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" Nous sommes dévoués."
Merde !
Il n'avait pas peur.
Il n'avait jamais eu peur.
Ce n'était pas le moment de commencer.
Et pourtant...
" Vous méritez un procès en bonne et due forme, lâcha la voix froide du jeune homme. Nous ne sommes pas des bourreaux."
Cela le fit sourire.
Eux non.
Mais lui...
" Nous sommes dévoués."
On le regardait comme une bête curieuse. De loin.
Il faisait encore peur.
" Quel âge a-t-il ? Il est si jeune..."
C'était une vieille femme qui parlait ainsi. Elle l'énerva tellement qu'il eut envie de la frapper jusqu'au sang.
" On s'en fout. Quel âge avaient les autres ?"
On le regardait mais de plus en plus près.
Machinalement, ses mains serrèrent les menottes et le métal devint chaud contre sa peau.
" Nous sommes dévoués."
C'était amusant quand on y pense.
Lui, officier supérieur, vêtu d'un bel uniforme, assis ainsi dans la crasse d'un immeuble abandonné.
Une femme, toute jeune, s'assit devant lui et le regarda fixement, sans aménité.
Il soutint son regard, levant le menton par défi.
" Qu'as-tu fait de Minuhé ?, lui demanda-t-elle.
- Je ne connais pas, arriva-t-il à répondre, fier de sa voix glaciale.
- Elle avait 15 ans.
- La prison est dure et..."
Mauvaise réponse.
La gifle qu'il prit en plein visage le fit taire.
Elle le regardait toujours.
" Minuhé était mon amie. Ne me parle pas de ta prison !"
Elle lui cracha au visage et se releva.
" Nous sommes dévoués."
Merde !
Il fut obligé de laisser le crachat couler le long de sa joue et il se promit de tous les brûler. Vifs.
" Fous-lui la paix Cassandre. Il sera jugé par le chef, demain.
- Rien à foutre du chef !, rétorqua la fille. C'est un salopard ! Tuons-le !"
Le jeune homme jeta, autoritaire :
" Demain ! Le chef a des questions à lui poser."
On le regarda en souriant, sans aménité.
" Et les questions, ça le connaît ! Hein ordure ?"
Il ne leur fit pas l'aumône d'une réponse.
Il laissa ses yeux passer sur chacun et gravait dans sa mémoire chacun des visages.
S'il s'en sortait, il les tuerait tous.
" Nous sommes dévoués."
Les interrogatoires, cela le connaissait, en effet.
Il sourit en voyant leurs pitoyables efforts pour l'effrayer.
On le menaça, on le secoua, on le frappa...mais on n'osait pas aller plus loin.
Encore trop humain.
" Où est le professeur XXXX ?, lui demandait-on. Et Adrien XXXX ?..."
Il ajoutait, in petto : " Et Gabrielle ? Et Enjolras ? Et Grantaire, son ami ? Et..."
Cela l'amusait.
Il fallut plusieurs coups pour faire disparaître son sourire.
Horrifié, deux yeux bleus revinrent à son esprit et ne le quittèrent plus.
" Nous sommes dévoués."
Il n'avait pas perdu de dents. Il en était surpris.
On lui proposait à boire et à manger, on le laissait dormir. Il ne les comprenait pas.
Une nuit, il fut plus en danger que d'habitude.
La dénommée Cassandre vint le rejoindre dans sa cellule.
Et elle arracha les symboles de son grade. Elle découpa l'uniforme avec un couteau.
Il eut envie de lui cracher au visage.
Mais il lui lança simplement :
" On a changé d'avis ? On veut être bourreau maintenant ?"
Le couteau se rapprocha dangereusement de ses yeux et elle souffla :
" Ta gueule ! Je pourrai te crever les yeux. Il paraît que c'est à ça que tu joues dans ta prison, hein salopard ?
- Pas seulement. Que crois-tu que j'ai fait à ta copine ? Minuhé c'est cela ?"
Il passa sa langue sur ses lèvres, désespéré de les sentir sèches.
" 15 ans et encore vierge.
- Putain ! JE VAIS TE TUER !"
Il y crut.
Il y crut jusqu'au bout.
Puis on pénétra en force dans sa cellule et deux paires de mains vigoureuses retinrent la fille de lui planter le couteau dans le visage.
Il en serait mort.
Merde !
" Nous sommes dévoués."
La première chose qu'on apprenait était qu'il fallait garder le silence, coûte que coûte.
Là, cela lui coûtait.
Mais il conservait le silence.
Il était dévoué à la cause. Au moins autant qu'eux !
Il était prêt à mourir pour elle. Au moins autant qu'eux !
Son sacrifice sera particulièrement inutile.
Il espérait juste que ses yeux clairs rivaliseraient avec les yeux bleus et qu'ils deviendraient les cauchemars de tous.
" Nous promettons un procès équitable. Nous ne sommes pas des bourreaux."
Ils lui répétaient cela. En boucle. Tellement désolés et dégoûtés de frapper.
Que voulez-vous ?
Etre bourreau était un métier !
" Nous sommes désolés, officier, s'excusa son adjoint. Il nous a fallu cinq jours pour vous localiser. Ces fichus terroristes ont plusieurs planques."
La cigarette fut bien venue. Ainsi que l'alcool et la veste d'uniforme propre.
Un médecin avait déjà vérifié ses blessures. Elles étaient bénignes, juste quelques cicatrices sur une joue et une arcade sourcilière coupée.
Amateurs !
Cinq jours !
A leur place, il aurait eu toutes les informations qu'il souhaitait.
Puis, l'officier songea au travail qui l'attendait et en fut ragaillardi.
" Il y a une femme dénommée Cassandre parmi les prisonniers.
- Oui, monsieur.
- Je la veux pour moi. J'ai...des questions à lui poser...
- Très bien, officier."
Il respira profondément.
La nuit allait être longue.
" Nous sommes dévoués, souffla l'officier.
- Pardon, monsieur ?, demanda l'adjoint, inquiet pour son supérieur.
- Il faut croire en une cause et être prêt à mourir pour elle !
- Oui, fit le soldat, maladroit, mais il faut aussi survivre.
- Non ! L'Etat, seul, compte ! Nous sommes des biens périssables ! "
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