4.1 L'erreur
Le lendemain de la fête, Vaillance se réveilla dans sa chambre sans le moindre souvenir d’être revenue. Sa belle robe argentée couvrait encore son corps, maintenant plein de plis après une nuit qui aller rester dans les mémoires. L’adolescente ne s’en inquiéta pas pour autant et roula dans son lit pour enlever le luxueux tissu, réanima son corps endormit et tous les mots qui aller avec. En effet, le vilain bourdonnement qui l’avait hanté toute la soirée d’hier fit son retour, accompagné par des douleurs dans tout son coeur. Ses jambes avaient été remplacées par des nouilles trop cuites et le plus simple des mouvements la lançait jusqu’au bassin. Regrettant ses nombreux pas de danse, elle fit face à l’immense pile de cadeaux attentivement disposée par son majordome. Vaillance ne leur prêta pas le moindre intérêt et attrapa le collier qui pendait toujours à son cou. Le froid inquiétant du métal s’était évanoui, transformé en une esquisse de sa propre chaleur. Après son accrochage avec Gwën, elle avait presque eu l’impression d’avoir rêvé sa rencontre avec Axia.
De toutes les personnes qu’elle avait rencontrées la nuit dernière, la jeune femme entourée de mystère était de très loin la plus surprenante. Vaillance souhaitait en savoir plus sur elle et les mystérieux haïkadens qu’elle commandait. Elle se rappelait le nom de sa doctrine, les goules, mais n’avait pas eu le temps de demander ce que cela voulait dire. Vaillance laissa échapper un soupir, ce n’était pas tous les jours qu’elle trouvait un sujet intéressant à explorer. Elle repensa à Gwën et son rêve étrange de devenir une écuyère. Si elle avait accepté l’offre, peux être aurait-elle pu voir l’énigmatique gardienne plus souvent là-bas.
Délaissant ses fantaisies, Vaillance se leva pour commencer sa journée. Ses pieds n’étaient plus que compote et quelques cloques avaient poussé durant la nuit. Encore une fois, elle aurait dû écouter son majordome et ne pas prendre une paire de chaussures neuve. Boitillant vers sa penderie, elle se vêtit d’un doux pyjama qu’elle comptait bien porter jusqu’au lendemain. Une fois présentable, elle alla demander des soins à son protecteur favoris. À cette heure, Jasper se trouvait déjà en cuisine et la majorité de sa famille attendait le repas. Vaillance se traina à sa chaise où elle s’écrasa avec un long soupire. Son père s’amusa de son manque de manière, lui laissant un peu de lest après la nuit torride de la veille. Liane se trouvait aussi à table, première levée et servit comme à son habitude. Vaillance l’observa dévorer ses pancakes, son menton dégoulinant de sauce au chocolat. L’aîné se détourna bien vite du spectacle, dégoutée par la flaque brune qui couvrait les morceaux de pâtes.
— Alors ma puce, comment c’est passé ta soirée ?
— Super, bâilla Vaillance. Mais ça aurait été mieux si tu étais revenue. On ne t’a pas vu du tout.
— J’avais beaucoup de travail. Des sujets très sérieux qui ont même fait déplacer des haïkadens.
— Cet homme, Lesskov, tu le connaissais ? demanda la jeune fille curieuse du sujet.
Son père bougea la tête de droite à gauche.
— Il m’est arrivé de le rencontrer, oui. Ce n’est pas un homme facile à vivre.
— Facile à vivre ? répéta Amidia d’un ton suffisant. Les haïkadens et leurs écuyers ne font pas partie des personnes que l’on devrait côtoyer. Ils n’ont aucun savoir-vivre et ne respectent pas la plus simple politesse. Enfin, j’espère que tu l’as bien remarqué, Vaillance.
L’adolescente hocha la tête, bien qu’elle ne partageât pas tout à fait cet avis. Certes, Lesskov était une brute sans cœur, mais Axia lui semblait beaucoup plus douce et il en aller de même pour Gwënaelle.
— Grande sœur ? C’est quoi le truc que tu portes au cou ? C’est tout moche, s’imposa Liane dans la conversation.
L’adolescente réagit en attrapant le fragment de métal, elle avait oublié de le cacher de nouveau. Tout en le gardant dans sa main, elle tourna un visage pincé vers sa cadette. Le ton dégouté de la fille ne lui avait pas plus du tout. Le présent cédé par Axia était de loin le favori de l’adolescente.
