7. En route !

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Mélusine et Ephrem avaient quitté leur village tôt le matin. Après une longue marche, ils finirent par s'approcher de la limite qui séparait Yggdol du royaume de Lognis. Ils devaient continuer vers l'est pour arriver à Luctès, l'un des villages du royaume d'Isbergue, là où les parents d'Ephrem habitaient. Dépourvus de chevaux et leurs affaires étant assez lourdes (surtout celles de Mélusine), leur trajet leur prit tout de même une journée entière, car ils durent faire plusieurs arrêts pour reprendre des forces ! Comme la nuit commençait à tomber, ils décidèrent de la passer dans la forêt des Elfes avant de poser un pied sur les terres Humaines. Mélusine retira de son sac de voyage un long ruban vert qu'elle jeta par terre à côté d'un arbrisseau aux feuillages blancs comme la neige. Dès que le ruban toucha le sol, il se déploya jusqu'à former un long tube juste assez grand pour contenir une personne d'un bon gabarit. Elle retira également de son sac une fine couverture. Ephrem, pour sa part, n'avait prévu que des couvertures. Il en poserait une par terre et se couvrirait d'une seconde.

« Ça fera parfaitement l'affaire, se dit-il. »

Prête à passer une bonne nuit, Mélusine déposa ses affaires et retira son chapeau de paille, et demanda ensuite à son frère d'allumer un feu pendant qu'elle irait chercher quelque chose à manger. Elle profiterait de ce qu'ils soient toujours dans la forêt pour trouver quelque chose au lieu de commencer à piocher dans leur réserve. Elle ne chasserait pas d'animaux bien entendu, cela était interdit à Yggdol. De plus, se nourrir de la chair des animaux faisait perdre son immortalité à un Elfe. Elle cueillerait plutôt quelque fruit pour constituer leur repas de ce soir. Elle fit quelque pas en direction d'un arbre fruitier avant de s'apercevoir qu'Ephrem ne semblait pas vouloir bouger. Il était en proie à une grande hésitation. Elle se retourna vers lui en lui demandant ce qui n'allait pas.

« Je ne veux pas allumer de feu en utilisant mes pouvoirs, avoua celui-ci en fixant le sol. Mais je ne sais pas en faire autrement. »

— Tu ne veux pas utiliser tes pouvoirs ! répéta Mélusine surprise, et un peu exaspérée. Je pourrais en connaître la raison ?

— Heu..., eh bien, commença-t-il, les yeux toujours fixés sur le sol, les Humains n'ont pas de pouvoir magique, et je pense que je devrais prendre l'habitude de ne plus faire appel aux miens. Pour ne pas nous causer d'ennui quand nous serons dans l'autre monde. Le monde des Humains ! précisa-t-il.

— Pour l'instant nous sommes encore en territoire Elfe, souligna Mélusine. Alors ne pourrais-tu pas allumer ce feu que je parte cueillir de quoi nous remplir l'estomac ?! S'il te plaît.

Voyant qu'Ephrem ne semblait toujours pas vouloir bouger, Mélusine soupira en levant la tête vers le ciel et lui dit qu'elle ferait le feu elle-même. Elle rassembla quelques branches qu'elle trouva dans la forêt, plaça une paume au-dessus du fagot, puis murmura quelque chose. En une fraction de seconde, la forêt, qui commençait à s'assombrir, fut illuminée par un feu magique qui ne s'éteindrait qu'au petit matin et qui leur assurerait de ne pas mourir de froid pendant la nuit !

Quelques minutes plus tard, Ephrem revint de sa cueillette. Il avait dans les bras des pommes sauvages et quelques baies bien mûres. Content de voir qu'il s'était correctement acquitté de cette tâche, Mélusine l'invita à s'assoir près du feu magique qu'elle venait d'allumer. Avant de s'installer elle-même, elle plaça un long tissu couleur crème par terre, pour qu'Ephrem y dépose les fruits qu'il avait ramenés. Tous deux assis, ils commencèrent d'abord par se réchauffer un peu, en tendant leur bras aussi loin que possible vers le feu. Ephrem se servit en premier parmi les fruits mûrs. Il avait déjà mangé deux pommes sauvages et quelques baies avant que Mélusine se décide à son tour à prendre un fruit. Les baies, juteuses, avaient sa préférence. Une fois repue, l'Elfe s'allongea, le dos dans l'herbe grasse. Ephrem continuait de manger en silence, quand il fût interrompu par une question de Mélusine.

« Dis-moi, tu entends aussi des voix dans ta tête toi ? Comme papa ? demanda-t-elle avec un soupçon d'inquiétude dans la voix. »

— D'après ce qu'il a lui-même dit, il aurait entendu une voix lui donner un conseil le jour de ma venue à Yggdol, répondit Ephrem. Je ne sais pas ce qu'il entend, mais moi il m'arrive d'entendre ma propre voix dans ma tête. C'est comme si je n'avais aucune emprise sur mes pensées, à certains moments du moins. C'est simplement l'intuition, j'imagine, conclut-il en croisant ses bras.

Mélusine se remit assise pour être face à son frère.

