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Blain appelle pour donner un cliché de la famille selon les informations du service état civil de la mairie : Le père, quatre fils -victimes-, une fille née en 1983 et disparue, la mère disparue aussi. En revanche, aucune trace d’état civil pour les jeunes femmes et encore moins pour les quatre enfants exécutés aussi.
- OK, Thomas, vérifiez la chronologie de ces deux « disparitions » et s’il y a eu enquête lors des disparitions de la mère et de la fille. Si oui, tachez de récupérer tout ce que vous pourrez dans les archives malgré l’ancienneté.
- D’accord commandant ; ceci dit j’ai eu une courte conversation avec l’employée de mairie et cette famille n’est pas vraiment en odeur de sainteté parmi les institutions. Elle m’a confié que les ragots donnaient la fille comme fugueuse et la mère comme ayant abandonné le foyer conjugal.
- Bien ! creusez aussi du côté des services sociaux de la protection de l’enfance et ceux des établissements scolaires de l’époque où aurait pu être scolarisée cette fille ainsi que les frères, qu’on en sache un peu plus sur eux également. Merci aussi de convoquer pour audition pour cet après midi le collègue de travail qui a trouvé le corps du vieux et qui a alerté le commissariat du quartier. On va rentrer faire le point en attendant que les collègues avec leurs chiens fassent leur travail ; on aura peut-être aussi un début d’élément du côté des labos. A tout de suite !
25 avril 1990. C’est son anniversaire, elle a sept ans, elle se réjouit, sa mère a fait un gros gâteau au chocolat et son père lui a promis une surprise. Elle a mis sa plus jolie robe avec des leggins en dessous comme le lui a appris sa maman qui lui dit et lui répète qu’il ne faut jamais oublier de mettre ses leggins sous ses robes. Pour une fois, sa mère sourit et son père ne lui a pas trop crié dessus, ni ne l’a trop bousculée. Ils appellent ça comme ça, quand il la secoue et qu’il la tape avec de grandes gifles, que sa mère crie et qu’elle, elle pleure. Alors, son papa vient la consoler, la cajole, l’embrasse de partout et dit que ce n’est pas grave, qu’ils se sont juste bousculés. Elle n’aime pas quand il l’embrasse de partout parce qu’il l’embrasse aussi sur la bouche et qu’elle n’aime pas ça. Maman est inquiète, elle le surveille depuis quelque temps parce qu’il la prend de plus en plus souvent sur ses genoux et qu’il passe sa main sous sa robe et lui caresse les cuisses jusqu’en haut, heureusement qu’elle a ses leggings.
Ses frères sont tous rentrés de bonne heure à la maison à cause de son anniversaire, c’est papa qui leur a demandé. Eux aussi, depuis quelques temps, ils aiment l’embrasser sur la bouche et elle n’aime vraiment pas ça et en plus, ça met maman en colère.
Elle a soufflé ses bougies et mangé une grosse part de gâteau au chocolat, la plus grosse car papa a dit qu’elle avait le droit car c’était sa fête à elle. Ils lui ont offert des cadeaux, une poupée Barbie avec tout plein de vêtements pour la changer aussi souvent qu’elle le souhaite. C’est une belle surprise car son père et ses frères ne lui ont jamais fait de cadeaux pour ses autres anniversaires, ou alors, elle ne s’en souvient pas.
Papa dit : « Maintenant, monte dans ta chambre, pour la surprise »
Maman dit, crie : « Non, tu n’as pas le droit »
Papa la bouscule et ses frères rigolent tous les quatre. Ils sont grands et forts, autant que papa, et maman et elle ont peur d’eux, encore plus que de papa.
Papa gronde, en colère : « Monte dans ta chambre »
Elle se dépêche de monter et ne peut s’empêcher de regarder derrière elle car maman crie. Elle voit que papa lui donne une grande gifle qui la met par terre et l’assomme presque et que ses frères l’empoignent et l’enferment dans la chambre du rez de chaussée où elle dort toujours.
