Zêta.

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Les Enfers. Le nom lui-même en faisait trembler les mortels. Nombre d’entre eux passaient toute leur vie à se préparer à la mort, et lorsqu’ils y étaient, ils regrettaient de ne pas avoir passé plus de temps à vivre.

TERRE – CAP TENARE

La vue était d’une beauté surréaliste. Sur des kilomètres à la ronde, il n’y avait que le bruit de l’océan frappant les rochers et celui du vent fort fouetter leur visage. Aria s’accroupit devant une mosaïque blanche sur le sol. Le dessin représentait un cercle de vague entourant une fleur, dégradée par le temps.

« C’est une ancienne villa grecque, lâcha Hélios en la rejoignant. Il y a longtemps qu’elle a été détruite. »

Elle leva la tête vers lui.

« Des mortels vivaient là ? s’étonna-t-elle.

— Non, Achlys avait construit sa demeure ici.

— C’est une des filles de Nyx, précisa Hermès en approchant d’eux. Elle est la Déesse des Poisons, et elle contrôle la brume de mort. Autrefois, Hadès l’avait chargé de repousser les mortels de ce lieu, qui n’est autre que l’une des entrées principales menant aux Enfers.

— Qu’est-elle devenue ? »

Il haussa les épaules.

« Personne ne le sait vraiment. Elle a déserté cette villa il y a plusieurs siècles, tentant de se faire invisible aux yeux des Dieux afin d’échapper à cette tâche ennuyeuse.

— Alors qui garde les Enfers ?

— Quelqu’un d’un plus poilu. » répondit Hélios, amusé.

Aria fronça les sourcils, sans comprendre.

Le fait même qu’Hélios les aient accompagnés était étrange à ses yeux. S’il était le Dieu du Soleil, et celui qui faisait régner la loi parmi les êtres divins, il n’avait aucune raison d’être ici. Pourtant, il avait insisté.

Certes, Aria avait demandé un guide, mais elle s’attendait à recevoir l’aide de quelqu’un qui connaissait bien les Enfers. Or, bien qu’Hélios semblait être informé de la hiérarchie infernale, elle doutait qu’il y ait déjà mis les pieds.

« Bien, allons-y. » lâcha Hermès en posant sa main sur le sol.

Une demie seconde plus tard, le sol s’ébranla sous leurs pieds, puis s’ouvrit en deux. Il ne restait plus rien de cette mosaïque, à la place de laquelle se trouvait dorénavant un trou assez grand pour laisser passer une personne à la fois. Penchée vers le vide, elle observa les parois rocheuses qui descendaient vers l’inconnu. Le fond n’était même pas visible. Paniquée, elle recula, se cognant au torse d’Hélios qui n’avait pas bougé d’un poil.

« Il est hors de question que je passe par ici. Il doit y avoir un autre moyen. »

Hermès étira son visage en un sourire.

« Ne t’en fais pas, tu es immortelle de toute façon.

— Mais je ne suis pas immunisée à la douleur pour autant ! Je ne vais pas sauter consciemment là-dedans.

— Je l’ai fait une centaine de fois, tu ne risques rien.

— Tu as des sandales ailées, Hermès, accusa-t-elle d’une voix grave. Je ne ferais pas ça. »

Derrière elle, Hélios se mit à rire. Furieuse, elle se tourna vers lui.

« Tu n’as qu’a y aller en premier, toi ! » lança-t-elle, bras croisés sur sa poitrine.

Il s’avança vers le trou béant, et sans demander son reste, s’y jeta sans hésiter.

« Crâneur… » murmura-t-elle.

Inspirant un grand coup, elle s’approcha de nouveau, ferma les yeux. Le cœur ratant un battement, elle se lança enfin dans le vide.

