7 - Septième jour

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7 - SEPTIEME JOUR

Dans les premières années, Nicolaï avait tenté par tous les moyens de récupérer son trésor. Mais dans la colonie ER563, le règlement était strict et son organisation reposait sur une forte différenciation des castes : un cloporte devenu adolescent ne pouvait à aucun moment pénétrer dans les galeries réservées aux enfants. Seuls les adultes obtenaient un passe-droit pour l’ensemble des strates. Et malgré des stratagèmes tous plus astucieux les uns que les autres, il échoua à chacune de ses tentatives.

Le temps passait et il désespérait de plus en plus de revoir un jour sa petite bille bleue. La vie d’un adolescent s’avérait bien plus mouvementé que celle d’un enfant, et il trouva de moins en moins de temps à consacrer à la recherche de sa sphère.

Un jour, alors qu’il regagnait sa nouvelle chambre, il s’aperçut qu’il n’avait pas pensé à celle-ci depuis très longtemps. Et il se mit à pleurer. Nicolaï réalisa qu’il ne reverrait peut-être jamais son trésor, pas parce qu’il était inatteignable, mais par manque de temps tout simplement. Et aussi par manque d’envie : plus les semaines passaient, plus ses souvenirs d’enfance s’estompaient et ce jour-là, il s’aperçut que le sentiment de perte qui l’envahissait par vague chaque fois qu’il repensait à la bille bleue avait disparu. La tristesse l’étreignit pendant quelques jours, pas pour la perte de son trésor, mais pour la disparition de ce lien qu’ils avaient partagé le temps de quelques jours.

Puis Nicolaï avait grandi, il avait mué plusieurs fois et était devenu adulte. Il aurait pu alors se faufiler dans les galeries des enfants et retrouver sa petite chambre. Mais la vie l’avait emporté et le souvenir enfantin de sa sphère n’était plus aussi lourd sur sa conscience : il avait d’autres choses à faire, d’autres choses à découvrir.

Il s’était lié à Francine une belle nuit de printemps et ensemble ils avaient déménagé dans un autre secteur de la Grande Forêt au sein d’une autre colonie. Là-bas, Nicolaï oublia sa création.

Bien des lunes plus tard, Nicolaï repensa à la sphère sous son lit.

Dans un éclair de lucidité surprenant, son souvenir jusque-là enfoui, se rappela à lui. Nicolaï était vieux à présent, lui-même chef d’une grande communauté de cent trente membres. Et il sentait que l’heure de sa mort ne tarderait plus.

Son cœur de vieux cloporte se sentit coupable et il se demanda comment avaient bien pu évoluer les étranges bipèdes qu’il avait créés.

Un autre avait-il remarqué son trésor ?

Un autre avait-il vu sa petite planète bleue ?

La vieillesse rend les remords bien plus lourds à porter et l’idée de l’abandon ignoble qu’il avait commis ne le quitta plus. Elle lui devint insupportable. Alors une nuit, Nicolaï décida de retrouver sa chambre d’enfant et de regarder sous son lit.

Il profita d’une invitation d’un de ses frères qui était resté vivre dans la colonie qui les avait vu naitre, et en plein jour se faufila hors des quartiers des adultes. Il parcourut les galeries aussi vite que lui permettait ses quatorze vieilles pattes et atteignit finalement la cavité qui l’avait vu grandir.

Il hésita sur le seuil, ne sachant quelle décision prendre, se sentant aussi démuni qu’un petit cloporte sortant de l’œuf. Après l’avoir traité avec tant d’insouciance quels droits avait-il de revendiquer la propriété de son trésor ? A la vérité, il n’était pas venu jusqu’ici pour s’assurer de son bien-être, mais pour faire taire les remords qui envahissaient sa conscience de vieux cloporte.

Sa démarche était purement égoïste. Mais de le savoir n’altérait nullement sa décision de le revoir.

