Rue des martyrs
Je me réveille le gosier sec, aride d'une nuit d'alcool et de drogue. Je me lève, je traîne les pieds comme je peux, je me découvre dans le miroir de la salle de bain, le regard gonflé et le teint blafard.
Je me fais peur, je recule, je ferme les yeux, je chiale. Je suis vivant. Tout y faut. La misère comme seul masque. Je navigue sur mon reflet comme sous le roulis d'un transatlantique, évitant comme je peux le vulgaire naufrage.
Sûrement dans la nuit, j'ai baisé. Il y avait cette fille dans le lit. Je ne sais pas. Je m'en fous. Je me dirige vers la cuisine, je m'y dégote un café que je verse dans une tasse sale. Je touille dans toute mon absence. Mes réveils en défaite. Bien las. Bien usé de tout ça. Ce soir tout recommencera.
Vers treize heures du matin, les faux amis se réveilleront, partiront quelques heures chez eux, ou pas, puis finiront par m'appeler pour les rejoindre.
Ce n'est pas tant que je m'y amuse, que je m'y épanouie là-dedans, soirs de beuverie en chaîne. Non, j'y ai juste la possibilité de m'oublier. Ou du moins d'en avoir l'illusion. C'est ce que j'avais fini par conclure à ma psy.
Nous étions une dizaine ainsi, rayés des vivants, squattant le bar comme on squattait le monde. Je ne sais pas trop qui avait entrainé tout ce beau monde, mais toujours est-il que nous avions tous échoués ici, le cimetière de la ville, de la vie. Un vulgaire bar-tabac sur la butte. Au fur et à mesure des rencontres , nous avions formé ce groupuscule tout à fait extrêmiste dans la boisson. Il y avait de tout là-dedans, nous n'avions presque rien en commun à l'origine. Au fond des choses, la seule affaire qui nous reliait demeurer la soif d'ivresse. Nous buvions, nous vidions nos verres comme nous vidions nos vies, nos erreurs, nos echecs, nos amertumes.
C'était pas la principauté des grandes détresses, non, non. Loin de là. Tout se passait tout à fait dans la bamboche. On passait nos week-ends ainsi. Chacun taffait (ou pas) tout au long de la semaine et puis le vendredi soir, voilà qu'on s'y retrouvait. Pour boire un coup. Ineluctablement, ne nous mentons pas, ça finissait en débauche jusqu'au dimanche soir. La douce sensation d'être bête avec.
Parce qu'au fond, c'est cela que nous cherchions tous ici, devenir suffisament bête pour ne plus y penser.
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