La chute dura bien plus longtemps qu’elle ne l’aurait cru. Durant une minute entière, elle hurla, sa voix stridente résonnant contre la roche. Puis, enfin, elle s’écroula sur un sol aussi doux qu’un nuage. Sonnée, elle tenta de se relever et de s’habituer à la faible luminosité des souterrains. Observant ce qui l’entourait, elle cligna des yeux plusieurs fois, puis descendit de la brume mouvante qui l’avait retenu d’atterrir sur la pierre. Elle eut à peine le temps de détailler les marques de griffes sur les murs que le grondement sourd et affamé d’un canidé la sortit de sa contemplation.

Hélios, bras levé, n’avait plus rien d’un Dieux fier et prétentieux. La créature qui se dressait devant lui dépassait tout ce qu’elle avait vu auparavant. Un énorme chien, doté de trois têtes, chacune d’elles grognant avec rage contre la divinité solaire qui avait fait irruption dans sa grotte. Le cœur battant à toute allure, elle colla son dos contre la paroi rocheuse, espérant secrètement qu’il ne l’avait pas remarqué. Mais sur six yeux, au moins une paire la fixait.

« Bonjour gros toutou ! »

Sursautant, elle constata avec soulagement qu’Hermès les avaient enfin rejoints. Tout sourire, il s’approcha de la bête sans la moindre peur, et plongea sa main dans la fourrure brune de l’animal. Celui-ci changea du tout au tout. Oreilles pointées vers l’avant, il se laissa gratter le cou comme un caniche. Hélios essuya une perle de sueur sur son front.

« Je venais souvent le voir, lorsque je travaillais pour Hadès, expliqua le messager, sans cesser de caresser l’énorme chien. Voici Cerbère, le gardien des Enfers. Il n’a de l’appétit que pour ce qui est vivant.

— Ce n’est pas très rassurant, répondit Aria, essayant de se remettre de sa frayeur.

— Il ne te fera aucun mal, tu sais. Le sang de ton père coule dans les veines, il le sait.

— Etrangement, je n’ai pas envie de tester. »

Il se mit à rire, puis ordonna à la créature de s’écarter, ce qu’il fit dans un couinement. Ouvrant un passage dans un couloir rocheux, Aria et Hélios s’avancèrent prudemment dans l’antre des Enfers.

OLYMPE – TEMPLE D’ARTEMIS

Si le temple d’Aphrodite était le plus décoré, celui d’Artémis n’était pas loin derrière. Au lieu des fleurs bordants les fenêtres et remplissant les murs immaculés, la déesse de la chasse y avait accroché ses trophées. Fière d’en avoir obtenu un énième lors de son séjour parmi les mortels, elle posa son objet de convoitise à l’intérieur d’une des vitrines prévues à cet effet.

Epuisée par son expédition dans les Alpes, entre la Suisse et France, elle posa son arc d’or sur la table, et s’écroula sur son sofa, réfléchissant déjà à sa prochaine excursion. Cependant, quelqu’un vint la sortir de ses pensées en toquant à la porte de son temple.

D’un pas gracieux, l’une de ses suivantes – une nymphe du nom d’Orpis – vint jusqu’à elle, effectuant une courte révérence.

« Madame, Apollon demande à vous voir. »

Artémis poussa un grognement râleur.

« Dites-lui de patienter un instant. »

Elle se leva, attacha ses cheveux en une queue-de-cheval désordonnée, et s’avança jusqu’à son lavabo pour se rafraichir le visage.

« Je viens aux nouvelles, sœurette. »

Un soupir lassé traversa les lèvres de la Déesse.

« Je croyais avoir demandé à Orpis de te faire patienter.

— Tu sais que je n’écoute pas ce que dises tes nymphes.

— Tu devrais pourtant, elles sont de meilleur conseil que n’importe quel Dieu d l’Olympe.

— Si tu te fies à notre père, ce n’est pas vraiment un exemple. »

Elle se dérida, souriant enfin.

« Que me vaut le plaisir de ta venue, Apollon ?

— Tu as loupé des choses durant ta chasse à la bête ! » s’exclama-t-il, s’affalant sur le sofa comme s’il lui appartenait.

