8. Dans de beaux draps

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Les avantages qu'offrent une cellule individuelle sont infinis. Aucun ronflement ou claquement de narines ne perturbe mes nuits. Pas une paire de chaussures odorantes ne vient me rappeler l'atmosphère suffocante de mes dix mètres carrés lorsque je ferme les yeux. Aucun lascar musclé n'entreprend de me faire chanter. Personne ne m'agrippe pour forcer un sac de poudre blanche dans ma raie. Aucun pseudo-prophète révélé sous le panoptique ne me poursuit pour me convertir. Même ma marche, au pas, et ma douche quotidiennes seraient des rituels solitaires, sans la vigilance d'un gardien armé jusqu'aux dents. Ils ne sont pas bavards avec moi – sauf Calvin, le nouveau, ou cette aigrie de Barbara, une férue de la matraque à la poigne d'acier. Suffirait d'une armure et d'un casque de viking pour la renommer « Barbare ».

Je ne sais toujours pas si mon isolement est censé me protéger des autres, ou les autres de moi. À la cantine ou à la salle de sport, les gros bras me regardent du coin de l’œil, plein d'idées derrière la tête. Et mon jeu préféré, c'est de les dévisager assez profondément pour deviner ce qu'ils voudraient me fourrer et où.

L'éraflé se mord la langue en rêvant de m'enfoncer un canif dans le troufion. Rocky Junior me collerait bien son poing, mais seulement dans la face, histoire de m'amocher, de m'encastrer dans le décor, de me faire oublier. Je n'irai pas jusqu'à dire que la nature s'est montrée généreuse envers moi mais, ma foi, mon corps sec et imberbe doit être ce qu'ils ont vu de plus sexy depuis un bail. Joe Dalton veut me sauter, aucun doute ; et je doute même que je remarquerais la présence de son membre rachitique avant qu'il se retire, essoufflé. Quant au grand borgne renfrogné, lui, tout ce qu'il aimerait, c'est me couper les cheveux. Il paraît qu'autrefois, c'était un bon coiffeur. Ça, bien sûr, c'était avant de raser l'amant de sa femme jusqu'à l'os.

Aucun de ces reliquats de virilité n'essaye de m'approcher, cela dit. Pas depuis que j'ai croqué la jugulaire de cette enflure de Xavier.

Il y a un autre avantage, que je ne mentionne jamais. Mais je le déguste, ce soir encore. Il fait noir et, sur le lit du haut, je rêve les yeux ouverts, à même le plafond sale.

Que fait-elle en ce moment ? Il est vingt-deux heures trente. Sa famille lui tape sur les nerfs, elle n'a personne dans sa vie : Abby vit seule, ou avec une amie peut-être. Que font les gens seuls de leur soirée ? Pas comme moi, en général. Ils n'errent pas dans les rues, les mains au fond des poches, à titiller leur soif de mal. Les gens bien comme il faut, ils restent vautrés devant leur télé, ou planchent sur les dossiers du boulot. C'est ce qu'elle fait, je parie. En ce moment-même, elle se pète les neurones en essayant de démêler mon cas, la tête entre ses mains, sur la table branlante de sa kitchenette. Cette table-là qui tremble quand elle vernit ses ongles. Elle ne s'est pas démaquillée. Elle oubliera sans doute, ce soir encore, et retrouvera ses draps striés de mascara. Elle pense à moi, en ce moment. Elle pense à moi aussi, chaque fois qu'elle se glisse dans son lit, tout barbouillé de fards, noirci petit à petit par ce que je sème en elle. C'est un fait : je l'obsède.

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