« Moi je ne fonctionne pas à l'intuition. Un choix se prend toujours sur la base d'une réflexion, récita-t-elle. Je ne sais pas grâce à quel procédé cela fonctionne si bien pour toi, mais si le monde faisait de même demain, nous nous dirigerions inexorablement vers un chaos dénué de logique et d'intelligence. »

— Tu crois ! répondit-il naïvement.

— Évidemment, tonna Mélusine en fixant Ephrem, semblant le mettre au défi de lui dire le contraire. Et cette histoire de voix intérieure, je trouve ça grotesque, ricana-t-elle.

— Tu as du mal à accepter cette idée, mais papa lui, ne pense pas que c'est impossible, je crois, marmonna Ephrem. En tout cas, poursuivit-il, si papa a vraiment entendu une voix, je me demande à qui elle appartenait ?

— Je ne pense pas qu'il entend une voix étrangère venue d'ailleurs, c'est juste sa façon d'interpréter les choses, se rassura-t-elle. Ou alors, peut-être que d'une certaine façon tu lui as communiqué ce que tu appelles ton intuition. Personne ne connaît réellement tous tes pouvoirs après tout, précisa-t-elle. Je trouve ça un peu gros, mais ça me semble quand même plus plausible que d'entendre une voix qui vient d'on ne sait où !

Ephrem n'était pas convaincu que Mélusine ait raison, mais il ne souhaitait pas l'avouer ouvertement pour éviter une nuit à subir les différents arguments qu'elle lui imposerait. De toute façon, pour lui, entendre des voix ou non n'était pas son souci premier.

Mélusine bâilla longuement puis conseilla à Ephrem d'aller se coucher, car une longue journée les attendait demain. Plus par imitation que par fatigue réelle, Ephrem bâilla également. Malgré la longue marche de la journée, il se sentait en pleine forme, mais décida quand même de dormir. Une fois entre ses épaisses couvertures, il ferma les yeux...

Ephrem entendait les respirations lentes et profondes de Mélusine depuis un moment. Lui-même n'arrivait toujours pas à trouver le sommeil. Il décida de se mettre debout et d'aller marcher un peu. Il ne fit que quelques pas avant de se rendre compte qu'une obscurité oppressante lui faisait face, au-delà du champ d'action du feu magique de Mélusine. Il savait qu'il ne risquait rien dans cette forêt, mais il choisit quand même de rester dans la lumière, chaude et rassurante. Il fit donc volte-face, et alla s'asseoir. Il resta là, devant ce feu, à le fixer, mais sans vraiment le voir. Il faisait mentalement le bilan de ce qu'il ressentait : il n'était pas fatigué, il n'avait plus faim, son angoisse ne l'avait pas quitté... et il commençait à avoir des fourmis dans les jambes à force de rester immobile. Il se remit debout et tourna en rond autour du feu. Quand il arriva au treizième tour (à peu de chose près), quelque chose attira son attention. Un objet était à peine visible, dans un endroit à mi-chemin entre la clarté offerte par le feu et la pénombre. Ce jeu d'ombre et de lumière avait fait apparaître à ses yeux, ce qui lui semblait être une épée. Il s'approcha très lentement de l'objet, et constata avec surprise qu'il ne s'était pas trompé ! Qu'est-ce qu'une épée faisait à cet endroit ? Il savait en tout cas qu'il ne pouvait pas appartenir à un Elfe, car cette race pacifique avait depuis très longtemps abandonné ces objets maléfiques dont le seul but était de prendre des vies. Alors peut-être l'épée d'un Humain ? D'après ce qu'il en savait, les Humains n'avaient pas beaucoup visité les Elfes. En fait, les derniers Humains à avoir posé les pieds à Yggdol étaient ses parents. L'épée de son père ? Non, impossible. Son père et sa mère étaient des paysans. Même s'ils avaient décidé d'acheter des épées pour se protéger, quelle chance il y avait-il pour qu'ils aient suffisamment d'argent pour acquérir une épée dont la garde était sertie de pierres précieuses ! En effet, de là où il se tenait, il voyait bien que cet instrument de mort était également un beau bijou richement décoré.

Après être resté plusieurs minutes à admirer la magnifique épée de loin et à se questionner sur sa provenance, Ephrem se décida enfin à aller la prendre. Il s'accroupit proche de cette merveille, enleva consciencieusement une à une les feuilles qui la cachaient partiellement, et la saisit par la garde avant de se remettre debout lentement. À sa grande surprise, l'épée était très légère ! Il s'attendait à un poids plus important, à cause de l'acier lui-même, et aussi à cause de la présence de toutes les pierres précieuses dont l'épée était ornée. Il finit par se dire que c'était peut-être normal. Après tout, il n'avait jamais tenu d'épée avant ce soir. Il resserra son emprise sur la garde, et fut soudain inspiré. Il se mit alors à décrire de grands arcs de cercle, à gauche et à droite, à porter l'épée face à lui, comme pour transpercer un adversaire qui lui faisait face, à se retourner pour contrer un autre adversaire imaginaire qui essayait de le couper en deux... Il continua à tourner, parer, contre-attaquer jusqu'à ce qu'il commence à sentir le poids de l'épée changer. Son bras également devenait de plus en plus lourd !