Elle se tourna vers lui, interrogatrice.

« La fille d’Hadès a enfin rejoint l’Olympe, sœurette, et je sais déjà qu’elle va grandement te plaire. »

ENFERS SALLE DES SONGES

Bien qu’elle ait étudié la généalogie de l’Olympe dans ses manuels d’Histoire, Aria ne connaissait rien aux Enfers, pas la moindre parcelle. Ce n’était pas le genre de chose que les Athéniens aimaient raconter aux enfants avant de dormir, après tout.

Hermès les conduisit devant une immense porte en bois, incrustée dans la paroi rocheuse. Il toqua, trois fois, puis patienta que quelqu’un leur ouvre, sous le regard inquiet d’Hélios et d’Aria. Quelqu’un actionna la poignée ronde, et passa la tête dans l’encadrement, surpris d’être dérangé.

« C’est une propriété privée, lâcha l’inconnu d’une voix pincée.

— Thanatos, c’est moi. Hermès. »

La porte grinça, jusqu’à s’ouvrir en grand. Le dénommé Thanatos ne ressemblait pas réellement aux Dieux de l’Olympe. Ses cheveux mi-longs, lisses et d’un noir de jais, contrastaient avec sa peau blafarde et ses joues creusées.

« Que fais-tu là ? » demanda-t-il.

Sa voix, et ses paupières baissées, lui donnait constamment l’air las.

« Je suis venue faire une visite des lieux à la fille d’Hadès. »

Thanatos tourna la tête vers elle, la détaillant rapidement.

« Elle a les cheveux de son père. » affirma-t-il.

Aria voulu répliquer, mais elle n’eut pas le temps de prononcer un mot. Thanatos s’était tourné de manière à laisser entrer les trois Dieux.

Hermès entra le premier, suivit d’Hélios et enfin d’Aria. Cette dernière détailla les lieux avec intérêt. C’était une pièce ronde éclairée d’une lumière blafarde, dans laquelle se trouvait deux portes côtes à côtes. L’une faite d’ivoire, et l’autre de corne. Au centre, une copie conforme de Thanatos de dos semblait fabriquer quelque chose sur un établis de chimiste en métal. Curieuse, Aria s’approcha de l’homme, découvrant sa ressemblance frappante avec Thanatos à mesure qu’elle contournait la table centrale. Concentré, le sosie usait de fioles de fumée, qu’il mélangeait dans un bol. La volute à l’intérieur de celui-ci changeait de couleur, de forme, d’odeur et parfois même Aria semblait y apercevoir des images. Intriguée, elle s’avança, yeux rivés sur le contenu du bol.

« Ne t’approche pas trop près, fillette, lança Thanatos en s’interposant. Mon frère est un spécialiste, mais si tu touches ce songe, il t’enverra en plein cauchemar. »

Aria releva la tête vers lui, comme déshypnotisée.

« Votre frère ?

— Hypnos, en personne. La personnification du Sommeil. »

Ah, tout s’expliquait alors.

« Que faites-vous ici, exactement ?

— Nous fabriquons les rêves, jeune fille, expliqua-t-il. Mon frère est un artiste des songes, c’est donc tout naturellement lui qui les confectionne. Ensuite, je les expédie chez les mortels. »

Il s’approcha de la porte d’ivoire.

« Celle-ci est pour les songes mensongers. L’autre, faite de corne, est pour les songes véridiques.

— Comment choisissez-vous les mortels qui héritent de vos créations ?

— C’est tout à fait aléatoire. Tu te doutes bien que nous n’avons aucun droit sur le monde des vivants. »

Aria reporta son attention sur Hypnos.

« Vous fabriquez réellement les rêves, alors ?

— De toute pièce, acquiesça Thanatos. C’est une tâche rude, qui nécessite d’être constamment inventif, mais aussi rigoureux. Une seule fiole versée là où elle ne devrait pas, et le mortel meurt dans son sommeil.

