Innocence bestiale
Mathilde pénétra dans sa chambre, un sourire accroché à ses lèvres. Elle claqua la porte et se tourna à la recherche de son amie, impatiente de lui annoncer la nouvelle. D’un pas sautillant, elle avança pour contourner le lit, se questionnant sur la réaction de Mary : serait-elle aussi enjouée qu’elle ? Probablement. C’était un jour exceptionnel ! Mais ce qu’elle aperçut la figea sur place, lui glaçant le sang. Son sourire s’estompa alors que ses yeux s’écarquillèrent. La bouche entrouverte, elle n’arriva pas à prononcer un mot ni même émettre un son. Pour la première fois de sa vie, Mathilde découvrait l’horreur sans y avoir été préparée. Rapidement, elle sentit ses yeux piquer et ses joues bruler. Des larmes ruisselèrent alors devant cette violence.
Au sol, reposait le corps de son amie Mary, inerte. Ses yeux vitreux fixaient le plafond sans le voir. Un sourire était encore affiché sur son visage : fauchée par la mort sans même s’y attendre, sans même la voir venir. Sa vie arrachée sans qu’elle ait d’explications. Mathilde tomba à genoux, ses jambes ne la soutenaient plus. D’un geste fébrile, elle attrapa la main de son amie : froide, elle arrivait bien trop tard. La pauvre femme gisait sur le sol de la chambre, le corps dans une flaque visqueuse. Mathilde tentait de ne pas observer la partie inférieure du corps, cette vision lui était insoutenable. Les jambes de Mary avaient été arrachées, des traces de morsure étaient visibles sur sa peau blanche comme la porcelaine. Un acte d’une barbarie sans nom, sans que Mathilde ne puisse comprendre les raisons de cette violence. Son amie portait sa robe de bergère habituelle, simple et modeste mais la jeune femme possédait une élégance naturelle, palliant sa tenue rudimentaire. Par-dessus, un petit tablier en cuir qui avait été déchiré lors de sa mise à mort. Un peu plus loin gisait l’une de ses chaussures, l’autre était portée disparue. Mathilde n’osait pas savoir où était le plus important : ses jambes.
Elle tenta de ravaler ses sanglots et passa ses doigts dans la chevelure de la défunte. Les deux passaient tellement de temps à se coiffer mutuellement, à discuter pour parler de leurs rêves. Combien de fois Mathilde s’était confiée à son amie ? Elle n’arrivait plus à les compter. Et à présent, elle ne pourrait plus jamais avoir une discussion avec. Elle ne pourrait plus lui raconter ses journées, lui parler de l’école ou encore des garçons. Pire à ses yeux encore : aujourd’hui, elle devait lui présenter quelqu’un. Un bel homme qui venait d’arriver en ville et Mathilde avait eu l’idée de jouer les entremetteuses. Ce qu’elle ne pourrait jamais faire…
Du bruit se fit entendre en direction du placard. La porte était entrouverte et Mathilde y jeta un regard. Elle vit des yeux qui brillaient dans la pénombre. Des morceaux de la robe de Mary étaient encore coincés entre les longues dents de la bête. Encore larmoyante, Mathilde fixa le monstre qui avait commis ce crime. Elle sentait la colère se mélanger à sa tristesse et son incompréhension. Aucune trace de peur, juste l’envie de venger son amie, de comprendre ce qui avait poussé cette créature à faire ça. Elle se redressa, serra ses petits poings et s’avança vers le placard. Qu’importe ce qu’elle risquait, elle irait jusqu’au bout, pour son amie, elle se devait de le faire. Ses doigts attrapèrent la porte en bois, qu’elle ouvrit en grand.
Des vêtements bougèrent et une ombre fila à toute vitesse hors du placard. La créature se faufila entre les jambes de Mathilde qui sursauta, avant de se glisser sous le lit à toute vitesse. La personne en deuil n’eut pas le temps de bouger que la chose fonçait sur la porte pour la percuter afin de l’ouvrir et de disparaitre dans le couloir. Laissant Mathilde seule avec le cadavre de son amie. La voix lui revint et elle hurla de douleur dans sa chambre.
Deux jours plus tard, Mathilde entrait de nouveau dans sa chambre. Elle jeta un regard à une chaise pour y voir Mary, assise dessus, le regard tourné vers la fenêtre. La bergère avait un plaid qui la recouvrait, masquant son corps mutilé. Mathilde s’avança vers elle pour déposer un baisé sur l’arrière de sa tête. Elle se tourna vers la commode pour y prendre une brosse et coiffer son amie. Brossant la chevelure châtaine de sa compagne en jetant de temps à autre un regard à l’extérieur tout en lui parlant d’une voix douce et rassurante. Soudain, quelque chose gratta à la porte. La colère et un mélange de peur s’immisça dans le cœur de Mathilde qui en fit tomber l’époussette. D’une démarche tremblante, la petite fille de huit ans se dirigea vers la porte. Elle l’ouvrit pour tomber nez à nez avec l’immonde créature qui avait fait tant de mal à son amie. La bête se leva pour se retrouver sur ses pattes arrière et poussa des aboiements. Mais Mathilde chassa le caniche d’un geste de la main, lui interdisant à vie l’accès à sa chambre. Comment pourrait-elle pardonner ce clébard après l’acte horrible qu’il avait commis ? La gamine claqua la porte en fulminant pour retourner vers sa poupée préférée, son sourire de nouveau accroché à son visage juvénile.
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