Je plonge ma tête entre mes mains et tente de réfléchir. Est-ce important de vérifier mon téléphone à chaque minute, ou suis-je en train de m’infliger une douleur qui n’est pas nécessaire ? J’essaie de me ressaisir et décide d’activer le son des notifications pour ne plus avoir à le vérifier dès que je termine une action. Je descends dans la cuisine silencieusement et observe ma mère préparer le repas. Je le fais souvent, adossé à la porte. Comme elle n’aime pas que je lui propose mon aide, je reste ici sans discuter. Elle veut être forte et m’assure qu’il n’y a pas besoin que je m’en mêle. Je la vois s’activer, émincer les oignons, préparer le riz, s’essuyer délicatement les mains à l’aide de sa serviette. Une fois le risotto prêt, elle se retourne vers moi et sourit à nouveau.
— Tu étais là, je ne t’ai même pas entendu !
— Tu sais bien que j’aime beaucoup te regarder cuisiner sans que tu ne le saches.
— Tu me feras faire un arrêt cardiaque, un jour ! dit-elle en rigolant.
— Je sais bien que tu me charries .
— Bien sûr, je suis heureuse de savoir que tu aimes m’observer, j’en suis flattée !
Cette phrase ressort à chaque fois. Elle s’amuse à me taquiner systématiquement sur ma discrétion et aime jouer la personne flattée et charmée. Peut-être est-ce un moyen pour elle de combler le vide de n’avoir jamais eu personne à ses côtés à part son fils ? Je sais que son amour est pur et n’est que celui d’une mère, mais je crains qu’elle ne vive trop mal sa solitude. Rajoutons à cela que mon départ de la maison de plus en plus proche. Elle a un si beau sourire, ma mère, je ne voudrais jamais le voir mourir, encore moins par ma faute !

 On se met à table et un silence pèse sur nous, alors je propose de mettre de la musique. Elle acquiesce et sourit tristement. Elle sait que je souffre et je suis incapable de le lui cacher. Elle est la seule personne capable de me lire comme un livre ouvert, mais ne dit jamais rien dessus. Elle respecte mes limites et espère simplement que tout ira mieux. Je le souhaite aussi, maman, et je te promets de faire tout ce que je peux pour te protéger de cet inconnu, comme tu l’as fait durant toutes ces années. Je finis de manger en vitesse et me prépare pour aller me coucher.

 Je me prépare pour me coucher et monte dans ma chambre. Je me jette dans mon lit et ferme les yeux, repensant à tous les événements de la journée. Si seulement j’avais pu réagir plus vite ! Si seulement j’avais cru les menaces de cet homme et j’avais répondu, il serait encore en vie ! Ou peut-être est-ce une réaction normale et que ce fou était décidé à tuer une personne pour le simple plaisir de montrer qu’il en est capable et que personne ne le condamnera. Les larmes atteignent mes yeux et je commence à pleurer, fatigué et détruit. Mes pensées ralentissent et je finis par me laisser aller dans les bras de Morphée pour une nuit agitée.

 Au réveil, je regarde mon téléphone et remarque des messages non lus. J’essaie de garder mes yeux ouverts et les consulte.
18 octobre : Objectifs.
Expéditeur : Inconnu.
Destinataire : James Adams.
Objet : Mission du jour.
Contenu : Bonjour, James. Aujourd’hui est ton premier jour à mon service. Es-tu prêt ? Bien, nous allons commencer. Je vais te demander d’effectuer deux tâches dans la journée.
Les conditions sont simples. Tu réussis, il ne se passe rien, tu es un bon toutou. Tu échoues, je m’énerve et tu en paieras le prix. Compris ?
Première tâche : tu as sport, aujourd’hui. Tu vas devoir convaincre les élèves de ta classe d’aller harceler la petite victime habituelle. Vous devrez lui enlever ses habits et les mettre à la benne. Ses sous-vêtements également, humiliez-le tant que vous le pouvez. Tu auras peut-être même une récompense s’ils le frappent. Ensuite, jetez-le sous la douche et faites-la couler, son hygiène est vraiment déplorable.
Deuxième tâche : tu trouveras dans ton sac une drogue que j’ai introduite cette nuit. Verse-la dans le verre ou la nourriture d’un élève de ton lycée, à n’importe quel moment de la journée. Tu dois t’assurer qu’au moins un élève l’ingère. Fin du message. Ne me déçois pas.
PS : Ne parle pas de moi à qui que ce soit. Toute personne au courant sera éliminée si elle fait partie de ton entourage. Dans le cas contraire, j’éliminerai l’un de tes proches de manière aléatoire. Ta mère, par exemple ?

Cet homme a un réel complexe de supériorité. Vouloir s’en prendre à un innocent qui est déjà suffisamment harcelé, il n’a aucune honte, aucune morale. Il est certes détesté de tous et cette première tâche semble assez facile à mettre en place, mais est-ce humain de vouloir lui faire subir une telle humiliation ? C’est une souffrance horrible qu’il faut lui infliger. Comment diable peut-il être aussi sadique, prendre autant de plaisir à faire du mal aux autres ? Pourquoi m’avoir pris pour cible, parmi tous les élèves ? Je n’ai pas le courage de tenir, je craquerai bien avant qu’il arrive à ses fins. Je mourrai et il s’en prendra à mes proches, tout sera fini. Ces questions restent sans réponse, je n’ai plus de soutien maintenant que mon meilleur ami est parti ; il a choisi la bonne personne à éliminer pour me mettre plus bas que terre. J’ai un désavantage considérable face à lui. Je dois tenir, je dois protéger mes proches, au péril de ma propre santé mentale, au moins jusqu’à ce que je ne lâche prise et mette fin à mes jours, moi aussi.

 La deuxième tâche me semble compliquée à mettre en place et tout se jouera dans le self. Si j’échoue, qui sait ce qu’il sera capable d’infliger à ma mère ? Je ne pourrais pas le supporter, alors je dois réussir. Je ne dois pas le décevoir. Mais je n’ai jamais réussi à être discret, comment pourrais-je changer mes habitudes en une journée ? La mission me semble impossible.