6

3 minutes de lecture

Après le départ de Xabi, Luce décida d’aller parler à Mayana. Celle-ci était occupée à nettoyer les vitres de la véranda. Depuis son accouchement, une frénésie ménagère l’avait saisie. C’était comme si la fatigue qui avait été la sienne durant de longs mois s’était muée en une soif de propreté inextinguible. Entre les tétées d’Agathe et les repas de leur pensionnaire, Mayana lavait, triait, jetait. La maison empestait le vinaigre blanc et Luce, toujours un peu terreuse ne savait plus où marcher. Prenant soin de ne pas réveiller la petite, elle demanda :

— Tu ne veux pas venir dehors ?

Debout sur son escabeau, Mayana la regarda comme si sa proposition était totalement incongrue. En plus de se mettre au ménage intensif, Mayana ne mettait plus un pied au jardin. Comme Gracie, elle se cantonnait à la véranda et à la terrasse. Néanmoins, elle consentit à descendre et posant son chiffon, se pencha sur le berceau.

— Laisse-là, elle dort, l’interrompit Luce. Viens, on va parler.

Parler n’était visiblement pas dans les envies de Mayana. Ses yeux étaient rivés sur leur fille. Luce aurait parié qu’elle espérait que celle-ci se réveille. Ne lui laissant pas plus de choix, elle tira Mayana par la manche et l’emmena près de l’atelier.

— Je suis désolée, commença Luce.

Mayana, perdue dans la contemplation de ses pieds, ne répondit pas.

— J’ai parlé à Xabi, je te crois, c’était idiot.

— Lui, tu le crois et moi non ? s’énerva soudain Mayana. Oui, c’est idiot, débile. T’avais besoin de lui demander ? Tu ne peux pas être avec moi, juste avec moi ? On a toujours su qu’il y aurait un géniteur, pourquoi ça pose problème que je ne veuille pas en parler ? C’est juste que c’est rien, c’est personne, ça ne compte pas.

— Ça ne compte pas, je sais. Je ne m’y attendais pas, pourquoi tu ne m’as rien dit ? Ce n’est pas facile, comme ça, d’un coup…

— Et moi ? C’est sensé être facile ? Tu crois que je m’y attendais ? Je n’y croyais pas, je n’y ai pas cru jusqu’au bout ! lâcha Mayana.

Mayana était en pleurs. Sa peau de blonde rougie par la colère et son corps tendu, prêt à rompre.

— On l’a voulue, Luce. Ça fait tellement longtemps qu’on l’a voulait et maintenant elle est là, ça devrait nous suffire, non ? Comment elle est arrivée, on s’en fiche…

Mayana avait appuyé sur le on. Luce vit bien le défi : Ose dire que tu ne la veux pas, que tu ne l’as jamais voulue. Cette impossibilité à dire la vérité maintenant que Agathe était là l’étranglait. Non, elle ne l’avait pas vraiment voulue. Depuis toujours c’était Mayana qui rêvait d’enfant. D’ailleurs quand il avait fallu choisir une mère pour la PMA, la discussion n’avait pas été longue. Mayana était plus jeune, plus disponible que Luce qui devait s’absenter souvent pour ses expositions. Luce n’avait jamais proposé de prendre le relais, d’essayer à son tour.

— Et puis, tu n’étais même pas là. T’imagines même pas.

Les mots avaient été crachés, rejetant Luce et ses parlotes cérébrales loin de l’arène de la réalité. Et non, Luce ne pouvait pas imaginer ce que cela faisait d’avoir accouché seule dans la salle de bains après des heures de soi-disant règles douloureuses. D’être restée hébétée, racontait Mayana, horrifiée et pourtant ravie à la fois. Ce sentiment insupportable en équilibre entre le dégoût et la jubilation ajoutée à la douleur de son corps menteur. D’être la mère monstrueuse qui n’avait jamais senti son enfant et celle qui pleurait de joie à son premier cri. Et puis, ensuite, comment imaginer l’attente du lever du jour pour pouvoir dire l’indicible, partager avec Gracie le secret honteux et attendre son retour à elle, Luce qui ne savait rien et qui, peut-être, non, sûrement, ne voudrait pas de ce bébé.

— Je veux juste te dire que je ne t’en parlerai plus. C’est notre fille, assura Luce.

Et même si encore un petit ver jaloux rongeait son estomac, elle prit Mayana dans ses bras et essaya de renouer avec la complicité qui était la leur, qui devait l’être encore car sinon, à quoi bon ? Mais Mayana résistait, le secret enfoui la taraudait autant que sa compagne et pourtant elle refusait de s’en libérer, à peine parvint-elle à saisir la main tendue et encore à reculons.

— D’accord. Merci.

Là où les mots s’étaient empêtrés, les corps firent un peu mieux. Les doigts de Mayana s’entrelacèrent avec ceux de Luce et un court instant, elles furent à nouveau ensemble. Jusqu’à ce que Mayana ne retire sa main.

— Je vais finir les vitres.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire MaxineA ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0