II - Monsieur Bonheur : Robert

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« Technicien réparateur ».

C'était écrit en toute lettre sur le curriculum vitae blanc et bleu. Monsieur Robert, le technicien réparateur. Et effectivement, de sa vie, il n'avait fait que réparer. Les mains dans le cambouis, et la tête dans les étoiles.

Monsieur Robert n'aimait pas son boulot. C'était une certitude à laquelle il se raccrochait souvent: un jour viendra où Robert changera!

De travail, d'appartement, de patron, de ville, de voisin, de monde même. Il s'éloignerait vite, vite de tout ça. Parce que c'était vital.

Monsieur Robert aurait voulu être astronaute.

Mais Monsieur Robert Senior remettait les machines en état. Comme son père lui avait appris. Qui lui-même le tenait de son propre paternel. Et ainsi de suite...

Alors voilà, Robert était « technicien réparateur ». Et sa famille était contente.

Pas lui.

Quarante ans passés un homme bouffi, quelques mèches éparses sur le crâne, deux paquets de clopes par jours. Petit, tassé. Des yeux immenses. Des yeux à engloutir le monde, l'espace et des centaines de soleils.

Et Monsieur Robert se pencha, pris sa caisse à outils. Son dos émis un craquement sonore lorsqu’il se redressa. Il s'avança vers la porte de son appartement miteux et dans un dernier « A ce soir! » lancé à la petite chatte Vénus, sorti.

Il y a toujours beaucoup de gens dehors. Ça s'agite, ça parle, ça cris souvent, ça se pousse, ça respire fort, ça s'insulte. Mais ça ne se regarde pas. Parfois, Monsieur Robert se demandait vaguement quel impact pourrait avoir un regard dans cette foule. Quelle serait la réaction de ces milliers d'électrons libres s'ils prenaient conscience qu'ils n'étaient pas seuls. Et dans cette avenue qu'il parcourait chaque matin et chaque soir, Robert croisait des gens, qu'il avait croisés chaque matin et chaque soir. Et qu'il recroiserait demain et tous les lendemains. Et qu'il ne connaitrait jamais.

Mais tout ça, Monsieur Robert s'en fichait un peu. De un parce qu'il était en retard. De deux, parce que les seuls êtres organiques auquel il s'était jamais intéressé venaient d'une autre planète. Sauf Vénus. Mais Vénus était différente. Mais Vénus était aussi un chat. Ce qui parfois s'avérait plutôt fâcheux.

Mais aujourd'hui, ce n'était pas un jour comme un autre, et Monsieur Robert n'en savait encore rien. Parce que Monsieur Robert était « technicien réparateur », et que la seule chose qu'il ne pouvait pas réparer, c'était lui. Et le grand changement que cet homme attendait avec impatience ce matérialisa sous la forme d'un petit, d'un tout petit prospectus.

Et, bien qu’à moitié rongé par l’humidité, on pouvait y lire ce slogan:

« Ne laissez pas la vie filer, consultez Monsieur Bonheur »

Le papier était sale et miteux.

Mais après réflexion, Monsieur Robert se dit que sa vie l'était aussi.

Et ce jour-là, sans le savoir, il prit la plus grande décision de sa vie:

Prendre rendez-vous avec Monsieur Bonheur.

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