Notes 6
Notes du Marquis en date du 05 octobre 1995:
"En mai 1978, j'ai été saisi d'un rêve.
Sans savoir vraiment comment, mes pas m'avaient mené en plein centre du Pérou. Je déambulais de village en village, arpentant les vallées de Cuzco. Et ce matin-là, j'arrivais à Coya.
Il y a une forme de grace dans ce pays: le vert des pics se mélange à l'azur du ciel et des lacs. Et l'immaculé des névés s'accroche aux lainages des nuages. Il y a un entremêlement du divin et du terrestre. Et puis, il y a l’ayahuasca.
Coya est un village de pastel rose accroché sur un flanc verdoyant. J'y ai passé plusieurs jours à faire le tour des marchés et à flâner aux terrasses. Il y avait une petite épicerie en contrebas de ma chambre, je passais devant chaque matin: les effluves emplissaient mes narines et ma gorge. C'est là que j'ai rencontré Renan. Adossé contre le mur de sable, une masse de boucles noires et des yeux vifs, il m'attendait.
Renan est chaman. Comme chaque homme de sa famille. Il n'en vit pas: c'est une vocation. Les gens perdus viennent à lui pour retrouver le chemin et le sens. Et parfois, c'est lui qui vient vous chercher.
Renan était venu me chercher.
Il n'a pas eu à déployer de grands talents de persuasion pour me convaincre. J'étais prêt à prendre tous les risques pour vivre. Pour ressentir suffisamment fort pour oublier que ma fuite m'avait mené aux quatre coins du globe sans but réel.
Il m'a parlé d'une cérémonie, d'une quête de soi et de l’ayahuasca.
Et il m'a donné rendez-vous trois jours plus tard.
Je me souviens de la clairière, du ciel nocturne et des lucioles qui se confondaient avec les étoiles. De ses gestes précis et soigneux alors qu'il préparait la mixture.
De l'odeur et du goût. De l'amertume propre à l’ayahuasca qui reste sur le palais et les dents.
Et du rêve qui m'a tenu toute la nuit. Car j'y ai vu l'avenir."
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