Un voyage plein de nostalgie

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  Aujourd’hui, Qelkax le valeureux gobelin à la recherche d’un artefact puissant pour le compte de son seigneur, marchait tranquillement dans une forêt. Il se sentait un peu comme chez lui au milieu de ce joli paysage. Une terre meuble presque boueuse, des multitudes de ronces qui venaient s’accrocher dans son pantalon en toile de jute et griffer ses jambes, ou encore ces grands arbres aux branches biscornues et dépourvues de feuillage. Qelkax venait des terres désolées, un lieu où à la place des fleurs, poussaient des cadavres en décomposition. Il y avait des plantes carnivores et il avait vu bon nombre de ses congénères se faire dévorer, mais c’était les risques quand on se promenait dans les plaines à la recherche d’un Pegu à défoncer à coup de lattes. Alors qu’il avançait, il repensait à ses raids sur les petits villages humains avec nostalgie. Pénétrer dans une bourgade avec une trentaine de ses potes, tabasser du paysan désarmé, voler du vin ou de l’hydromel ou encore kidnapper quelques femmes pour passer de bonnes soirées. Des hobbies de bons vivants qui savaient profiter des petites douceurs de la vie ! Tout ceci, lui manquait. Mais il avait une mission à réaliser et savait qu’une fois celle-ci accomplie, il pourrait s’en retourner aux viols de paysannes ou aux concours de boissons. Sans cet espoir, nul doute qu’il aurait sombré depuis longtemps dans le fatalisme.

  Bientôt le paysage – que nous qualifierons d’atypique pour ne pas dire lugubre – changea. Les arbres se firent plus rares pour laisser la place à d’imposants marécages d’où une odeur rappelant le doux parfum d’une fiente d’orque après un repas trop vitaminé, se dégageait. Humant ce doux fumet de son nez crochu, Qelkax en avait les larmes aux yeux. Durant un instant, il crut être rentré à la maison ! Mais rapidement, l’odeur devint, même pour lui, insoutenable. Se pinçant les nasaux, il accéléra le pas pour traverser le marais. On lui avait dit qu’en continuant par-là, il tomberait sur le Grand Bourbier de l’Éternel Puanteur, mais il n’avait pas imaginé que ça serait à ce point. D’après les rumeurs, traverser ce lieu pouvait suffire pour que l’odeur ne quitte plus jamais les vêtements. Et pour les malheureux qui tomberaient dans la boue, aucun bain ne pourrait faire disparaître la puanteur qui resterait à jamais sur l’individu.

  Une demi-heure plus tard, notre gobelin à bout de souffle se trouvait devant la sortie. Une muraille de ronces lui bloquait cependant le passage et un immense rocher devait être tombé pour obstruer la seule route possible. Qelkax leva les yeux pour apercevoir une montagne, jugeant que la pierre avait forcément dévalé une falaise pour arriver là. Mais rien. Au loin, il ne voyait que des arbres. Il n’y avait donc aucune logique à la présence de ce gros caillou. Il jugea que de toute façon, apprendre le pourquoi du comment la pierre était arrivée là, ne l’aiderait pas à s’en débarrasser.

  Il appuya ses mains sur la surface froide et banda tous les muscles de son corps pour pousser l’obstacle. Ses pieds patinaient dans la boue et il finit par s’étaler de tout son long sur le sol. Il roula sur le dos pour fixer le ciel. La nuit était tombée et il apercevait déjà les étoiles ainsi que la lune. Il aurait donné n’importe quoi pour dormir dans un bon lit et sous un toit mais… la force des choses avait voulu qu’il perde son argent durement acquit dans une triste et terrible affaire. Se relevant alors, ne pouvant s’avouer vaincu. Il tenta de pousser de nouveau le rocher. Lui collant des coups de poings ou de pieds en fulminant.

  Réduit à monter le camp pour la nuit, Qelkax fit un feu et s’arma de sa dague pour s’aventurer vers le marais. Là, il déposa ses habits pour se mettre nu et contempla la boue de son regard perçant. Une capacité particulière aux gobelins : ils étaient nyctalopes à force de vivre dans des grottes et des endroits sombres. Il vit alors une ondulation dans le bourbier et fonça pour patauger dans la glaise puante jusqu’à ce qu’il transperce quelque chose de sa lame. Il retourna vers ses vêtements en rapportant son gibier qu’il balança sur le sol. C’était un gros ver de terre, épais d’une dizaine de centimètres pour une soixantaine de long. La bestiole avait des yeux globuleux et une bouche immense avec plein de picots en guise de dents. Afin de s’assurer que ce truc était bel et bien mort, il enfonça à plusieurs reprises et différents endroits sa lame. Du sang violet coulait des plaies du ver et Qelkaz le transperça enfin avec une branche pour le mettre sur le feu.

