AU PASSANT SOLITAIRE
Je me suis longtemps dit que si je mourrais maintenant, il n’y aurait personne pour me composer une ode convenable. Pourtant, je souhaite être quelqu’un. Toutefois, je désire sans cesse être le sosie d’un ami car, je trouve ma compagnie peu commode. En l’absence d’amour néanmoins, possédant une maigre besace d’espoir, je rôde dans le quartier en quête de curiosité. Seule et seule encore, il n’y a que le bruit de mes pas qui me donnent la faible impression de ne pas plonger dans la solitude constante. La matinée de décembre fait rougir mes joues, l’hiver est d’une grâce infinie. Je contemple la danse des flocons de neige chuter sur mes cheveux, similaire à un baptême d’espérance. En effet, elle recouvre les ravages de l’automne pour que la terre éclore ensuite, guéri par les morsures brûlantes de l’été. Il fait froid mais, je ne suis pas d’humeur à rentrer.
« Parles-moi un peu pour évacuer mon exil un temps. »
Un béret noir orne mon crâne pour honorer la mode d’antan s’étant défilée par la banalité des contrastes d’aujourd’hui. Ce dernier n’est plus tout jeune, il a vingt ans. Ce chapeau a connu plus d’histoires que je n’en ai vécues jusqu’à présent. Parfois, je souhaite qu’il me conte les idylles des amoureux disparus ou les tristes efforts des âmes en peine. Puis, dans une mélancolie naissante de mon ennui, je fixe le paysage mondain et songe à cet individu que je connais, tant il était cher à mon cœur, subir une passion belliqueuse pourtant dévastatrice. Aveugle et sourd, il ne perçoit plus les esprits raisonnables. Je ne suis pas l’héroïne de sa vie bien qu’il ait été le mien, autrefois. Toutefois, dans ma faiblesse humaine, je mettrais l’univers entier dans une boite pour lui et j’aurai écarté les vampires loin de sa porte. Malheureusement, le dernier matin de mars, identique à une fin de guerre, je dormais lorsqu’il est parti, m’envoyant un dernier message pour ne plus revenir.
« Il n’est pas tombé dans la neige d’aujourd’hui. Il est mort dans son sommeil par la cause de son insouciance. »
Pendant, un certain temps, je n’ai pas rêvé, comme si la vitalité de mes illusions s’étaientévaporés avec lui. La muse malade ne me hante plus pourtant, je reste une artiste déconfite. Je suis peuplé d’ombres nocturnes et la beauté du jour s’en est allée. Autant le manque est lourd de non-dits, autant l’attachement est précurseur de douleur. Le monde est parfois épeurant car, toute chose fuit mon existence. J’ai la tragédie dans l’âme et la romance dans le cœur. Romantisme me dévaste par ses délires et ce drame me dévore. J’ai toujours préféré son intime silence aux conversations bruyantes des connaissances. Sa voix ne pouvait point prononcer les adieux alors c’est son silence sépulcral qui a tout détruit. Identique à la fois où il avait fait vivre un peu l’envers de mon univers, un matin de septembre. Sans sa muse, le poète est malade parce qu’il ne peut composer que par son absence. La nostalgie et la mélancolie empoisonnent donc la conscience de ce dernier. Vivant dans le passé, il recherche une issue vers le présent. Cependant, il n’existe aucune porte ni fenêtre pour ce qui n’est plus, mise à par les fantômes du passé qui fréquentent un coin de la pensée. Ses iris bleus détenaient la nuance du salut. Cette teinte qui ne revient jamais après avoir effleuré une errante silhouette dans un excès de symbiose. J’ai l’Idéal qui coule de mes yeux pour s’enfuir et le Spleen qui s’est accaparé ma voix, gémissant mille plaintes.
Alors, au passant solitaire qui traverse la rue, dans l’apothéose du tourment, tu m’apaises. Et discrètement, entre mutisme et désir, je te fais le présent d’un sourire que tu ne verras jamais.
Date d’écriture : Mai 2017
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