Chapitre 1

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Je m’appelle David Selstan. Je suis un Éclairé et un Enfant de la Pluie. Mais plus important que tout… je suis un enfant de Rain City.

Je suis né dans cette ville qui avait cessé d’en être une. Un monde en vase clos dans lequel l’Extérieur nous avait enfermés, par honte et par peur. Depuis, nous étions leurs prisonniers inconscients de leurs errements criminels, réduits à des rats à visage humain se battant pour la moindre pitance.

Je me souviens de cette pluie incessante qui ne se tarissait jamais, de ces moutons sombres qui galopaient dans le ciel, accompagné d’un roulement infernal de sabots. De l’absence désespérante du soleil dont nous avions été privés à cause de nos innombrables péchés. Du moins, c’est ce que nous avions cru pendant si longtemps.

Je suis un enfant de Rain City et j’ai décidé d’intégrer la police de cette ville en décadence pour protéger et servir. Protéger et servir… la bonne blague. J’ai ouvert les yeux au fil du temps, sur la réalité de notre mondé étriqué et de notre chère police si dévouée aux citoyens. Plus exactement, une milice soucieuse de ses intérêts, de ceux de l’Extérieur, chargée de garder à l’intérieur de ce bouclier, tous les malheureux restés enfermés dans cette ville maudite.

Ils se faisaient appeler les Protecteurs. J’ai encore honte d’avouer que j’ai porté autrefois le même uniforme clinquant qu’eux, que j’ai côtoyé pendant longtemps leur puanteur avare et égoïste, qui avait amené à notre agonie latente.

Je me demande comment j’ai réussi à faire surnager mon intégrité au-dessus de cette masse infréquentable. Comment j’ai réussi à survivre au milieu de cette jungle urbaine, noyée par les larmes amères de nos misérables existences. Je me suis longtemps accroché à un idéal qui n’avait jamais existé. Je croyais pouvoir sauver une ville, qui ne pouvait pas être sauvée.

J’avais décidé d’enquêter pour découvrir la vérité sur cet enfermement perpétuel. J’ai été limogé de cette chère police œuvrant pour l’intérêt général, lorsque je me suis rapproché trop près de la vérité. Lorsque j’ai compris que depuis l’Extérieur, des forces étaient à l’œuvre, préparant notre ruine et s’assurer de notre silence définitif. Une oligarchie influente appelée le Conseil, voulait s’assurer qu’aucun d’entre nous n’émettrait la moindre plainte sur le traitement qu’on nous réservait.

Survivant en tant que détective dans une ville qui manquait de tout, j’avais découvert l’existence d’une nouvelle drogue, la Vipère Jaune. Une substance liquide couleur citron flétri, contenu dans de petites fioles vendues sous le manteau par les dealers, aux quatre coins de la ville. La substance la plus addictive, qui rendait plus mortelles les overdoses.

Elle augmentait la dangerosité des consommateurs en manque. Un comble dans une ville en perdition, déjà bien dangereuse comme ça.

Secouant des cages, je m’étais mis à dos mes anciens collègues avant de découvrir une organisation rivale des Protecteurs : les Éclairés. Pour la première fois depuis longtemps, j’avais trouvé des alliés dans mon combat mené dans une extrême solitude.

Nous avions sous-estimé la perfidie de ceux qui avaient juré notre perte. La Vipère Jaune n’était qu’un avant-goût de la destruction de notre foyer. L’Extérieur avait déversé cette drogue entre les mains des infortunés, pour annihiler leur humanité et leur instinct de survie. Les transformer en vagabonds loqueteux et hagards.

Je me souviens de ces hordes de toxicos à l’Avenue des Damnés, la Cour des Illusions, réclamant le soleil. S’entre-tuant pour la moindre fiole contenant cette foutue Vipère Jaune, voulant boire à tout prix ce soleil qui les desséchait. Agressant tous les malheureux qu’ils soupçonnaient de leur avoir volé le soleil.