  La viande crépita sous la chaleur des flammes et l’estomac du gobelin y répondit d’un grondement. Il fit tourner la broche improvisée pendant plusieurs minutes jusqu’à juger que la cuisson était bonne. Il enfonça ses crocs dans la bidoche encore sanguinolente et la mastiqua avec satisfaction. Ce n’était pas si mauvais, pensa-t-il. Autre capacité des gobelins, un estomac incroyable capable de digérer des choses non prévus à cet effet ou de supporter plusieurs poisons. De ce fait, Qelkax n’avait pas trop peur de ce qui était comestible ou non. Machinalement, il se gratta le menton tout en grignant son ver grillé.

  Il entendit un bruit sur sa gauche et se jeta sur sa dague. Des yeux brillaient dans l’obscurité, les flammes se reflétant dedans. C’était une créature entre l’être humain et le hibou, Qelkax n’en avait encore jamais rencontré et resta silencieux. Il observa le volatile et le détailla : de grands yeux ambrés, un bec acéré. L’hybride portait un kimono écarlate avec une ceinture noire, il n’avait pas de chaussures, ses pieds munis de griffes foulaient la terre battue. Et enfin, ses bras n’en étaient pas vraiment : c’étaient des ailes. Il s’inclina avec respect devant le gobelin qui ne comprenait pas trop pourquoi il faisait ça.

 – Je me nomme Nak Nanklao. Enchanté. Je t’ai observé avec ce rocher, tu es têtu et tu possèdes un certain potentiel. J’ignore ce qu’une créature comme toi, fais ici. Mais cela m’intéresse.

 – J’ai une quête à mener. Je dois me rendre en terre elfique pour rencontrer un arbre ancestral qui pourra me dire ce que je cherche.

– Intéressant… un gobelin chez les elfes. Ils vont te massacrer, tu le sais ?

– Je n’ai pas le choix. Et votre nom ne me dit rien, vous êtes connu ou non ? Ah oui ! Et moi c’est Qelkax Sakededan.

 – Je suis un magicien, maître mystique des arts martiaux. Mon art est méconnu, mais il reste puissant. Je pourrai te l’enseigner. Qu’en penses-tu ?

 – Utiliser la magie pourrait s’avérer utile oui. Des arts martiaux magiques donc ?

L’homme-hibou hocha la tête et se dirigea vers l’immense pierre qui bloquait le chemin. Il tendit l’aile et posa ses plumes dessus.

 – Il faut concentrer ton Chi. Inspirer profondément pour sentir l’énergie s’insinuer en toi. La sentir dans ta gorge, descendre lentement dans tes poumons puis tes entrailles. La laisser s’immiscer dans tout ton être.

Il leva une aile au-dessus de sa tête, l’autre étant parallèle au sol. Nak effectua des arcs de cercle avec ses bras plumés jusqu’à joindre ses « mains » l’une au-dessus de l’autre au niveau de son ventre, comme si elles encerclaient son nombril. L’air semblait vibrer autour de lui.

 – Et enfin… tu relâche l’énergie. Comme ça.

  D’un geste, il tendit ses ailes en avant tout en poussant un puissant hululement. Le sol trembla et une onde d’énergie et de choc jaillit de sa gorge pour être dirigée par ses plumes comme si c’étaient ses doigts. Le rocher vibra à son tour avant de s’effriter et finit par exploser. Une pluie de gravier tomba autour de l’homme-hibou qui s’inclinait comme pour saluer un adversaire. Qelkax secouait la tête en faisant la moue tout en applaudissant. C’était vraiment pas mal et impressionnant. Il salua ce Nak Nanklao et ramassa ses affaires pour reprendre la route. Mais le maître des arts martiaux l’arrêta pour lui tendre un prospectus qui indiquait les coordonées de son dojo. Le goblin attrapa le papier distraitement et s'éloigna sans écouter un mot de ce qu'on sauveur voulait lui dire. 

  Un peu plus loin sur le chemin, il se demanda si lui aussi aurait la capacité de casser des cailloux avec ses rots ou ses grognements. Il pourrait s’entrainer sur le chemin, pensa-t-il. Mais ça, c’était une autre histoire ou en tout cas, une autre journée dans la vie de notre cher Qelkax Sakededan.

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