Autour du lac

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Ça grésille. Je ne comprends pas tout ce qu’elle me dit. Je déteste les portables,tout à fait. C’est sans doute une vue de l’esprit, un côté réac qui surgit. Ceci dit, je n’ai pas compris ce qu’elle m’a dit juste avant de raccrocher. C’est un constat.

Du coup, je ne bouge plus. Je ne sais pas, je ne sais plus quoi faire, où aller. N’avait-elle pas dit, elle aussi, de partir encore plus loin, de revenir. Je n’osais pas la rappeler. Je sais, c’est con ça de ne pas contrôler ses paralysies cérébrales. Celles qui vont font immobiles tout à fait.

Nous nous étions pris la cervelle l’un, l’autre pendant deux jours entiers. A l’intérieur, ça fermentait sévère. Il y avait autant de haine que de souffrance. Autant de souffrance que d’amour. Je veux dire par là qu’on ne s’engueule, qu’on ne s’accroche profondément et douloureusement qu’avec les gens qu’on aime. Autrement, pour les autres, c’est plus du style, de la parlotte, du passe-temps. Mais là, les sentiments, c’est autre chose. Ça tordles boyaux d’arriver à autant haïr l’autre, à autant l’accuser de ne pas comprendre, de ne pas savoir, de ne pas voir. Ça en déchire le cœur de ce gâchis.

Ça en était devenu insupportable ce fossé que nous creusions de plus en plus profond, de plus en plus large, les heures filantes. Ainsi, j’étais parti. J’avais fait du bruit pour qu’elle entende bien. Mon sac, les clés, la porte. Et puis, le moteur dans la rue.

Je m'allumai un clope, mis la musique et c’était parti.

A l’époque nous avions un Ford Transit aménagé des années 80, porte latérale coulissant et tout le tintouin. Il y avait du coup, le vent qui s’engouffrait dedans. Cette chaleur des printemps prévisibles. Ou peut-être était-ce déjà l’été. Je filais toujours est-il. Je ne savais pas où, je ne savais pas combien de temps, et pour tout dire pas trop pourquoi non plus.

J’allumais les clopes à la chaîne. Je beuglais plus que je ne chantais. Puis de temps à autre, au milieu de ces champs, ressemblant à une vieille houle, à travers vallons, je hurlais. Je hurlais vraiment de tout ce que je pouvais m’égosiller. A la fin, ça brûlait même au fond de ma gorge. J’avais appris ça comme méthode pour évacuer les vilaines pensées. Je l’avais appliqué dès gamin. S’isoler et hurler. Au milieu de la nature étant plus propice. C’était alors mon cas.

Les kilomètres filaient sous le camtar ensuite plus facilement. Comme libéré des tensions. Je ne voulais plus m’arrêter. Je voulais fuir. Oui. C’est ce que j’étais en train de faire, d’ailleurs. Un bon fuyard.

Déjà le soleil avait bien décliné ; déjà les campagnes se muaient, s’paraient de milles visages ; déjà les maisons sur le bord de la route s’endormaient.

Avant qu’il fasse tout à fait tard, je m’étais tout de même arrêté dans une de ces supérettes de campagne, histoire de pouvoir me décapsuler une bonne bière une fois arrivé. Mais vu que je ne savais pas où et quand j’allais arriver. Je m’en étais ouverte une assez rapidement.

Il n’y a pas à tergiverser là-dessus. Il n’y a pas plus antidépresseur que le mouvement. Et la bière qui va avec.

J’avais arrêté de crier. Maintenant je conduisais. Je traçais les kilomètres dans la nuit noire ; seul sur la route ; seul dans la vie. Il y avait toujours la musique, mais moins forte. Il y avait toujours ce vent qui s’engouffrait mais plus frais. Tout cela me ramenait alors à l’époque où j’faisais mes quarts de nuits en mer. Au bout d’un certains nombres de kilomètres, on ne pense plus. C’était ce que je voulais et j’avais réussi. Je me faisais tout juste balancer sur ce bitume comme je le faisais sur mer. Je ne sentais pas le besoin d’arrêter, de rentrer au port. Il y avait cet état-là où presque s’efface-t-on, se laisse-t-on disparaître sous le temps qui passe, comme une soumission volontaire.

