que tu n’es pas tombé trop loin de la table de confection, lorsqu’on t’a mis en route ?
— Est-ce là de l’ironie ?
— Bravo ! Tu progresses. Revenons-en à la tenue : pour ce qui est des bottes, je crois que tu as raison. Si jamais tu t’es trompé et je ne ressemble à rien, tu devras assumer !”
Fó avait évidemment vu juste : les bottes, une fois enfilées, ajoutent cette nuance qui manquait à la tenue. Je me demande depuis combien de temps je ne me suis pas sentie aussi belle. Le souvenir vague d’une soirée arrosée avec Zhī-Lì, dans un bar français, peu avant l’assassinat de Shēng Mìng, me revient en tête.
Quelqu’un sonne à la porte. La silhouette pixelisée de Xiǎo Tào apparaît sur le mur à poèmes. Lorsque je lui ouvre, j’ai l’impression de découvrir un nouvel homme : sous un blazer orange foncé, une élégante chemise en coton noir épouse les ténèbres de ses cheveux. Des baskets mandarines s’accordent avec un pantalon en laine également noire.
Xiǎo Tào reste figé l’espace d’un instant lorsque j’ouvre la porte, puis il détourne les yeux et m’invite timidement à rejoindre sa voiture.
“Attendez, un instant.
— Qu’y a-t-il ?
— Est-ce que je peux prendre Mílè avec moi ?
— Je… C'est que ma connaissance a également des chiens, et je n’ai pas pensé à lui demander…”
Un regard de ma part suffit à le faire céder.
“Hm… Bien, mais s’il vous le demande, il faudra le laisser dans la voiture.”
Les courbes élancées de sa Poleïka, typiques des années 20, se détachent de l’obscurité au bout d’un couloir. Mílè hésite un long moment avant d’accepter d’y entrer, et uniquement à la condition de rester sur mes genoux.
“Je serais curieux de vous voir dans cette position quand il dépassera les quarante ou cinquante kilos !” rit Xiǎo Tào avant d’enclencher le moteur.
L’hologramme de la petite fille ne s’enclenche pas. Le policier lance une station de musique jaba-pop et pianote sur le volant au rythme des basses. Son visage fier, soutenu par l’élégance de son costume, semble être léché par les lampadaires aériens à mesure que l’on avance vers la destination. Au-dessus de la ville, comme dans un ballet majestueux, d’immenses hologrammes dansent à travers le ciel, s’évanouissent comme la fumée d’un feu d’artifice avant de reparaître sur le toit des bâtiments.
“Puis-je savoir qui est votre connaissance ?
— Hm… J’ai envie de vous dire qu’il s’agit d’un ami, bien que je ne sois pas encore sûr que ce sentiment soit réciproque. En tout cas, il détient les réponses que vous cherchez.
— Que je cherche ? Parce que, pour vous, tout est clair ?
— Quand je l’ai eu au téléphone, il m’a raconté ses dernières trouvailles”, explique Xiǎo Tào en tournant la tête vers moi.
Ses yeux prennent un teint grisonnant. Il lâche un soupir, passe la voiture en pilotage automatique, sort une paille de narcohol de sa veste, et ouvre la fenêtre. L’animation du samedi soir s’engouffre avec un courant d’air frais.
“Qu’est-ce qu’il se passe ?
— Ma connaissance m’a demandé de ne rien vous dire de plus avant l'entrevue, alors je vous prie d'attendre encore un peu.”
Son regard s’engouffre dans le mien. Il tire longuement sur sa paille, avant de relâcher une phrase avec la fumée :
“Oubliez tout ce que vous savez sur l’affaire, et apprêtez-vous à entendre une vérité bien plus sombre que ce que vous avez imaginé jusqu’ici.”
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