15. Retour à Yggdol.

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Mélusine et Ephrem apercevaient Yggdol au loin. Ils y seraient dans très peu de temps. Leur voyage de retour avait duré quelques jours, mais cette fois, ils n’avaient fait aucune mauvaise rencontre. Mélusine avait retrouvé son habituel sourire et sa bonne humeur, et elle recommençait à noyer Ephrem sous un flot de paroles, comme d’habitude presque incompréhensible, du fait de la vitesse à laquelle elle débitait ses mots. De son côté, le jeune Humain s’était emmurait dans son esprit. Pas un seul mot depuis qu’ils avaient décidé de revenir à Yggdol. Mélusine savait que même pour lui, cela restait plutôt inhabituel. « Pas un seul mot en plusieurs jours » ! Elle avait bien essayé de le faire parler, mais en vain. Par dépit, elle avait décidé de parler pour deux, ce qui n’était pas tellement un exploit venant d’elle. Elle disait à haute voix tous ce qui lui passé par la tête : La différence entre les races, le pourquoi des anciennes guerres… Ephrem crut l’entendre demander son avis sur l’implication de l’émergence de nouvelle espèce dans un environnement où la survie… avant de parler des bases risibles de la logique au sein d’une communauté… jusqu’à être particulièrement volubile au sujet de la complexité de trouver un produit naturellement adapté à l’utilisation prolongée… permettant à ses cheveux de garder…. Le seul sujet qui intéressait Ephrem en ce moment, et qui était loin des préoccupations de Mélusine, c’était de savoir s’il arriverait à retrouver ses parents à temps pour pouvoir les sauver.

Enfin, ils posèrent le pied dans leur village. Toute joyeuse, Mélusine gonfla ses poumons, comme si elle essayait d’aspirer tout l’air présent autour d’elle.

« Rien ne vaut son chez-soi ! cria-t-elle, s’attirant les regards réprobateurs des passants. »

Une petite Elfe aux longs cheveux argentés reconnut alors Mélusine et s’approcha d’elle d’un pas hésitant.

« Bonjour Maitresse Mélusine, murmura-t-elle. »

— Ha, c’est toi Inza ! chantonna Mélusine en prenant la petite fille dans ses bras. Si tu savais à quel point tu m’as manqué ma petite chérie !

— Vous nous avez manqué aussi, mademoiselle, lui répondit Inza. Monsieur Ewen est très gentil, mais c’est quand même vous que je préfère.

Flattée, elle prit la fillette dans ses bras pour lui déposer un doux baiser sur le front, et la reposa ensuite sur le sol.

« Je suis de retour, et je suis bien décidé à reprendre ma classe dès demain ! annonça-t-elle. Je n’ai pas vu mon père depuis longtemps, alors je me dépêche d’aller le voir. »

Mélusine dit au revoir à Inza, puis prit la main d’Ephrem. Elle parcourut rapidement la distance qui les séparait de leur maison, et une fois qu’ils furent arrivés, Mélusine frappa à la porte. Du bruit à l’intérieur indiquait qu’une personne s’y trouvait. Au bout de quelques secondes, ils entendirent des bruits de pas qui se rapprochaient de la porte, puis la voix caverneuse d’un homme se fit entendre.

« Qui cela peut-il bien être ? dit l’homme en tirant la porte. »

Un homme très grand, svelte, avec un visage sévère, serrait une tigerette entre ses dents. En se rendant compte que derrière la porte se tenaient sa fille et son fils, il fut tellement surpris que ses traits habituellement durs se tordirent pour former une expression de joie. Sous le coup de la surprise, il fit tomber sa tigerette, qui s’éteignit toute seule en touchant le sol. Mélusine n’avait jamais vu son père avec une telle expression sur le visage. Cela ne lui allait pas du tout et lui donnait un air bizarre, drôle même. Alors, incapable de se contrôler, Mélusine se plia en deux, et laissa échapper un rire particulièrement sonore. Loin d’être vexé, Selfyn s’apprêtait à rire de bon cœur pour accompagner sa fille, quand il remarqua le visage et les yeux d’Ephrem. L’inquiétude, la tristesse, la douleur, voilà tout ce qu’il y voyait !

« Pourquoi à t-il l’air si mal ? se demanda-t-il. Leur voyage ne s’est pas bien terminé ! ».

Il s’éclaircit la gorge pour faire comprendre à sa fille adorée qu’il était temps qu’elle s’arrête de rire. En se relevant, Mélusine vit que son père observait Ephrem. Muet, tête baissée et bras croisés ! Ephrem avait souffert. Il continuait à souffrir. Peut-être son père pourra-t-il faire quelque chose pour l’aider. Mais avant tout, il fallait lui raconter leur voyage. Mais pas sur la pallier de la porte.

