2. SEIZE
Quand j'avais seize ans, j'ai tué un type. Abraham Pence, c'est comme ça qu'il s'appelait. Abraham n'était pas le meilleur parmi les hommes mais, somme toute, il n'était pas plus mauvais qu'un autre. Il n'avait rien d'une lumière et, lorsqu'il s'agissait de ricaner d'autrui, la discrétion lui faisait généralement défaut. Tout le monde était bête, en vrai, dans ces années-là. Les jeunes dévalaient les rues sur leurs planches à roulettes au coucher du soleil, la cigarette entre les dents. On refaisait le monde dans les gradins du stade en soufflant des cercles de fumée, une bière à la main, aux rythmes que scandaient les radios portatives. Et c'était à celui qui viserait le plus loin. À la tombée de la nuit, faire le mur passait pour une coutume locale, un rituel essentiel au bon développement de tout adolescent sain d'esprit dont les parents ne s'inquiétaient que pour la forme, abusant du sermon, ultime débris de leur autorité. Les bandes se retrouvaient au coin des ruelles, dans les bars et dans les souterrains. La nuit, la ville mettait ses habits de fête. Elle revêtait sa cape sombre et inondait le ciel de mille lunes criardes, toute bigarrée de la joyeuse castagne qui lui brûlait les veines.
Moi, je regardais de loin, bien à l'écart des gangs, à l'abri de la ville et de ses artères sanguines. J'étais comme l'ombre sur les murs, comme l'étrange fumée qui émane des égouts de façon si fréquente qu'on n'y prête plus attention. J'étais invisible. Invisible mais partout, comme un spectre omniscient.
Annotations