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Il dévala la colline Dinah serrée contre son cœur palpitant et se précipita pour partager la nouvelle avec Manu. Il ne se heurta d’abord qu’à un mur.

— Non, on doit bouger les ruches, tu sais bien et puis …

— Je te dis qu’elle a trouvé une galerie, insista Xabi.

Certains mots avaient encore le pouvoir d’adoucir le visage de Manu, d’allumer une envie, la possibilité du plaisir.

— Cet aprèm on fait les ruches et demain on y va, concéda-t-il. C’est où ?

Comme on dévoile une carte au trésor, Xabi déplia la carte IGN, parsemée des notes de leurs explorations. Il pointa l’endroit où la chienne était apparue, au droit de la petite vire, et les yeux de Manu pétillèrent de gourmandise. Malgré cela, il asséna, comme soucieux de ne pas perdre la face :

— D’abord les ruches !

Le d’abord était une promesse qu’il y aurait un ensuite. Le repas fut baigné de cette légèreté, Xabi parla de sa thèse, de la difficulté qu’il rencontrait avec ses modélisations, Manu ne fit presque pas de remarques bien qu’il désapprouve les recherches de Xabi sur la gaz de schiste où l’avaient menées ses études de géologie. Enfin, après une courte sieste, ils partirent.

En lisière de forêt, l’odeur sucrée des chatons des châtaigniers s’épanouissait, prometteuse. Les deux frères, d’un même mouvement, fauchaient la prairie bourdonnante pour dégager l’espace où installer les supports des ruches. Leurs gestes avaient la saveur doucereuse de la nostalgie, de la voix de l’Aitatxi, le grand-père, qui conseillait et ordonnait. Xabi avait beau passer ses journées devant un ordinateur, parler plus souvent anglais que basque, son corps se souvenait. Ses muscles, à nouveau vifs, envoyèrent balader les supposées choses importantes. Ils lui rappelaient que, ici, c’était sa terre.

Au bout d’une demi-heure, il s’arrêta en sueur.

— Pausa ? proposa-t-il.

— Tu as ouvert la carte ? demanda Manu appuyé sur sa faux.

— Oui, lâcha Xabi, étonné que cette question ne soit pas venue plus tôt.

Manu attendait, quémandant un peu du bonheur à venir. Xabi lui jeta un regard noir et de nouveau debout penché sur son outil, s’appliqua à raser le talus qui séparait le pré de la forêt.

— Elle s’appelle comment ? continua Manu.

La faux s’envola puis ralentit, un instant suspendue à l’ombre des châtaigniers. Enfin Xabi articula :

— Ce n’est pas la mienne.

Manu acquiesça, un sourire en coin, les yeux trop écarquillés pour n’être pas moqueurs.

— Alors, comment elles l’ont appelée ?

Xabi lui en voulut aussitôt de cette question qui appelait une réponse. Ce prénom lui arrachait la gorge. Il le renvoyait dans le noir absolu, dans la douceur du ventre de la terre après une exploration de plusieurs heures. Manu, Luce et lui, quinze ans, collés les uns aux autres, à écouter la nuit, et Luce qui demandait : c’est quoi votre pierre préférée ?

— Agathe, répondit Xabi.

Le sourire de Manu s’élargit, mais avant qu’il ne puisse ajouter quoi que ce soit, Xabi reprit son balancement ponctué du crissement de l’herbe. Que Manu pense ce qu’il veut, que les filles nomment leur enfant à leur guise, Xabi n’avait rien à voir là-dedans.

Quand la place fut nette, l’égalité se rompit. La petite clairière était prête pour les ruches, le temps n’était plus aux bavardages. C’était l’aîné qui dirigeait à présent, Xabi se contenta d’être le sous-fifre, ouvrier apicole docile. Il conduisit la camionnette, ouvrit les portes, approcha le diable au bon moment. À la lisière de la forêt, un chapeau à voilette sur la tête, Manu évoluait sans cesser de parler. Comme l’Aitatxi le lui avait appris, il chuchotait auprès des ruches les légendes souletines, les lamina, le Basajaun, et Herensügea. Son enfumoir à la main, la grande carcasse solitaire et bavarde se déplaçait en valsant au milieu du nuage lénifiant. Puis, il rouvrit les ruches une à une. Quelques abeilles désorientées s’égayèrent et la tête de Manu dodelina encore un moment à les rassurer. Enfin, il monta dans la camionnette. Deux abeilles égarées bourdonnèrent avant de s’enfuir par la portière. La lune s’était levée et les cheveux du grand frère, électrisés, formaient un halo autour de sa tête. Profitant de cet instant de grâce, Xabi lui rappela :

— Demain matin, on va à mon puits.

Manu ne dit rien, la tête appuyée sur la fenêtre, il se contenta de lever le pouce. Encore habités des vibrations des abeilles, ils ouvrirent la fenêtre et laissèrent l’air de la nuit s’engouffrer.

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