« Entrez mes chers enfants ! dit-il en se poussant pour leur laisser la place. Je crois bien que vous avez une longue histoire à me narrer. »

Mélusine, Ephrem et Selfyn, étaient une fois de plus assis au milieu du salon, qui allait, une fois encore, être le témoin d’une discussion au sujet d’êtres qui n’appartenaient pas au peuple des Elfes.

« Alors ? interrogea Selfyn. Comment te sens-tu ? »

— Je n’ai pas pu les voir, dit simplement Ephrem, le visage défait.

Selfyn attendit la suite, mais comprenant qu’elle ne viendrait pas, il jeta un œil à Mélusine pour l’inciter à compléter l’histoire de son frère. Mélusine, qui était dans son élément, raconta toute l’histoire. Son père lui faisait signe de temps en temps pour qu’elle fasse une pause, pour laisser à Ephrem l’occasion d’ajouter quelque chose, de commenter, mais il ne semblait même par écouter sa grande sœur ! Son regard, vague, était pointé quelque part entre le sternum et le ventre de son père, qui était face à lui. Il ne remarqua même pas qu’ils étaient restés près de dix minutes dans le silence, jusqu’à ce que Selfyn autorise de nouveau Mélusine à reprendre la parole. Elle raconta leur arrivée dans le village de Cemen. Elle raconta le combat d’Ephrem contre des Humains... Selfyn semblait étonné.

« Ephrem sait manier une épée ? Où a-t-il appris à s’en servir ? demanda-t-il en remarquant pour la première fois l’étoffe posée sur les genoux de son fils. »

La forme, longue et fine, laissait deviner que l’arme y était dissimulée.

Mélusine, qui ne cachait rien à son père, raconta également son intrusion dans le passé d’un Humain nommé Marve, qui les croyait responsables du malheur arrivé au village de Luctès. Enfin, la jeune Elfe raconta leur arrivée au village des parents Humains d’Ephrem, dont le majeur parti était en feu, et où une odeur nauséabonde de chair carbonisée l’avait rendu malade. Elle parla également de leur rencontre avec le général Odran et de ses hommes, qui faisaient partie de l’armée du royaume d’Isbergue. Elle expliqua comment Ephrem leur avait fait face sans sourciller. Surpris, Selfyn arqua un sourcil. Mélusine continua en avouant son soulagement d’avoir pu quitter ce lieu sans encombre. Ensuite elle parla de son autre voyage forcé dans le passé. Elle y avait vu les véritables responsables du massacre et de l’enlèvement des habitants de Luctès, les Traneks. Elle ne parla cependant pas de cette personne effrayante, cachée par une capuche noire, qu’elle soupçonnait d’être à la tête des Traneks. Pour finir, elle donna son opinion sur toute cette histoire.

« Tous les éléments tendent vers une seule et unique conclusion, aussi cruelle soit-elle : les parents d’Ephrem ne sont plus. En ce qui concerne les Traneks, il me semble que c’est l’affaire des Humains, pas la nôtre, alors nous ne devons plus y penser et surtout pas nous en mêler. »

— Et que comptes-tu faire au sujet de la demande de ton frère ? chercha à savoir le vieil Elfe.

— Tenter volontairement de visiter son passé ? Je n’en vois pas l’utilité, avoua-t-elle en levant ses mains. J’ai enfilé ces gans pour qu’à l’avenir je ne sois plus envoyée de force dans des visions de la vie passée de gens que je ne connais même pas. Et je ne désire pas davantage m’introduire dans la vie des personnes proches de moi !

— Je vois, répondit simplement le père.

Pour faire sortir Ephrem de sa léthargie, Selfyn frappa dans ses mains.

« Papa, demanda-t-il comme si de longues minutes ne s’étaient pas écoulées, aide-moi à retrouver mes parents Humain ! »

Exaspérée, Mélusine poussa un bruyant soupir. Selfyn pour sa part, ne répondit pas tout de suite. Il se caressait le bouc du bout des doigts, tout en tirant sur sa tigerette qu’il avait ramassée avant de suivre ses enfants dans leur petit salon.

« C’est une bien triste histoire que vous avez vécue là mes enfants, marmonna le vieux sage. Bien triste. C’est une histoire des plus troublantes également. »

Selfyn réfléchissait, gardant ses yeux sur Ephrem. Il retira sa tigerette d’entre ses dents, l’éteignit, la rangea dans une poche intérieure, puis soupira aussi bruyamment que Mélusine il y a quelques minutes.

« Alors tu penses que tes parents sont toujours en vie, résuma Selfyn, et tu souhaites que ta sœur t’aide à les retrouver, ou au moins qu’elle t’aide à te souvenir de leur visage. »

— Oui. Et je me disais que si c’était toi qui le demandais à Mélusine, elle finirait par accepter.

