2. La classe.
Plus tôt ce matin-là.
« Aujourd’hui, nous parlerons d’Helistia, annonça Mélusine d’une voix claire et joyeuse. Qui peut me dire ce qu’il a retenu de la leçon d’hier ? »
Un sourire radieux aux lèvres, Mélusine observait les mains de ses élèves se lever avec enthousiasme. Elle donna la parole à un petit Elfe fluet aux grands yeux verts, qui prit tout à coup un air sérieux et important.
« Nous t’écoutons, Synès, l’encouragea-t-elle d’une voix douce. »
L’enfant se leva, ses cheveux dorés brillant sous la lumière du matin, et Mélusine ne put s’empêcher de sourire en voyant sa détermination. Pour être entendu de tout le monde, il répondit d’une voix forte et claire :
« Helistia est le monde dans lequel nous vivons, et ses habitants se nomment les Hélistes. »
— C’est exact ! s’exclama Mélusine, les yeux pétillants de fierté. Tu peux t’asseoir, Synès.
Tout fier d’avoir donné la bonne réponse, le petit Elfe se rassit avec un petit rictus de satisfaction sur les lèvres, le menton légèrement relevé.
« Quelqu’un d’autre pourrait-il nous en apprendre davantage sur les continents que compte Helistia ? demanda Mélusine, son regard parcourant la classe avec curiosité. »
Mélusine, qui était assise à son bureau, se leva gracieusement pour se dégourdir les jambes, ses longues tresses blondes dansant autour d’elle. Debout au milieu de la classe, elle ajusta ses lunettes d’un geste élégant, ses doigts blancs effleurant délicatement les branches. Elle balaya ensuite la classe du regard, mais son sourire s’évanouit légèrement en ne voyant aucune main se lever. D’une démarche rapide et souple, elle se mit à arpenter la classe, ses pieds glissant silencieusement sur le sol. Elle récita d’une voix mélodieuse le contenu du livre de L’Histoire et la Géographie d’Helistia, qu’elle connaissait par cœur. Les petites oreilles pointues des enfants étaient toutes tournées vers elle, leurs yeux brillants de curiosité, tandis qu’elle énumérait les continents d’Helistia :
« Helistia est divisé en trois grands continents : Oxane au nord, Mechthorne au sud, et enfin Legnister, le continent central. »
Mélusine s’attarda plus particulièrement sur Legnister, le continent qui abritait la forêt sacrée des Elfes, là où ils se trouvaient. Elle demanda à la classe le nom de cette terre magique, un petit morceau du continent central. Tous les doigts se levèrent avec enthousiasme, et Mélusine choisit une Elfe toute menue du nom d’Inza pour répondre. Inza se leva alors, légèrement tremblante d’hésitation.
« Vas-y, Inza, nous t’écoutons, l’encouragea Mélusine en se penchant légèrement vers elle, un sourire bienveillant aux lèvres. »
La petite Elfe articula avec difficulté, ses joues rougissant légèrement :
« Yggdol ? prononça-t-elle enfin, d’une voix timide. »
Mélusine étira ses fines lèvres en un large sourire et plongea ses yeux émeraude dans ceux d’Inza, qui lui rendit son sourire.
« C’est exact, approuva Mélusine. »
Satisfaite, l’enseignante se dirigea au fond de la salle, faisant voler derrière elle ses deux longues tresses blondes. Arrivée au niveau du tableau, qui débordait d’une fine d’écriture, Mélusine exposa à ses élèves la situation concernant Yggdol : sa magie, ses forêts, ses cours d’eau, sa population, la place et le rôle des Elfes dans le monde…
Les jeunes Elfes recopiaient leur leçon en silence, mais Ephrem remarqua une Elfe aux yeux brillants qui semblait lutter pour déchiffrer les mots du tableau. Leur regard se croisa brièvement, un fragment de connexion dans l'océan de silence de la classe. Mélusine quant à elle était retournée à son bureau et avait récupéré un gros livre dans l’un de ses tiroirs intitulé « Peuples du monde ». Elle s’assit sur sa chaise et commença à le lire :
« … Maître, demi-dieu, nait de l’union d’un Dieu et… Un talent absolu dans un domaine… Une fois au Zénith, le temps n’a plus d’emprise… Très peu nombreux aujourd’hui à cause d’une guerre… »
« … Kird, qui sont les ancêtres des… d’une force prodigieuse… Une nouvelle intelligence et sensibilité… »
« … le plus représenté sur Legnister… l’archipel au sud-ouest… voisin des Humains… »
« … Constellaire, race la plus magique qui soit… recluse à… capable de grande chose en un claquement de doigts… montagne de Loes… observent les étoiles, méditent et… »
Un jeune Elfe, plus grand que ses camarades, vérifiait au tableau s’il n’avait pas fait de faute :
« La magie d’Yggdol permet aux Elfes de garder leur immortalité tant qu’ils respectent quelques règles… ».
