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La suite de la journée avait été comme flottante mais somme toute, assez productive. Elle avait appelé Blain pour lui dire qu’elle se chargeait du ravitaillement de la pause et qu’un appel du divisionnaire l’avait informé de la visite du nouveau procureur en début d’après midi. De son côté, le lieutenant confirma la convocation du témoin pour 17h30, à la sortie de son travail.
Devant le tableau des constats, ils ne peuvent que s’apercevoir qu’il y a peu de chose :
Une famille décimée, les noms, prénoms et photos du père et des quatre fils, en colonne.
Deux jeunes femmes et quatre enfants, anonymes, sans aucun moyen d’identification à ce stade, leurs photos juxtaposées en colonne à côté de celle des cinq hommes. Qui sont-elles ? Kidnapées ? Vendues ? Esclaves ?
De l’autre côté du tableau, les noms et prénoms de la mère et de la fille disparues, pas de photos sauf celle du mariage, la photocopie est placardée entre les deux colonnes.
En haut, le nom et prénom du témoin ; on lui tirera le portrait après son audition pour compléter ce début de pédigrée.
- C’est maigre, dit Balitran.
- Ca ne fait que commencer, je crois qu’on ne va pas aimer ce qu’on va trouver, rebondit Farouk.
Lisa ne commente pas plus avant, il n’y a vraiment pas de quoi mais une intuition chatouille sa réflexion.
- Thomas ! Contactez les collègues du fichier central pour rechercher tout ce qui a trait aux différents protagonistes : Traitement d'antécédents judiciaires (Taj), personnes recherchées (FPR), empreintes génétiques (Fnaeg), empreintes digitales (Faed), infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Il faut ratisser large pour savoir ce qui a pu soulever un intérêt aussi violent sur cette famille.
Farouk! Lance un signalement sur Pharos et contacte par mailing avec un bref résumé des constats la SDLCO pour faire remonter toutes les affaires en cours ou classées avec un modus operandi similaire.
Balitran, marquez à la culotte l’équipe cynophile et le labo et le légiste, ces derniers surtout pour la recherche d’ADN sur les victimes, ce serait bien de ne pas poireauter une semaine ou deux pour les résultats ; quelque chose me dit qu’on aura des surprises, mauvaises sans aucun doute.
Je m’occupe des services sociaux dès demain matin ; Thomas, merci de me passer les coordonnées de vos interlocuteurs et ce que vous avez pu déjà glaner.
Ce dernier acquiesce et finit de noter sur la partie haute du tableau ce qui vient d’être établi pour diriger les premières investigations.
Ils finissent de déjeuner en discutant d’autres affaires en cours, l’équipe se plaint qu’il leur manque toujours un effectif car Mia n’a pas été remplacée. Un silence se fait, Ils boivent leur café en silence. Lisa se sent brumeuse et Farouk baisse la tête. Elle se relève très vite.
- Vous avez raison, je vais renouveler la demande et faire le siège du bureau du patron, tente-t-elle avec un semblant d’entrain rieur.
L’atmosphère se détend quand même un peu quand le divisionnaire fait son entrée :
- Pourquoi diable voulez vous prendre d’assaut mon bureau ! Déclame-t-il, bon enfant.
- Hé bien patron ! Vous êtes en avance aujourd’hui ! Des infidélités culinaires à votre épouse ? Lui retoque Lisa.
Il rit gentiment à sa boutade :
- Non ! J’ai déjeuné avec le procureur dans son restaurant préféré, une bonne adresse d’ailleurs. A ce propos, il sera là d’ici un quart d’heure. Lisa ! Je vous ai préparé un petit mémo succinct sur le successeur du proc’ Althus.
Il sort de sa sacoche une chemise, lui tend et retourne à son bureau en sifflotant. Qu’est ce qui le permet de si bonne humeur s’interrogent-ils tous du regard ?
Elle parcourt le feuillet. Jacques Neuville – 35 ans – Célibataire – Parcours universitaire brillant, un doctorat (Thèse : L'appréhension pénale des affaires non élucidées), plusieurs certificats de spécialités en criminalité, sociologie, psychologie – Parcours de carrière exemplaire (noté au plus haut par sa hiérarchie – rigueur, extrême probité, sens aigu du service public)- En poste à Paris depuis 12 mois.
Elle relit les quelques lignes à voix haute, pour Farouk surtout car les deux autres l’ont déjà brièvement rencontré puis elle jette le feuillet dans son tiroir. Elle se ravise et le sort pour le poser sur son bureau.
Le téléphone de Balitran perce le silence et c’est comme un signal. Thomas s’active pour lui envoyer les renseignements nécessaires à son déplacement demain dans les bureaux des services sociaux de la mairie et du département avant de rédiger avec Farouk le texte du mailing pour les différents services.
- Commandant ! Des nouvelles de l’équipe cynophile, ils ont quelque chose ! Je les mets sur hauts parleurs !
- Commandant Peron, leur signale-t-elle, où en êtes-vous ?
- Nous avons une masse, ce pourrait être un corps mais à ce stade, animal ou humain, on ne sait pas. On a installé la tente autour et on va filmer en direct, mettez un téléphone sur vidéo et donnez nous le numéro.
