I - Monsieur Bonheur : Clarisse
Manuscrit reçut le 5 janvier 1989 - auteur: Cécile Duchène
Inspiré des témoignages de Clarisse, Robert et Maxence
MONSIEUR BONHEUR
I - CLARISSE
Souvent, la grosse Clarisse se demandait si ses parents ne l'avaient jamais aimé. Premièrement parce qu'ils avaient osé lui donner le nom d'une vache. Ensuite parce qu'ils s'étaient débrouillés, par on ne sait quel miracle facétieux, à lui offrir le physique le plus ingrat à des kilomètres à la ronde. Et enfin parce qu'elle-même n'arrivait pas à aimer.
Clarisse était concierge. Et ce boulot lui convenait à merveille. Elle détestait chaque personne passant devant sa loge. Chacune pour sa raison propre, pour son petit défaut. Il suffisait d'apparaitre devant sa vitre et définitivement, elle ne pouvait plus vous piffrer. Pendant un temps elle s'était convaincu que ce manque d'humanisme envers sa propre race s'harmonisait vers une forme rare d'affection. Mais non, il fallait arrêter de se voiler la face: Clarisse n'aimait personne. Niet. Nada.
Et la situation devenait sérieusement problématique.
Alors, un jour qu'elle entretenait une conversation plutôt houleuse avec Belzébuth (à savoir que notre bonne femme, bien que clairement maléfique, discute ici avec son chat et non avec le vrai Belzébuth, celui-ci n'ayant pas voulu se déplacer pour l'occasion. C'est aussi pour cette raison que détester absolument tout le monde devient rapidement préoccupant: on ne trouve personne autre qu'animal pour s'engrainer et même le diable ne veut plus vous voir.) Donc, il se trouvait que pour cette fois le chat, à coup de miaulement farouche, prenait le dessus. Et que Clarisse se retrouva devant un choix cornélien: perdre le seul moyen valide de communication qu'il lui restait encore (c'est à dire le chat), ou consulter.
Consulter? Consulter?
Consulter, comme dans consulter quelqu'un. Comme dans aller voir un psychologue...
Aujourd'hui encore, Clarisse vous dira qu'elle regrette d'avoir cédé. Qu'elle se demande même ce qu'il lui a pris ce jour-là. Pourquoi n'a-t-elle pas continué à défendre son point de vue, farouchement campée au milieu de son salon, ses yeux profondément plantés dans celui de son chat qui lui feulait les pires insultes?
Peut-être justement parce que les chats ne feulent pas d'insultes.
Toujours est-il que ce jour-là, Clarisse la vache concierge pris l'une des plus grandes résolutions de sa vie:
Rendre visite à Monsieur Bonheur.
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