Elle se réfugie sur son lit avec sa poupée, elle n’ose pas pleurer ni bouger. Papa entre le premier dans sa chambre, il lui enlève la poupée des mains, l’allonge sur le dos et lui soulève sa robe. Il descend ses leggings et sa culotte et met ses doigts entre ses cuisses, elle entend qu’il défait son gros ceinturon et elle a peur qu’il la batte comme il fait avec maman. Au lieu de ça, il se couche sur elle en lui écartant les cuisses et elle hurle quand quelque chose entre elle et la déchire, cette chose reste en elle et papa n’arrête pas d’aller et venir et ça lui fait mal ; et puis il grogne et se relève et lui dit de ne pas bouger. Elle entend qu’il remet son ceinturon et elle est au moins soulagée de ne pas être battue.
L’aîné de ses frères entre à son tour, il ricane comme il sait si bien le faire, elle a peur et ne bouge pas. Lui aussi se couche sur elle et lui rentre cette chose dure dans le ventre, elle a mal et se mord les lèvres pour ne pas crier car il frappe fort dans son ventre, il grogne aussi, reste encore dans son ventre à aller et venir, puis se relève. Elle voit que ses autres frères entrent dans sa chambre et comprend qu’ils vont, chacun leur tour, s’introduire dans son ventre et que ce ne sera pas la dernière fois.
Quand ça a été fini, son père est revenu dans la chambre, s’est couché de nouveau sur elle, est entré dans son ventre et pendant son va et vient, lui a dit que sa maman était partie, qu’elle l’avait abandonnée, qu’elle les avait tous abandonnés et que, maintenant, c’était elle, la femme de la maison. Il allait de plus en plus vite tout en l’embrassant sur la bouche et il a poussé un râle comme s’il allait mourir ; comme notre chien quand il était en train de mourrir à cause des voisins qui l'avaient empoisonné car il aboyait tout le temps. Elle aurait bien voulu.
Dans la nuit la départementale D820 paraissait être au milieu de nulle part. Une fois passée la ville de Cahors, ce n’était qu’une succession d’étendues froides et de rares villages déserts. Le printemps peinait à s’installer et cette fin de mois d’avril était glaciale. Depuis plusieurs jours, le givre faisait son apparition à la tombée du jour et enveloppait d’une pellicule glacée la terre et toute la végétation faisant chuter brusquement la température.
Les deux frêles silhouettes cheminaient prudemment sur le chemin de labour qui longeait la route à l’abri des taillis. La vue du halo de phares dans le lointain les fit s’accroupir et éteindre leurs faibles torches. Quelques instants plus tard les deux garçons regardaient passer le gros SUV noir roulant à grande vitesse. Lorsque les feux arrières eurent disparu tout au bout de la route le plus grand fit signe de repartir dans le plus grand silence.
- Vite ! Dit-il à voix très basse, il faut marcher plus vite et s’éloigner de la route.
Ils repartirent avec urgence dans une cadence rapide et nerveuse. Le grand crocheta la main du petit et l’entraîna, s’enfonçant plus avant dans les taillis
- Pourquoi ? Chuchota le plus jeune essoufflé et sans cesser sa foulée, qu’est ce qu’il y a ? Tu as dit qu’on avait toute la nuit.
Il ne répondit pas et continua d’avancer entre les grands buissons et les bosquets d’arbres grêles, la main de son frère toujours ancrée dans la sienne. Il fallait qu’ils aillent au plus profond du causse, Le passage silencieux de la grosse voiture lui avait tordu d’angoisse les boyaux ; il sentait que ce n’était pas bon pour eux et qu’ils devaient mettre le plus de distance possible entre eux et le ou les occupants de ce véhicule. Ils n’avaient pas rallumé leurs torches depuis le passage de la voiture se contentant de la luminosité de la lune sur le givre.
- Alban, je suis fatigué, s’essouffla le plus jeune, on pourrait s’arrêter un peu ?
Il estima qu’ils étaient assez loin sur le plateau et avisa à une dizaine de mètres un groupe d’arbres assez denses entouré de buisons.
- D’accord, on va s’abriter aux pieds de ces arbres, au milieu des buissons. On va dormir et rester là jusqu’à demain matin. Allez ! On y va !
Ils entrèrent à l’intérieur de la végétation et s’adossèrent côte à côte à un arbre. Il lâcha enfin la main de son jeune frère et sortit de son sac une gourde et des barres de céréales.