— Mélusine a fait son choix, et nous devons le respecter.

— Alors qu’est-ce que je dois faire ? gémit-il.

— Pour l’instant rien. Je dois m’entretenir avec les autres membres du Conseil. Ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de heu… contact entre différents peuples. Nous verrons ce qu’ils en pensent. Mais ne t’attends surtout pas à ce qu’ils décident de t’aider. Les Elfes ne se mêlent plus des affaires des autres depuis longtemps déjà. Je ne te cacherais pas que la question qui sera abordée en priorité te concernera.

— Moi ! s’exclama Ephrem surpris.

— Tu n’es pas un Elfe. Et tes parents sont, disons, indisponibles, dit Selfyn prudent. Doit-on alors te considérer comme faisant partie du peuple Elfe ou du peuple Humain ? Répondre à cette question permettra également de déterminer si on doit t’autoriser à sortir de nouveau d’Yggdol alors que tu risques de mettre ta vie en jeu ? Ils se poseront sans doute des questions similaires. Alors jusqu’à ce que le Conseil ait pris une décision, tu ne fais rien !

Comme à son habitude, Ephrem baissa la tête. Et n’ayant d’autre choix, il resta là, assis au même endroit. Mélusine se sentait un peu coupable, mais elle se disait que de toute façon, c’était pour son bien à lui. Il finirait par le comprendre.

Selfyn s’était levé et se dirigeait vers la sortie. À mi-chemin, il se retourna et s’adressa à son très jeune fils.

« Est-ce vraiment important pour toi de retrouver tes parents ? insista Selfyn. Je suis assez d’accord avec Mélusine, je dois l’admettre. La probabilité de les retrouver vivants, dit-il en appuyant bien sûr le dernier mot, est plus que faible. »

— L’un de mes pères, lança-t-il avec force en relevant la tête, m’a appris la valeur d’une famille. Et j’ai une sœur qui m’a appris qu’il était important d’aller jusqu’au bout de tout ce qu’on entreprenait... Je les retrouverai !

Mélusine sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine. Un sentiment de fierté s’empara d’elle. Et tandis que les larmes lui monter aux yeux, elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose qui ne sortit jamais.

Selfyn, dos à ses enfants, eut le sourire le plus large de sa vie. Un sentiment de fierté grandissait également en lui. « Il a grandi en fin de compte » ! pensa-t-il. Cette fois il n’allait pas subir les choses. Il était prêt à se battre. Il montrait une force de caractère inhabituelle. Toutefois, Selfyn aurait préféré que ce soit dans d’autres circonstances, car la mort tournait autour de cette affaire. Encore une fois, il allait faire taire ses sentiments, et laisser une personne qu’il aime vivre sa vie. Il devrait juste se contenter de faire confiance et de prier.

« Je ferai mon possible pour que tu reçoives toute l’aide nécessaire, ajouta Selfyn avant de continuer son chemin. »

Mélusine et Ephrem étaient seuls. Un silence gêné s’était installé dans la pièce. Mélusine, qui décidément ne savait plus quoi penser de son frère, avec ses changements bien trop rapides et radicaux, rompit le silence pour l’informer de son intention d’aller se coucher. Son lit chaud et confortable lui avait beaucoup manqué, et elle avait hâte de s’y jeter. Mais elle alla d’abord en direction d’Ephrem. Elle s’accroupit pour qu’ils soient tous les deux à la même hauteur, puis Mélusine la prit dans ses bras.

« Je t’aime tellement, chuchota-t-elle dans son oreille. J’ai peur de te perdre. »

— Je sais ! J’éprouve la même chose pour toi et pour papa. Vous êtes ma famille.

Ephrem mit ses mains autour de la taille de Mélusine et la serra très fort. Ce n’était pas un geste qu’Ephrem faisait souvent. Il se demanda d’ailleurs pourquoi, car sentir la chaleur et l’amour de Mélusine était agréable et l’apaisait. Il sentait le stress le quitter, ses muscles se relâcher, et il finit par se rendre compte à quel point il était lui-même fatigué. Ses yeux se fermèrent et il s’endormit, à la grande surprise de Mélusine qui était toujours accroupie, dans une position pas vraiment confortable.

« Ephrem ! appela-t-elle doucement. »

Profondément endormi, Ephrem ne l’entendit pas. Bien trop lourd pour que Mélusine puisse le porter, elle le bascula pour pouvoir se dégager. Elle partit dans sa chambre et revint quelque seconde plus tard avec une couverture. Elle l’étala sur Ephrem, et déposa un baiser sur son front, puis repartit dans sa chambre, où elle trouva le sommeil rapidement.

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