Pourtant, pourtant il aurait bien fallu que de la fatigue arrive. Que je m’arrête. Que je l’appelle. Je veux dire si j’avais été quelqu’un de sociable. Mais je ne l’étais pas. Je veux dire dans le sens des relations humaines. Je ne savais pas faire. Ou je ne faisais que tout de biais. Et plus dans l’amour encore. Je n’appelais pas parce que je savais que je n’allais rien pouvoir dire, rien pouvoir écouter de convenable. Je préférais la retraite à la défense. Le silence à la débâcle.

Et du silence, au milieu de cette nuit-là, il y en avait tout plein. J’ai profité de voir un de ces panneaux touristiques avec marqué dessus lac pour me laisser tenter, pour bifurquer. Je me suis laissé tenter par cette optique là. De finir la nuit au bord du lac.

On y descendait à travers la forêt dans ce trou. Je roulais doucement la porte ouverte. Dehors, il y avais cette jolie petite musique du beau milieu de la nuit. Vraiment très bien comme truc dans la vie, le milieu de la nuit. Ça vous enveloppe infiniment, vous enserre parfaitement jusqu’à vous faire sentir vivant. La nuit, dans la nature, c’est définitif, on y revient sans cesse. À nos instincts les plus primitifs, les plus basiques. C’est la nuit qu’on apprend à observer, à comprendre, à jouer de la nature. On est là attentifs à chaque petit signe, petite alerte présageant le danger ou la sécurité. c’est là au milieu, qu’on se souvient d’où l’on vient et comment nous en sommes étrangers.

Le coin n’était pas désert du tout comme je l’espérais. Mais ça allait. Je m’étais installé sur un banc face au lac, la bière au bec et le clope à la main. La lune naissante réfléchissait hasardeusement sur les rides du lac nocturne. Moi, et ma 8-6 avec, tout autant. C’était comme de la poésie en somme.

De l’autre côté de l’eau, il devait y avoir un genre de restaurant à côté d’un camping. Ça m’a fait pensé que je n’avais pas bouffé depuis, que j’avais les crocs, la rage au ventre. Alors pour ne plus y penser, pour me remplir l’estomac, je m’en étais ouvert une autre de canette.

Je commençais à être un peu souqué. Par la route, par la bière, par ce sentiment flou de la fuite.

Je commençais à y repenser. Je commençais à enrager de cette situation. Je commençais à trouver cela gâchis. Je commençais à me dire que je ne reviendrai plus.

Du moins jusqu’à temps qu’elle me demande pardon, ou du moins qu’elle m’appelle, ou du moins qu’elle me donne un signe de vie.

Je m’étais maintenant allongé sur une couette que j’avais rapporté du camion, en même temps qu’une autre. J’étais désormais bien gris et je me plongeais la tête dans le ciel comme quand gamin je m’y promenais.

Ces petits astres qui luisent.

De loin, je le sentais venir, se soustraire à moi, le sommeil. Je résistais encore un peu juste pour rouvrir un petit peu les yeux et voir grandir les scintillements nocturnes du lointain.

Je regardais ma montre, j’étais grelottant. Tout humide de cette rosée qui se posait. Quatre heures trente. Je remontais vite fait dans le camion, me foutais à poil, étendais mes vêtements et me coinçais sous les trois grosses couettes que nous gardions toujours dans le camion en cas de chasse, en cas de coup dur. Je rêvais alors de dormir mille jours.

Tout, à l’heure des matins, semble possible.

Le soleil s’était éclaté contre les fenêtres que je n’avais pas obturées. Du coup, je suis allé me baigner dans la froidure et le brouillard de la gueule de bois.

En revenant j’ai rallumé mon téléphone. J’ai composé son numéro.

Au bout de ma paralysie, je le sais, il y aura tout ça. La sensation de se trouver impotent et con. La sensation de l’abnégation. De l’amour et un retour silencieux. Un regard, un temps, et deux corps qui s’emportent.

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