- Tiens, bois un peu et mange avant de fermer les yeux ; ne jette aucun papier par terre, tu me les redonnes, d’accord ? Il ne faut pas qu’on laisse de traces, tu te souviens ?
- Oui, oui ! Je m’en souviens, ne t’en fais pas. Merci.
Le petit se jeta sur sa barre de céréales après avoir donné son emballage à son frère. Alban le regardait en mangeant lentement sa part, quand le petit eût fini sa part, le grand lui tendit sa moitié restante.
- Pierre ? Tiens ! finis la, je n’ai plus faim.
- T'es sûr ?
- Mmmm !
- Merci !
- Pierre ? Il attendit d’avoir toute son attention. Si tu te réveilles dans la nuit, quoiqu’il arrive, tu n’allumes pas ta torche, tu ne sors pas du bosquet et tu ne dis pas un mot, d’accord ? Si je dors, tu me secoues, c’est tout ; je me réveillerai. C’est bien d’accord ?
- Oui, ne t’en fais pas !
Le petit s’endormit rapidement, la tête calée contre l’épaule de son frère. Alban retira son écharpe de son cou et en couvrit son frère. Il faisait froid et il remonta bien le col de sa parka, enfonça son bonnet. Il regarda les aiguilles fluorescentes de sa vieille montre quartz ; cela faisait maintenant une heure que la voiture était passée. L’angoisse le tenait éveillé, il n’aurait su dire pourquoi il s’attendait à revoir le gros SUV passer dans l’autre sens sur la route. Il le verrait de loin grâce aux phares puissants de ce genre de véhicule. Il en avait vu de plusieurs sortes dans les films d’action à la télé. La télé, c’était le seul loisir que leur père leur accordait quand il n’y avait pas de visiteurs et il s’en fichait pas mal de ce qu’ils pouvaient regarder. Ils avaient beaucoup appris grâce au petit écran ; surtout lui.
Il regarda encore sa montre ; le père la lui avait donnée à l’anniversaire de ses huit ans car à compter de cette date, il devait s’occuper de son petit frère et de toute la maison lorsqu’il allait travailler. Il ignorait quel genre de travail il avait. Il se préparait, buvait un grand bol de café, prenait sa valisette et quittait la maison en ayant soin de les enfermer. Ils n’auraient pu aller nulle part, la maison était loin de tout et ils n’étaient autorisés à sortir qu’en sa présence, dans les maquis autour de chez eux. Demain, c’était l’anniversaire de Pierre, il allait avoir 10 ans. C’est pour cette raison qu’il avait décidé de partir avec lui, de fuir cette maudite maison. Il ne voulait pas pour Pierre un anniversaire comme le sien. Cela faisait cinq ans, cinq années durant lesquelles il avait minutieusement préparé leur fuite.
Il aperçut très loin la lueur double d’une voiture et son anxiété monta d’un cran quand il remarqua qu’elle avançait à faible allure. D’un coup, il vit un troisième rond de lumière en hauteur et comprit qu’un projecteur balayait le maquis par delà la route. Son cœur accéléra la cadence. Les phares étaient énormes, c’était bien le même SUV que quelques heures avant. Il se calma pour ne pas réveiller le petit, surtout quand il se raisonna et fût sûr qu’ils étaient trop loin et bien à l’abri cachés dans les buissons pour que l’on puisse les voir.
Pourquoi ces gens les cherchaient ? Etaient-ils allés à la ferme ? C’est le père qui les avait appelés ? Impossible ! La maison n’avait pas de téléphone et il avait récupérer le téléphone du vieux et l’avait jeté dans le puits avec les clés de sa voiture. Il avait bien vu dans les films qu’il ne fallait pas garder ce genre d’appareils avec soi car ils étaient facilement repérables. Alors qui ou quoi avait amené ces gens jusqu’à leur maison ? Les yeux lui sortaient de la tête à regarder et suivre fixement ces trois points lumineux qui progressaient au ralenti. Il était soulagé que Pierre dorme aussi profondément. Puis, la voiture s’éloigna et il s’accorda à fermer les yeux.
Un tintamarre de sirènes hurlantes les réveilla brusquement. Il attrapa par réflexe le bras de son frère.
- Ne bouge pas ! Le petit s’exécuta et resta blotti contre lui.
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