« Serait-ce une épée enchantée ? se demanda-t-il. »

Il ne comprenait pas ces nouvelles sensations, mais qu'importe. Il continua à se battre ainsi toute la nuit, comme l'auraient fait les héros des histoires de Mélusine.

Le soleil commençait à se lever quand Ephrem arriva à la limite de son endurance. Exténué, il décida qu'un petit somme lui ferait le plus grand bien. Il ne se rendait pas compte que pour la première fois de sa vie, son esprit était libéré de toute réflexion superflue. Une seule chose l'attirait à cet instant ; ses couvertures qu'il avait abandonnées plus loin. Il posa son épée près de sa couche avant de s'y glisser. Il ferma les yeux et sentit le sommeil venir rapidement, mais à côté de lui, Mélusine se réveillait. Elle l'agita et lui dit qu'il était l'heure de se préparer à partir. Quand Mélusine aperçut le visage d'Ephrem, humide à cause de la sueur, et marqué par la fatigue, elle conclut naturellement qu'il n'avait pas réussi à fermer l'œil de la nuit. Compatissante, elle se pencha sur lui en s'apprêtant à lui dire des mots destinés à l'apaiser, mais la sensation de métal qu'elle sentit sous ses doigts la détourna de cette intention bienveillante. Elle regarda l'objet à la lame brillante allongé près d'Ephrem et poussa un cri de surprise en se rendant compte qu'il s'agissait d'une épée.

« Que fait cette épée près de toi ? s'étouffa Mélusine. Tu n'avais pas d'épée hier soir ! »

— Je l'ai trouvée, bâilla Ephrem en se frottant les yeux.

— Trouvée ! répéta-t-elle interloquée. Ici ? Dans notre forêt ?

— Oui, baragouina Ephrem en se massant le bras droit.

— Ne dis pas juste oui, s'impatienta-t-elle. Explique-toi !

— Je n'arrivais pas à dormir, balbutia-t-il, alors j'ai tourné en rond et j'ai trouvé cette épée cachée sous des feuilles mortes.

— Donc tu l'as trouvé dans la forêt, murmura-t-elle.

— Oui, acquiesça Ephrem, un peu agacé d'être extirpé si brutalement de son trop court sommeil.

— Alors, laisse-la ici ! exigea-t-elle.

— Non, rétorqua-t-il en bâillant une nouvelle fois.

— Les Elfes ne possèdent pas d'arme. Tu dois t'en débarrasser Ephrem ! ordonna sa grande sœur.

— Ça tombe bien, protesta Ephrem, je suis un Humain.

Ils restèrent là à se fixer un moment. Ephrem ne lui avait jamais tenu tête auparavant. Elle était partagée entre l'horreur que lui inspirait cette arme pouvant causer la mort et l'envie d'encourager Ephrem à tenir tête aux autres, même à elle. Il devait impérativement apprendre à s'imposer. Mais pourquoi fallait-il qu'il commence maintenant ? Pour une arme en plus ! Était-ce à cause du sang Humain qui coulait dans ses veines ?

« Les Humains sont peut-être tous attirés et fascinés par les armes ! finit-elle par penser. »

Elle se leva brusquement sans même regarder Ephrem, et lui demanda de se préparer à partir. Ce dernier, étonné, se mit debout lentement, et essaya d'expliquer pourquoi il tenait à garder cette épée :

« Je suis désolé de m'être emporté, bâilla-t-il, mais je me suis senti différent hier soir avec cette arme à la main. Comme si j'étais devenu l'un des héros de tes incroyables histoires. »

— Mes incroyables histoires, dit-elle en riant. Si c'est pour que tu deviennes un héros fort, courageux, et qui n'a peur de rien ni de personne, je peux bien te laisser prendre cette épée. Mais fais attention à ne pas te blesser.

— Et je suis désolé également d'avoir dit que se suis un Humain, rajouta-t-il en baissant la tête.

— Mais tu es un Humain, nigaud ! rigola Mélusine.

— Je n'aurais quand même pas dû le dire de cette façon, chuchota Ephrem.

Mélusine soupira. Elle lui indiqua qu'elle ne voyait là aucune raison de s'excuser, et lui rappela qu'elle lui disait pour la troisième fois de se préparer à partir. Ephrem s'activa (à son rythme) pour ranger toutes ses affaires. Mélusine résistait à l'envie de lui dire qu'il irait bien plus vite s'il utilisait ses deux mains, car dans la main droite de son frère demeurait toujours l'épée qu'il ne semblait plus vouloir lâcher. Elle resta donc là, à attendre qu'il ait enfin terminé.

Dans un monde où la magie et la raison s'affrontent, quelle voie choisiriez-vous ? Ephrem découvre une épée mystérieuse qui réveille en lui des instincts humains et des désirs cachés. Mais Mélusine, sa sœur elfique, perçoit en cette arme une menace pour leur héritage et leur sécurité. Entre intuition et logique, magie et humanité, qu'est-ce qui guiderait vos pas ?

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