Il corrigea un mot et fixa son attention sur une nouvelle phrase…
Un autre Elfe ne semblait pas intéressé par la leçon, et préférait regarder ailleurs que sur le tableau. Il remarqua alors ce qui échappait à l’enseignante, absorbée par la lecture de son livre.
« Maitresse, chantonna-t-il en se balançant sur sa chaise, il y’a Aldonel qui lève son doigt ! »
— Y a-t-il un problème Aldonel ? s’étonna Mélusine en posant son livre.
— Heu ! Non maitresse, hésita l’Elfe. Je me demandais seulement qui peuplait le reste de Legnister ? questionna-t-il.
— Eh bien, réfléchit la maitresse en se tapotant le menton du bout des doigts. Yggdol n’est en effet qu’une petite partie de Legnister. D’autres races possèdent des parties plus importantes de ce continent. Je parle de superficie bien sûr, précisa-t-elle.
— Et quelle race a la plus grande part de Legnister ? demanda encore Aldonel.
— C’est assurément les Humains.
— Comment est-ce possible qu’ils en possèdent plus que nous, alors qu’ils n’ont pas le moindre pouvoir magique ? cria un Elfe du nom d’Ansig. Même leur terre est dépourvue de magie ! C’est mon père qui me la dit. Et il sait de quoi il parle, parce qu’il siège au « Conseil » ! se vanta-t-il. Et il est toujours au courant de tout.
— Je ne vois pas très bien le rapport qu’il y a entre la magie et les terres que possèdent les Humains ! répondit Mélusine.
— Les Humains n’ont pas de pouvoir ! s’exclama Aldonel surpris. Mais Ephrem a des pouvoirs, et c’est bien un Humain, non !
— Pas tous en même temps s’il vous plaît ! ordonna Mélusine en se levant brusquement. Concentrez-vous sur la leçon. Il ne reste plus beaucoup de temps avant la fin de la classe, alors faites un dernier effort, et recopiez la leçon qui se trouve au tableau !
Le silence était retombé dans la classe. Mélusine s’était rassise et avait repris son livre, concentrée par sa lecture. Pendant ce temps, un être différent des Elfes observait la classe depuis l’extérieur, invisible aux yeux des élèves absorbés par leur leçon. Cet individu, aux oreilles rondes et aux yeux gris clair presque transparents, se distinguait clairement de ses hôtes elfiques. Ses cheveux noirs bouclés lui donnaient un petit air négligé. C’était Ephrem, le seul Humain parmi les Elfes.
Depuis plusieurs jours, Ephrem se sentait mélancolique, une tristesse sourde envahissant son cœur. Alors que Mélusine posait des questions à ses élèves, Ephrem se perdait dans ses pensées. Pourquoi vivait-il à Yggdol alors qu’il était un Humain ? se demandait-il. Pourquoi ? Mais aussi, pourquoi arrivait-il à utiliser de la magie alors que, d’après ce qu’il savait, les Humains en étaient incapables ? Ces questions tournaient en boucle dans l'esprit d'Ephrem, comme des ombres persistantes dans la lumière. Il sentait le poids de l'incertitude peser sur ses épaules, obscurcissant même les moments les plus lumineux de sa journée. Était-ce la peur de ses propres pouvoirs qui avait conduit ses parents à l’abandonner à Selfyn, son père adoptif ? Ou bien y avait-il quelque chose de plus, tapi dans les recoins sombres de son passé, qui échappait encore à sa compréhension ? L’idée que ses pouvoirs aient pu effrayer ses parents au point de l’abandonner à Selfyn, son père adoptif, le hantait. Bien qu’il ne manque de rien, il ne se sentait pas à sa place.
Les bras croisés et le dos voûté, Ephrem ferma lentement les yeux, s’enfonçant un peu plus dans ses interrogations. Mais le carillonnement lointain d’une cloche le ramena brusquement à la réalité. C’était le signal de la fin de la classe.