— Est-ce que ce travail vous plaît, au moins ? »

Il lâcha un rire amer.

« Nous n’avons pas d’autre choix, répondit-il. Qui le ferait à notre place ? »

Aria soupira. Qu’ils soient Personnifications ou Dieux, ils n’avaient pas l’air d’avoir de choix aux Enfers.

« Depuis combien de temps faites-vous ça sans aucun jour de vacances ? »

Hypnos, surpris par la question, releva la tête une seconde. Il n’avait pas quitté des yeux son œuvre depuis leur entrée, mais il avait vraiment l’air de ne pas comprendre le sens de cette phrase.

« Des vacances ? répéta-t-il.

— Oui, du repos. Depuis combien de temps faites-vous ça sans vous arrêter ?

— Des millénaires, mademoiselle ! s’exclama-t-il. Depuis des millénaires !

— Et nous ne dormons que trois heures par nuit, ajouta Thanatos. Jamais en même temps. »

Choquée, Aria esquissa un mouvement de recul. Travailler sans relâche depuis des millénaires ? Ce n’était pas un métier, mais de l’esclavage ! Si son père avait été là, elle l’aurait incendié. Mentalement, elle nota de trouver une solution pour leur permettre de prendre des congés dans les plus brefs délais.

« As-tu d’autres questions ? demanda Hermès. Nous avons beaucoup de choses à voir, encore. »

Aria secoua la tête négativement. Thanatos et Hypnos esquissèrent une sorte de révérence maladroite, et leur ouvrit la porte.

OLYMPE – TEMPLE D’ARTEMIS

« Sans déconner, soupira la Déesse de la chasse. Une gamine ? Reprendre les Enfers ? »

Apollon haussa les épaules. Toujours affalé sur le sofa de sa sœur, il avait les yeux perdus dans les décorations accrochés aux murs. Artémis, les bras croisés sur sa poitrine, prit appui sur sa vitrine d’exposition.

« Peu importe, finit-elle par dire. Quoi qu’il en soit, ce sera toujours mieux que cet abrutit d’Arès et cette folle d’Eris.

— Elle est la fille de Perséphone, il ne faut pas l’oublier. Personne ne sait encore si elle est une bonne chose pour les Enfers.

— Tu ne l’as pas encore rencontré ?

— Il se trouve qu’elle est déjà partie pour les mondes souterrains ! » s’exclama Apollon.

Elle leva les yeux au ciel.

« Nous ne la verrons probablement jamais.

— La rumeur court que si, sœurette. Elle cherche une autre divinité pour la suppléer. »

L’éclat de rire d’Artémis fendit l’atmosphère silencieuse du temple.

« La suppléer ? répéta-t-elle, hilare. Quel genre de Déesse a besoin d’aide pour monter sur un trône ?

— Je l’ignore. Pourtant, c’est bien ce qui se dit. Et je crois qu’Hécate est la première intéressée.

— Hécate ? s’étonna-t-elle. La Déesse de la Lune ?

— C’est exact ! Mais ce n’est pas le plus drôle.

— Qu’est-ce qui pourrait être plus drôle qu’Hécate dans les Enfers ?

— Hélios. »

De nouveau, Artémis partit dans un fou-rire.

« C’est une sainte blague, Apollon ! » s’exclama-t-elle, les mains sur son ventre.

Il secoua la tête.

« Pas le moins du monde, répondit-il. Les Dieux des astres, l’un solaire et l’autre lunaire, se battent pour la place de second des Enfers ! Ça ne te rappelle pas quelque chose ? »

Elle esquissa un sourire.

« Oh que si ! C’est un peu comme nous. Deux faces d’une même pièce, prêts à se démener pour une victoire et des trophées.

— Mais pas les mêmes. Je collectionne les cœurs, et toi les têtes.

— Crois-tu qu’il en est de même pour eux ?

— Nous ne tarderons pas à le savoir. »

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