Balitran fait le nécessaire et ils ont le travail en direct ; il faut s’armer de patience, ils dégagent la terre lentement pour ne rien abîmer.
- Vous voyez ! On avance un peu ! s’exclame Lisa en se mettant devant le tableau pour y noter les derniers éléments.
Jacques Neuville avale les escaliers quatre à quatre, presqu’en courant, il est un peu en retard et n’aime pas ça. L’agente à l’accueil l’a reluqué d’un œil appréciateur : Mince, grand mais pas trop, très blond, des yeux bleus profonds sur un visage enfantin où une grande et fine bouche met la touche de virilité. Pull col roulé noir sur pantalon de ville bien coupé, des docks marteens basses, noires et bien cirées, son loden noir sur le bras. Il arrive essoufflé et pousse la porte du groupe la respiration hachée et un sourire accroché au visage.
- Voilà pourquoi les gars de la crim’ sont toujours perchés dans les greniers, s’exclame-t-il rieur ; comme ça, on ne tente pas trop souvent l’expérience de venir les déranger dans leur antre.
Il salue tout le monde à la cantonade. Elle se retourne, le regarde, ou plutôt regarde à travers lui, sourcils à peine légèrement froncés. Sans rien dire, ni faire, le transperce, le crucifie : Je suis à elle ! Pense-t-il, ses neurones se font la malle, un flash le fait vibrer : Sa chair contre ma chair ! Il se secoue et récupère ce qui lui reste de cerveau. Il tend une main chaleureuse aux membres de l’équipe, a repéré le nouveau venu à ses côtés et se tourne vers elle. Il aime son odeur, son souffle sur lui, léger, fugace quand il lui serre la main en s’arrêtant quelques secondes de plus que nécessaire avant de la contourner. Il la frôle imperceptiblement en passant, C’est chimique, son corps se tend. C’est plus fort que sa raison. Son désir pour elle est phénoménal. Il se place face au divisionnaire qui vient de faire son entrée pour assister au premier débriefing sur cette affaire.
Fera-t-elle un geste, un pas vers moi ? Il sent son regard dans son dos mais il ignore ce qu’il contient, ou même s’il contient quelque chose. Quand il se retourne, elle est debout face au tableau, entourée de ses équipiers et lui tourne le dos attendant d’avoir son attention et celle du patron pour les premiers exposés.
Elle commence à parler, sa voix est chaude et posée, le ton est sec, il se laisse griser. Merde ! Ses neurones continuent à déserter son cerveau. Il est frustré de ne pas voir ses lèvres se mouvoir durant son petit laïus et se déplace rapidement pour être face à elle avant qu’elle ne donne la parole à son équipe. Son visage est impassible mais sa bouche est hypnotique. Il pense : Sa bouche contre ma bouche ! C’est sûr toute sa raison l’a abandonné ; il la fixe intensément mais il ne lui sourit pas, il sait qu’elle n’est pas femme à se laisser embarquer par un sourire.
Elle se pose sur le coin de son bureau pendant les exposés suivants et il la rejoint en trois pas déterminés, remarque le mémo le concernant sur son sous main.
- Hum ! Vous avez enquêté sur moi, commandant ? Avance-t-il, un brin sarcastique.
- Non ! Un mémo du divisionnaire !
Il se pose près d’elle et met toute son attention à écouter la fin du débriefe par ses collègues alors que toute sa peau, chacun de ses nerfs l’exhortent à la toucher. Il voudrait ses mains à elle sur lui, le mouvement de ses hanches et ses cris sous son étreinte, il a d’elle des visions éblouissantes, puissantes. Putain ! Il faut qu’il respire et arrête son délire, ça va le rendre dingue. Il est déjà dingue !
- Et vous ?
- Quoi, moi ?? Il atterrit avec peine, se sent complètement idiot.
- Vous ! Vous avez enquêté sur moi ??
- Non, bien sûr que non ! Il ment et elle le sait.
- Sur Farouk ??
- Non plus. Deuxième mensonge et il sait qu’elle sait ; mais merde ! Il est procureur, c’est quasi normal qu’il sache presque tout des équipes d’investigation.
- Hum !! Bon, je crois qu’on a fini. Merci monsieur le procureur, nous on va se remettre au travail, on a une audition de témoin importante en fin d’après midi. A ce propos, on aurait besoin d’une CR (commission rogatoire) pour une perquisition chez ce témoin, je crois qu’on a là un bon client.
- Bien ! Je vais vous laisser travailler, abonde-t-il, un peu dépité d’être quasiment congédié ; passez demain matin à 10 heures à mon bureau commandant, je vous la remettrai en mains propres, de plus, j’ai une ou deux choses à voir avec vous sur des affaires antérieures. A demain donc !
Elle n’a pas le temps de répondre, il est déjà dans l’escalier. Elle se sent encore plus brumeuse, il lui tarde que la journée se termine et de rentrer chez eux avec Farouk, retrouver son fils, Candice, la sérénité de son cocon.
A-t-elle bien fait de reprendre du service dans la police ??
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