Ephrem rouvrit ses yeux, et observa Mélusine mettre ses élèves en rang et les faire sortir deux par deux. Les élèves dirent au revoir à leur maitresse et se précipitèrent ensuite vers la sortie. Certain d’eux en apercevant Ephrem, lui lancèrent un timide bonjour avant de s’éloigner en courant. D’autres se contentèrent de faire comme s’ils ne le voyaient pas. D’une voix faible, Ephrem répondait aux enfants bien élevés, mais son visage, fermé, restait orienté vers Mélusine. Cette dernière, son gros volume à la main, dit au revoir au dernier élève, et se rendit enfin compte que les grands yeux d’Ephrem étaient rivés sur elle ! Elle lui adressa son plus beau sourire, et courut vers lui.
« Ephrem ! s’exclama-t-elle. Ça me fait plaisir de te voir. Tu as passé une bonne journée ? Moi, oui. Je suis fière de mes élèves, ils progressent si rapidement ! L’un d’eux, il s’appelle Aldonel, est particulièrement intelligent et aussi très curieux. On dirait moi quand j’étais élève ! Il a encore posé une question intéressante aujourd’hui. Beaucoup d’élèves ont participé à la classe, mais comme on s’éloignait du sujet du cours, j’ai dû les recentrés… débita-t-elle d’une seule traite, sans laisser à Ephrem le temps de tout assimiler. »
Elle passa une main dans ses mèches qui tombaient devant ses yeux, quand elle remarqua enfin que quelque chose n’allait pas !
« Tu ne te sens pas bien ? »
— Ne t’inquiète pas, le rassura le jeune Humain, je vais bien.
— Tu sais, tu devrais parler plus fort, on a du mal à t’entendre, lui reprocha-t-elle. Ce n’est pas la première fois que je te le dis !
— Je sais, souffla Ephrem en croisant ses bras.
— Dis-moi ce qu’il se passe, je suis quand même ta grande sœur ! tonna-t-elle.
— J’ai entendu la question de l’un de tes élèves, lâcha-t-il, accablés. Au sujet des pouvoirs, que les Humains ne sont pas censés avoir.
— Et tu te questionnes sur les tiens, c’est ça ?
— Oui, répond-il simplement.
Mélusine prit un instant de réflexion et finit par décider qu’il valait mieux rentrer. Elle avait conscience de ne pas détenir toutes les clés des interrogations de son frère. À l’inverse, Selfyn, leur père, pourrait lui apporter le soutien nécessaire pour élucider ces mystères.
« Rentrons à la maison, conseilla Mélusine, papa ne va pas tarder à rentrer. S’il y a quelqu’un qui peut t’éclairer, c’est bien lui. »
Mélusine prit la main d’Ephrem, qui se laissa passivement diriger loin de la classe, en direction de leur foyer. Tout en marchant d’un pas lent pour ne pas risquer de faire chuter son frère qui trainait des pieds, la jeune Elfe jetait de temps à autre des coups d’œil derrière son épaule. Le visage attristé de son frère lui déchirait le cœur. Elle soupira, tentant de trouver les mots pour alléger son fardeau.
Au loin, elle aperçut l’immense bâtiment en bois blanc qui servait d’école à tous les enfants d’Yggdol. Cet arbre immense, contorsionné pour offrir un abri fermé, servait de salle de classe aux Elfes. Une idée germa dans l’esprit de Mélusine.
« As-tu remarqué que toutes les habitations d’Yggdol, même notre maison, sont en fait des arbres ? demanda-t-elle, espérant distraire Ephrem de ses pensées sombres.
Aucune réponse.
« La raison en est bien évidemment magique ! dit-elle de son ton d’enseignant. Yggdol, notre forêt, se modifie sans cesse pour nous fournir tout ce dont nous avons besoin, continua-t-elle comme si elle faisait la leçon à ses élèves. Il suffit que la communauté en ait besoin, et les arbres poussent, se tordent, s’entremêlent, jusqu’à former un lieu, plus ou moins vaste, et totalement protégé. Et d’après toi, combien de temps cela prend-il ? »
Toujours aucune réponse.