— C’est l’un de mes cadeaux, marmonna la plus grande, de quoi tu t’occupes ?
— Pourquoi le portes-tu ? Tu en as reçu plein de plus mignons !
— Je préfère celui-ci. Tous les autres se ressemblent de toute manière. J’ai bien le droit de faire ce que je veux !
Liane grimaça ce qui fut platement ignoré par l’adolescente. Le manque d’attention enflamma la colère de la plus jeune qui se tourna vers sa mère. Les deux adultes, pris par leur travail, n’avaient pas prêté l’oreille à la dispute enfantine et la gamine aux cheveux cuivrés dut crier pour se faire entendre.
— Maman ! Vaillance porte encore un truc bizarre !
— Liane ! Arrête !
Amidia poussa un soupir et leva le regard vers les deux sœurs qui étaient prêtes à se battre. Elle se devait d’agir avant que la dispute ne dégénère. Les yeux noisette se plissèrent sur sa première née, l’étrange fragment reposait toujours au milieu de sa poitrine.
— Vaillance, qu’as-tu encore trouvé ? Qui a osé te donner une chose aussi répugnante ?
Le monde tangua autour de Vaillance, elle savait très bien quel sort attendait le petit morceau de métal. L’adolescente n’avait ni oublié ni pardonné la dernière fois que sa mère avait agi ainsi. S’il était indéniable qu’Amidia aimait ses enfants, elle était tout aussi inflexible sur beaucoup de sujets les concernant et leur apparence reposait au sommet de sa liste. Quand elle avait appris que Vaillance avait jeté son dévolu sur l’une des vieilles écharpes à carreau de leur majordome, son sang n’avait fait qu’un tour. Le jour où la jeune fille avait fini par convaincre l’homme de lui abandonner le vêtement, elle l’avait vue partie en flamme. Amidia était venue la chercher jusqu’à l’école pour une affaire urgente afin de supprimer le tissu miteux. Si la perte était terrible, Vaillance ne s’en était jamais remise après s’être rendu compte que Jasper se limitait à son uniforme. Aujourd’hui encore, c’était la même rengaine et cela retourna son estomac. Tête baissée, elle serra les dents et attendit le jugement de sa mère.
— Vaillance, je t’ai déjà expliqué l’importance de l’image que tu donnes à notre famille. Que donc auraient pensé les autres nobles en te voyant porter ça ? Réponds-moi !
Les lèvres tremblantes, Vaillance resta obstinément muette. Elle ne possédait pas assez de courage pour défier la maitresse de maison, bien que l’envie ne lui manquât pas. Par chance ou miséricorde, son père vola à sa rescousse.
— Amidia, souffla l’homme. Je pense que cette fois tu peux la laisser tranquille. Cela n’a pas d’importance.
Vaillance releva les yeux et aperçut son père fixé le fragment, un air absent ne lui ressemblant pas dans le regard.
— Quoi ? s’égosilla sa femme, n’es-tu pas curieux de savoir qui a offert cette abomination ? Verin, ce n’est pas un cadeau normal ! Ce genre de chose a toujours plus de sens qu’une simple gemme !
— Pas besoin de crier. Si je me rappelle bien, l’un de tes amis nous a donné un panda pour notre cinquième anniversaire de mariage. Ces bêtes n’existent même plus ! Qui a-t-il de si surprenant dans un morceau de métal ? Qui sait, cela a peux être une signification cachée. Certains aiment les objets exotiques et veulent en faire profiter les autres.
La femme râpa ses ongles sur la table. Jamais elle n’aurait été autorisée à porter un tel accoutrement et il se devait d’en être de même pour ses filles. Ses traits étaient déformés par la rage, mais elle contint celle-ci et ramena un grand sourire sur son visage.
— Très bien ! Si ton père le permet, je ne peux aller contre, elle parla d’un ton sec en foudroyant l’homme. Garde à l’esprit que si je vois sa couleur encore une fois, je le ferais disparaitre pour de bon. Tu as de la chance que tes débuts en société ce soit très bien passé. J’ai reçu d’excellents retours de la part de nos invités de haute marque et de mes amis. Nous sommes fières de toi, Vaillance, alors tâche de ne pas gâcher l’opportunité que l’on te donne. Beaucoup de jeunes souhaiteraient se trouver à ta place.
Vaillance approuva sans rien dire. La seule chose qu’elle désirait était de se trouver loin d’ici. À quoi bon grandir si elle n’avait pas le droit à plus de liberté ?