Reprenant son souffle après sa course dans les galeries, Nicolaï entra.

Il n’y avait aucun petit locataire dans son ancienne chambre et il en conçut un certain soulagement : il n’aurait pu expliquer sa présence ici sans paraitre fou. Sans attendre un instant de plus, il se précipita sous le lit, et s’aperçut alors qu’il ne passait plus : sa taille d’adulte ne lui permettait plus de s’y glisser. Il étira sa tête sous le sommier, tentant d’apercevoir ce qui s’y cachait. Ses yeux à facettes s’habituèrent peu à peu à la pénombre, et un sentiment de joie pure étreignit sa vieille carcasse.

Luisant dans la semi obscurité, elle était là.

Il se dégagea vite de sa position inconfortable, et avisa une longue brindille de paille qui reposait contre un mur de la cavité : sûrement laissée ici en vue de retaper la paillasse. Il s’en saisit et d’un habile mouvement de mandibule fit rouler son trésor hors de sa cachette. La boule s’arrêta au milieu de la pièce et il la contempla quelques instants, n’osant pas s’en approcher. Il installa le microscope qu’il avait ramené sur le bureau poussiéreux et avec des gestes précautionneux, inséra la sphère sous la lunette.

Nicolaï se posta devant le bureau, mais ne se risqua pas à regarder de prime abord. Une vive inquiétude l’avait saisi : il n’avait plus revu sa bille bleue depuis si longtemps, il eut peur soudain de la peine qu’il ressentirait s’il la découvrait mal en point.

Et surtout, il espérait que ces drôles de petits bipèdes avaient survécu. Il concevait pour eux une réelle affection et ils lui avaient paru si démunis à sa dernière observation.

Nicolaï resta encore quelques instants immobiles avant de rassembler son courage et de se pencher sur la lunette. Il effectua quelques réglages et l’image devint nette.

Et il vit.

Une clameur enfla dans sa gorge, dont on ne sut jamais si elle était de joie ou de désespoir. Ses yeux s’exorbitèrent sous le coup d’une douleur soudaine dans sa poitrine, il eut la désagréable impression que sa carapace se fendait en deux et bientôt il ne parvint plus à respirer. Tombant au sol, il tenta de se mettre en boule dans un réflexe de protection primaire, mais la partie lucide qui lui restait sentit que la menace ne venait pas de l’extérieur. Ses yeux à facettes restèrent fixés sur sa précieuse sphère, qui avait roulé sous le lit lorsqu’il avait heurté le bureau dans sa chute. Les battements de son cœur erratiques commencèrent à faiblir et lorsqu’ils s’arrêtèrent tout à fait, elle fut la dernière chose qu’il vit avant de sombrer pour toujours.

Lorsque sa famille retrouva le corps de Nicolaï, tous furent attristés : il avait été un très honorable cloporte. Sa chambre d’enfant devint chambre mortuaire, personne n’ayant eu le cœur de le déplacer ailleurs puisqu’il avait étrangement décidé d’y mourir. On le hissa sur le petit lit, et chacun lui rendit hommage.

Lorsque ce fut le tour de la famille de la petite Alice, celle-ci traina des pieds avant de pénétrer dans la pièce : elle n’aimait pas les enterrements. Sa mère la réprimanda vertement, lui chuchotant de se tenir correctement. A contre-cœur la jeune cloporte passa le seuil. Elle n’avait jamais connu Nicolaï, il n’était que le frère de son arrière grand oncle Boby et ne prêta que peu d’attention au corps étendu. Tout à son insouciance d’enfant, elle détailla plutôt les lieux et remarqua que cette petite chambre était vraiment spartiate et moche. Mais un détail retint son attention : une faible lueur semblait pulser de sous la paillasse mortuaire.

Et alors que sa famille se retirait en silence, elle se promit de revenir à l’aube afin d’examiner d’un peu plus près l’étrangeté qui se cachait sous ce lit.

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