X.3 - 19h35
Nous passons plus d’une heure à arpenter les rues parées d’hologrammes traditionnels, à tomber sur des petits spectacles donnés au bout d’impasses dissimulées au milieu du plan de la ville. Sans la mini-carte en haut à droite de nos visières, nous nous serions certainement perdus plus d’une fois.
Au bout d’une des grandes artères, nous débouchons sur la statue que nous avions aperçue en contrebas.
“Ils en ont enfin fini la modélisation, de ce que je vois !”
L’architecture métallique, haute d’une centaine de mètres au moins, représente un squelette d’androïde, bras droit levé vers le champ de cratères en contrebas. Sur chaque côté du socle, des plaques de métal portent la même inscription en grosses lettres :
“MONUMENT À LA MÉMOIRE DE L’EMPEREUR NIKOLA Iᵉʳ, LIBÉRATEUR DU JOUG DES BOUCHAS ET FONDATEUR DU PREMIER EMPIRE LUNAIRE (RÉALISÉ EN L’AN 2294 PAR LA SOCIÉTÉ POST-HISTORIQUE DE LA NOUVELLE-MONTPELLIER)”
Devant une passerelle, une famille de sélénites, perchée sur la rambarde du panorama, plonge ses yeux dorés dans les nôtres.
“Pourquoi est-ce qu’ils nous regardent comme ça ?
— Vous parlez des autochtones ? Ne vous inquiétez pas, ils sont inoffensifs”, répond Mùchén, absorbé dans la contemplation des nervures cervicales d’un cheval lunaire, attaché au stand d’équitation d’un vendeur humain.
L’animal, beaucoup plus fin que ses congénères terrestres, aux pattes presque deux fois plus longues, lui projette un jet de gaz au visage.
“Quelles saletés, ces bestioles !” grogne Mùchén avant de partir d’un rire léger.
Il me rejoint sur l’un des bancs à air, disposé juste en-dessous de l’imposante stature de l’ancien empereur.
“Dites, Mùchén.
— Oui ?
— 2294, j’imagine que c’est pris de l’ancien calendrier ?
— C’est exact. Pourquoi cette question ?
— Je me demandais à quelle année ça correspondait.
— Oh, vous me posez une colle. Le calcul mental n’a jamais été ma tasse de thé. Enfin, à vue de nez, ça devrait correspondre à l’an -50, quelque chose comme ça.
— Avant la descente de Maitreya, donc ?
— Je pense. Il me semble que le Maître a parfois fait des allusions à la situation de l’Empire Lunaire, au cours de ses prêches.
— Merci, Mùchén.”
Deux petites sélénites jouent à la police avec une fillette africaine sur un terrain de jeux augmentés. L’humaine fait fuser les rais de lumière à travers la place tandis que les deux autochtones adaptent la couleur de leurs peaux afin de se fondre sur la paroi d’un roc taillé comme une petite grotte.
“C’est pas du jeu !” s’écrie la petite humaine, suivie des sourires des parents autour.
Mùchén semble soudain mécontent.
“Tout va bien ?
— Oui, bien sûr. Sòng vient juste de m’envoyer un message pour me dire que Bái Hú Li est arrivé.
— Déjà ?
— Eh oui, fin de la récré.”
Les androïdes, humains et sélénites se figent tous. Les rires des fillettes s’éteignent. Le mouvement des drones cesse complètement.
“J’ai demandé l’ouverture d’un point d’extraction. Il devrait être juste derrière la petite baraque à frites, celle qu’on a croisée en arrivant.”
En effet, à la place de la porte vitrée se trouve désormais un portail lumineux. Mùchén le traverse en premier, sans se retourner sur cet espace hors du temps.
J’avoue que si ça n’avait pas été pour le freeze complet des PNJ, j’aurais fini par oublier que rien autour de nous n’était réel. Je jette un dernier regard sur cette création à l’humanité éclatante et passe à mon tour au milieu de l’arc de feu.
La ville se tord alors comme une image regardée sous l’eau, puis vient un fondu au noir. La sensation du divan reparaît en dessous de mes fesses.
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