Le soleil… ils voulaient revoir le soleil. Ouais, ce foutu soleil dont nous étions privés depuis longtemps à cause de ce chagrin permanent qui nous mouillait jusqu’aux os. Ils n’y avait plus rien à faire, pour ceux qui avaient avalé une de leurs fioles, y compris pour les amateurs qui voulaient tester. Juste pour voir ce que ça faisait.

Une seule fiole suffisait parfois à vous rendre grabataire, à vous rabaisser en-dessous du niveau le plus inférieur de l’espèce humaine. Voilà à quoi l’Extérieur nous avait réduits. Au désespoir le plus complet. Mais ce n’était rien à côté de ce qui suivrait. Sans doute las de nous voir agoniser depuis trop longtemps, le Conseil avait décidé de lancer son armée contre notre ville, pour nous achever. Moi et les Éclairés n’avions rien pu faire pour les repousser.

Je me souviens des scènes de chaos et de barbarie, des habitants gagnés par la panique d’une mort impitoyable qui s’abattait sur eux, lâchée par les missiles et les canons de ces frelons rouillés et des aigles d’acier aux ailes déployées. Je me souviens de ces vagues de fantassins et de ces tortues qui avaient envahi les rues et massacraient tout sur leur passage.

Nous avons réussi à fuir Rain City par les souterrains avant de déboucher à l’air libre, dans la Fange, ce vaste désert putride marécageux où se dressaient les ruines des faubourgs. Avec tout ce que nous avions réussi à sauver, nous avions entamé notre Exode.

Emportant tout ce que nous pouvions, nous laissions derrière nous, une ville en flammes d’où nous parvenaient les claquements diffus des détonations, des explosions, des rafales de fusils d’assaut. Lorsque le vent nous apportait les hurlements de ceux que nous avions abandonné à leur sort, nous nous retournions comme un seul être, vers l’horizon.

Les moutons noirs qui galopaient au-dessus de la ville mourante, étaient peints d’une sinistre lueur écarlate renvoyés par les incendies qui dévoraient les immeubles. Rain City allait disparaître, la dernière brique qui en resterait, serait broyée par l’oubli et l’érosion de la pluie. Une étape de notre existence commune était achevée.

Devant nous, s’étendait un monde à découvrir. Devant nous, s’étalait la morosité de l’Extérieur. Devant nous, guettait notre ennemi. Le Conseil.

Nous devions être prêts à affronter les dangers de l’Extérieur. Puissions-nous trouver la Terre Promise avant que la mort ne nous rattrape.

******

Nous marchions en silence, nous préparant à l’idée que nous ne pouvions pas retourner en arrière. Il n’y aurait pas de retour possible, nous ne pouvions qu’enfoncer nos godasses dans cette mélasse spongieuse et avancer.

Avancer dans l’inconnu, au milieu de nulle part. Parmi ces fugitifs, je m’étais fait quelques amis malgré ma réserve habituelle. Eric, Esa et Mouez dont les traits fermés exprimaient la même inquiétude que moi, d’un avenir incertain.

Mais si j’avais rejoint les Éclairés et gardé l’espoir de sauver l’âme de Rain City, c’était pour elle. Mila, elle s’appelait Mila. Je me souviens de notre première rencontre comme si c’était hier. Je n’oublierais jamais le parfum qu’elle dégageait au milieu des saveurs putrides du Divan de Cupidon, là où elle officiait en tant que hôtesse. Un ange au milieu des démons.

J’avais vu dans ces grands yeux châtains, la volonté de se battre bien avant qu’elle ne me recrute chez les Éclairés, dont elle était l’un des chefs. Je me souviens avoir tué pour elle, car elle me faisait confiance.

Elle était elle aussi, une enfant de Rain City. Baptisée tout comme moi, par les larmes amères de la destinée implacable, forgée par la cruauté d’un monde oublié qui ne nous épargnait rien. Elle menait notre groupe, ayant imposé son autorité. Nous lui faisions confiance pour nous guider.

Elle s’appelait Mila.

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