Mort
" Il était déjà mort."
Quand ?
Comment ?
Pourquoi ?
Bien.
Commençons par le commencement.
Il était mort lorsqu'il avait dû tuer son premier homme. Lorsqu'il avait compris qu'il lui fallait mourir pour continuer à vivre.
Cela ne veut rien dire ?
Peut-être.
Mais poussons les choses plus loin.
S'il avait refusé de tuer, que se serait-il passé ?
S'il ne s'était pas mis au niveau de la barbarie de l'ennemi, que se serait-il passé ?
Tout ce en quoi il croyait serait mort avec lui.
Et c'était tellement plus facile de penser ainsi.
Ce n'était pas nous les barbares, c'étaient eux !
Nous n'avions fait que nous défendre !
Il était mort le jour où il avait tué l'homme qu'il était pour assassiner un inconnu.
Juste à cause de l'uniforme.
Le camp opposé.
Ensuite, il poursuivit son chemin.
Il était mort lorsqu'il avait dû faire un choix. Lorsqu'il avait dû abandonner tout ce qu'il aimait pour rejoindre les ombres.
Un cancrelat ? Un cloporte ? Un de ces hommes de l'ombre qui se cachait et qui assassinait.
On les présentait comme des types sans pitié et d'une cruauté infinie.
Cela a-t-il un fond de vérité ?
Peut-être.
Mais poussons le raisonnement plus loin.
A force de compter les disparus parmi ses amis, on en venait à devenir plus dur que l'acier.
Plus dur que l'ennemi.
Un cran au-dessus, juste un cran.
Et cependant, l'ennemi était si terrible, si insidueux, si puissant.
Cela devait compter comme une circonstance atténuante !
Nous nous battions contre des brutes et nous nous montrions à leur mesure !
Il était mort le jour où il avait dû abandonner son monde pour rejoindre celui des révoltés.
S'il revenait à la lumière, il verrait que tout a été brûlé et tout a été détruit. Par sa faute.
Il était mort en le sachant !
Enfin, il termina sa destruction.
Il n'avait rien dans sa vie que la Cause.
Il n'avait rien dans sa vie que la Victoire.
Un jour, un jour...il verrait que tous ses sacrifices n'avaient pas été faits en vain et que la lumière existait toujours.
Des mots désuets pouvaient renaître et retrouver leur sens originel.
LIBERTE EGALITE FRATERNITE SOLIDARITE PATRIE
Non, pas patrie ! Patrie est mauvais !
LIBERTE EGALITE FRATERNITE SOLIDARITE UNIVERSALITE BONHEUR DIGNITE
Et j'en passe !
Il y croyait et luttait pour cela.
Avec la même rage que les ennemis mettaient à imposer leurs propres idées.
DICTATURE EUGENISME RACE AUTOCRATIE NATIONALISME CONQUÊTE PATRIE
Le monde se teintait de rouge et de noir.
Pour lui, il était déjà mort depuis si longtemps.
Il n'attendait que la balle, le couteau, la grenade qui allait clarifier les choses.
il était mort et alors ?
C'est complétement stupide ?
Peut-être.
Mais poussons la démonstration plus loin.
Il avait renoncé à sa dignité, à sa conscience, à sa liberté, à sa pensée, à sa famille, à son foyer...
Il vivait dans les montagnes ou dans les caves des villes.
Il vivait de peu mais il tenait bon.
Et il se montrait fort pour galvaniser les troupes.
Être un chef pour gérer des individualités et les lier dans une armée de l'ombre.
Il y fut le meilleur...
Mais alors ?
Il était mort depuis si longtemps lorsqu'elle apparut dans ce camp perdu dans la montagne.
Blessée, agressée, apeurée.
Il en tomba amoureux.
Et tout à coup, par magie, le monde retrouva ses couleurs.
Le monde se remit à exister.
Et il crut en un avenir.
Il oublia un instant qu'il était déjà mort.
Alors, alors...
Il mourut une nouvelle fois lorsqu'il la perdit.
Et ce jour-là, tout ce en quoi il avait foi mourut avec lui.
La Cause ? Néant !
La Victoire ? Néant !
Les autres ? Néant !
Il ne resta debout que pour la Vengeance.
Et les derniers restes de son humanité moururent lorsqu'il assassina une jeune femme, bien éloignée de ses proies habituelles.
Où était l'uniforme ?
Dans la tête ?
Mais là.
Assis sur une chaise devant lui.
Correctement menotté et le front ensanglanté.
Il y avait ce qui le faisait encore respirer.
Un uniforme.
Un jeune homme, beau et froid.
Il le contempla et attendait patient.
Puis il fut récompensé.
Les yeux clairs s'ouvrirent et le contemplèrent.
" Bonjour officier."
La nuit allait être longue.
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