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Mayana aimait le grincement du chiffon sur les vitres, ce son à la limite du désagréable électrisait son plexus solaire. Parvenue en haut de la baie vitrée, elle contempla son petit monde baigné de lumière. Dans l’angle de la véranda, Gracie recroquevillée dans une chauffeuse en rotin sirotait son thé les yeux perdus sur les collines. Cela faisait quatre années maintenant que la bientôt nonagénaire vivait ici et la cohabitation était depuis le premier jour simple et évidente. Une odeur appétissante s’échappait de la cuisine, le chat roux ronronnait sur le rebord de la fenêtre, cette maison était paisible. Mayana descendit de l’escabeau, se pencha sur le berceau d’Agathe, une bouffée de tendresse l’envahit. Elle était si jolie sa fille ! Depuis son arrivée, le monde avait pris une nouvelle teinte, plus profonde, mieux définie.

— Mon trésor, chuchota Mayana en glissant ses mains sous le pyjama à volants.

Ses bras rebondis soulevèrent la petite encore endormie. Une délicieuse sensation envahit la jeune mère. Parfois, se dit-elle, les astres s’alignent et le bonheur vient à vous. Pour elle, il avait ce visage minuscule, le poids de ce petit corps qui se pelotonnait dans son cou, ici dans sa maison.

Dehors, le vent chassa quelques nuages et le soleil encore timide du mois d’avril émergea dans une trouée bleue. Personne ne vit alors l’image furtive et prémonitoire qu’il projeta sur le mur blanc. Ici, la jeune femme blonde enveloppée d’un halo de douceur embrassait son enfant et là, l’ombre d’une silhouette difforme recouvrait le berceau.

D’un pas dansant, Mayana quitta la lumière.

Les pas lourds de Luce résonnèrent sur le tapis et Gracie, curieuse de sa production du jour l’interrogeait déjà. La vieille femme avait développé une passion pour le monde d’argile de Luce. Chaque soir, quand celle-ci quittait son atelier et rejoignait la maison, elle ramenait une pièce dont elle racontait l’histoire à Gracie. Ce jour-là, c’était un simple bol d’un diamètre modeste, mais ce bol de terre rouge confinait à la perfection. Sa ligne était un véritable défi, expliquait Luce, le fruit d’heures devant son tour à combiner pression et relâchement. Luce était similaire à ce bol, sans aucun artifice, issue de la terre d’ici et pourtant d’une classe incontestable. Elle portait une frange brune un peu trop courte, visiblement taillée par ses soins, qui loin de l’enlaidir mettait en valeur ses yeux en amande. Son corps de sportive s’animait pendant qu’elle expliquait à Gracie en quoi ce bol différait subtilement de celui de la veille. De son index noueux, Gracie en suivait le pourtour, soudain, elle s’interrompit et s’adressa à Mayana :

— C’est aussi doux que les joues d’Agathe, tu ne trouves pas ?

Le visage de la vieille femme rayonnait, ravie de cette association d’idée. Mayana esquissa un sourire, mais il se brisa en suspension. La main de Luce se crispait. L’instant s’étira en un focus inexorable. C’était une pression à peine détectable, mais qui déjà avait marqué la terre crue. Luce avait beau acquiescer, la comparaison la dérangeait. La panique s’empara de Mayana, un vide trop connu qu’elle pensait révolu. À son tour, elle se cramponna au bébé, qui réagit par un vagissement de surprise. Ce cri relança le cours de l’après-midi, et chassant d’un mouvement de tête la brume mauvaise, Mayana partit à la cuisine préparer un biberon, Agathe glissée dans l’écharpe de portage. Luce la suivit, lissant machinalement son bol. Alors que Mayana plissait ses yeux rivés sur le biberon et la balance culinaire, elle commenta :

— Tu sais, je ne crois pas que ce soit grave s’il n’y pas exactement les bonnes proportions…

Mayana ne répondit pas, mais continua à verser l’eau cuillère après cuillère. Luce soupira, puis de ses mains encore argileuses, l’enlaça. Mayana ferma enfin les yeux sur les chiffres de la balance, sur Agathe, sur les empreintes de Luce incrustées dans le bol pour goûter à la douceur des bras de sa compagne.

La voix de Gracie les tira de cet instant de retrouvailles.

— Oh, ça faisait longtemps qu’il n’était pas venu !

— De qui tu parles ? demanda Mayana.

— Vous savez, le frère du voisin qui a les abeilles, le maigrelet. Comment il s’appelle déjà ?

Un courant d’air glacial balaya la cuisine, sépara les jeunes femmes et les relégua de chaque côté de la table, la bouche ouverte mais muettes. Comme si elles avaient besoin de le voir de leurs propres yeux, elles rejoignirent Gracie dans la véranda. Sur la route qui montait au village, au troisième lacet, juste avant la forêt, une voiture jaune lambinait.

— Xabi, il s’appelle Xabi, articula Luce.

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