— Vaillance, suis-je clair ?
— Oui, mère ! confirma l’adolescente en dissimulant le fragment, il restera caché.
Presque satisfaite par la réponse, Amidia retourna à son travail. Verin choisit ce moment pour tourner le regard vers son héritière, lui adressa un furtif mouvement du menton. Vaillance se sentit pousser des ailes, obtenir les faveurs du chef de famille n’était pas facile. Certaine d’avoir impressionner son père, Vaillance attaqua son repas le cœur léger. Vaillance s’attela à son repas dans un silence béni, tout en se demandant ce qu’elles allaient faire du reste de ses vacances. Elle était déjà arrivée à la conclusion qu’elle devait voir ses amies quand un grand fracas se fit entendre. Les quatre nobles tournèrent vers la porte, s’inquiétant de l’origine du bruit de verre brisé.
— Jasper ? interrogea Amidia
Personne n’osa bouger, attendant que quelque chose se passe. Un bon vingt secondes s’écoulèrent avant que l’homme apparaisse dans l’embrasure, une enveloppe entre ses mains. Son regard doux se tourna vers Vaillance et la jeune fille le sentit se crisper. Non sans hésitations, il confronta les maitres de maison.
— Que s’est-il passé, Jasper ? questionna Amidia sur ses grands chevaux. Vendez-vous de briser l’une des porcelaines de l’entrée ? Vous savez à quel point ces dernières sont rares !
— Ne vous inquiétez pas pour la poterie, il répondit sans grande attention. C’était celle que vous souhaitiez changer. Je nettoierais et placerais la nouvelle après, mais d’abord je dois donner la correspondance… C’est destiné à mademoiselle Vaillance.
— Une lettre papier ? s’amusa Amidia, les nobles commencent à manquer d’idée pour impressionner. Qui a envoyé cela ?
La matrone tendit le bras pour prendre l’enveloppe des mains de son servant, remarquant alors l’air grave inscrit sur son visage. Le professionnalisme se réanima et elle l’attrapa d’un geste vif, l’ouvrant sans attendre. Il plissa des yeux tout en dépliant le papier, passant sur les lignes à une vitesse folle. Un léger tremblement traversa son bras, elle relut le message une seconde fois pour s’assurer de ce qu’elle voyait. Finalement, elle se tourna vers sa fille une poignée de secondes avant de dévisager son mari. À ses côtés, l’homme n’était plus qu’une coquille vide.
— Verin ?
Le nom sorti de sa bouche comme un poison que l’on cracherait. Même Liane qui était trop concentrée sur ses pancakes pour se rendre compte de quoi que ce soit tourna vers son père. Les deux filles observèrent l’homme prendre la lettre du bout des doigts, il la lut à peine et poussa un soupir. Vaillance sentit une bulle obstruer sa gorge. Sa mère, si énervée plutôt, était figée comme une statue. À la seconde où il eut fini sa lecture, Vaillance lui arracha le papier des mains, ne rencontrant aucune résistance. Sur la feuille blanche, un symbole qu’elle n’avait jamais vu était dessiné, suivi de plusieurs lignes manuscrites tracées à l’encre noire.
« Par ses mots, j’informe la candidate Vaillance Weiss que son profil a été retenu pour devenir une écuyère. Vous êtes attendue à la branche militaire de votre planète avant le dernier jour de Qeist [septième mois du calendrier unifié] avant six heures. Là-bas, vous trouverez toutes les détails nécessaires à votre inclusion parmi les haïkadens. »
Le monde s’effondra autour de Vaillane. Une bouffée de chaleur l’envahit alors que le pancake qu’elle venait d’engouffrer essaya de refaire surface. Elle continua de lire, sa vision se troubla un peu plus à chaque mot.
« Veuillez noter que cet ordre est à caractère obligatoire. Tout retard sur l’horaire donné ou refus de coopération entrainera sanctions comme contenues dans le quatrième cadrant de l’accord de la bravoure. »
Perdant le contrôle de sa main, la lettre s’écrasa au milieu de son assiette. Les mots tourbillonnaient dans son esprit, tous ramenant à une seule et même conclusion, elle était désormais une écuyère.
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Quasar Point :
Le papier comme nous l'utilisons est considéré comme une denrée de luxe dans la confluence et n'est utilisé qu'en de très rares occasions. Dans la noblesse, envoyer une lettre papier ou imprimer des photographies est souvent vue comme un acte scandaleux, voire même burlesque.
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