« Une seule et unique soirée ! Pas plus, pas moins, peu importe la taille du bâtiment. »
Elle attendit une réaction d’Ephrem, mais il ne semblait même pas écouter ce qu’elle lui racontait ! Elle continua cependant à expliquer « la magie sylvestre de construction », et fit remarquer que les plus jeunes Elfes n’avaient jamais eu la chance de voir les arbres bouger la nuit, leur démographie n’évoluant plus depuis des siècles…
Le trajet qui conduisit Mélusine et Ephrem vers leur maison fut ponctué par beaucoup d’autres histoires…
De son côté, Ephrem se rendait à peine compte qu’il était tiré par Mélusine, et que celle-ci déversait tout ce qui lui passait par la tête. Perdu dans ses pensées, il ne s’aperçut donc pas qu’ils étaient enfin arrivés chez eux.
À cette période de l’année, leur toit, qui était formé d’une multitude de branches touffues, était d’une belle teinte orangée. À la porte se tenait debout bien droit, un homme très grand, svelte, à la peau blanche comme de la neige, avec un visage sérieux, sévère même ! Ses cheveux blonds étaient simplement relâchés jusqu’à la taille, et une fine tresse sur sa tempe gauche était nouée à l’aide d’une lanière noir brillant, faite dans une matière molle comme de la cire. Son nez aquilin, ses lèvres serrées et ses joues creuses accentuaient encore davantage l’idée qu’il ne devait décidément pas être facile de discuter avec cet homme-là. Pourtant, on ne saurait être plus loin de la réalité. Ses yeux perçants lui permirent de voir arriver ses deux trésors. Maintenant à sa portée, il ouvrit largement ses bras et étreignit Mélusine et Ephrem. Il ne les relâcha qu’au bout de quelques secondes, et de sa voix puissante et profonde leur souhaita la bienvenue. La voix de Selfyn résonna, vibra jusque dans les pensées d’Ephrem, qui émergea enfin. Il fut surpris de se retrouver face à son père adoptif. Malgré le temps dont le jeune homme disposa pour scruter ses interrogations sous tous les angles pendant le trajet, il demeura incapable de trouver la formulation adéquate pour les exprimer ! C’est Mélusine qui prit les devants, et demanda à son père de leur relater tout ce qu’il savait d’Ephrem.
Selfyn fixa son jeune fils et dut admettre qu’il avait effectivement l’air plus abattu qu’à l’ordinaire.
« Dans quelques jours tout ira mieux, les rassura-t-il. »
Peu convaincue, la jeune Elfe insista pour que leur père expose la raison de la présence d’un Humain parmi les Elfes. « Après tout, il a seize ans, lui rappela-t-elle, alors il est capable de comprendre ! ».
« Il en profitera pour clarifier la raison pour laquelle Ephrem possède des pouvoirs, espéra-t-elle ».
En effet, cette particularité éveillait la curiosité de Mélusine. Elle avait exploré dans tous les ouvrages à sa portée sans en trouver un seul racontant qu’un Humain pouvait utiliser la de magie.
Ephrem fixa les yeux de son père adoptif, et le supplia de répondre à ses questions. Selfyn caressait son bouc en réfléchissant, puis de sa voix de stentor, invita ses enfants à entrer afin de discuter au chaud, loin des oreilles indiscrètes.
Ils entrèrent dans la maison, dans laquelle planait une forte odeur camphrée mélangée à un parfum plus subtil d’épices odorantes. La pièce principale, petite et peu chargée, ne contenait que trois fauteuils massifs sur lesquels reposaient des petits coussins, et une petite étagère qui pliait sous le poids de trop nombreux volumes.
Tous trois biens installés dans leur fauteuil respectif, Selfyn invita Ephrem à lui poser les questions qui lui torturaient tant l’esprit. Celui-ci jugea que toutes ses interrogations pouvaient être résumées en une seule question :
— Qui suis-je ?
Plongée au cœur du monde d'Helistia, où se mêlent magie, secrets et quête d'identité... Ephrem, le seul Humain parmi les Elfes, lutte contre un océan de questions qui le tourmentent : pourquoi vit-il à Yggdol ? Pourquoi possède-t-il des pouvoirs que les autres Humains n'ont pas ? Les réponses semblent se trouver au-delà de ce qu'il a toujours cru...
Que feriez-vous à la place d'Ephrem ? Comment réagiriez-vous en découvrant des pouvoirs que personne d'autre ne possède ? Laissez vos réponses en commentaire et partagez vos réflexions... Qui sait, peut-être vos idées éclaireront-elles le chemin d'Ephrem !
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