Chapitre 1
Trois jours à crapahuter sur une route monotone dans un désert aussi égal à lui-même dans sa sinistrose tenace. Y avait vraiment de quoi s’emmerder.
Il nous arrivait de temps en temps de faire des pauses, histoire de se dégourdir les jambes et de soulager notre précieux postérieur de l’inconfort d’un voyage éprouvant. Cela nous permettait d’échanger avec d’autres Éclairés comme Mouez, Mila, Eric et Esa.
Tout en évitant le moindre contact avec les soldats de l’Armée de l’Extérieur, qui ne nous portaient pas dans leur cœur. Ces types se croyaient plus civilisés que les gueux de Rain City dont nous étions les derniers représentants. Nous faisions tout pour ignorer leurs provocations, jusqu’au moment où l’un d’eux regarda de travers, Mélissa.
À quelques mètres de nous, nous l’entendîmes rugir comme une panthère :
- Tu veux ma photo ?
Les conversations aux alentours avaient cessé car elle avait gueulé assez fort pour se faire remarquer. Le soldat qui avait eu le bonheur de la fixer avec insistance, finit par lâcher avec un rire goguenard.
- Moi, je peux t’offrir mon profil, pouilleuse. Mais pour ça, faudra venir te réfugier sous mon manteau.
Quelques soldats qui l’accompagnaient, le félicitèrent pour sa raillerie.
- Je viens pas me frotter aux petits queutards qui se prennent pour des hommes.
Elle leur avait ôté subitement l’envie de rigoler. L’un des soldats réagit avec une verve qui prouvait qu’il n’avait pas apprécié sa répartie.
- Tu devrais pas faire ta maligne, pétasse.
- Vous me ferez pas taire, bande de fascistes ! On réduira tout ce que vous connaissez en cendres, comme vous l’avez fait avec Rain City et Fargo !
Les autres répliquèrent en la menaçant avec leurs armes de guerre. Des Éclairés firent de même, s’interposant devant Mélissa. Encore une fois, ce qui restait de l’humanité menaçait d’être aspiré dans une nouvelle vague de violence pour précipiter notre disparition un peu plus vite. Nous semblions tellement avoir hâte de perdre encore un peu plus de notre âme.
Mila et Mouez intervinrent pour apaiser le jeu, de même que certains officiers en face de nous. Le calme revint aussitôt mais nous ne serions jamais les amis intimes des Démons de Destan. Car ils se prenaient pour des anges alors que toute lumière avait disparu de leur cœur depuis bien longtemps.
Averti de l’incident, le Conseiller Adam apparut pour s’informer de la situation.
- Que se passe-t-il, ici ?
Le toutou gradé le suivait avec son parapluie pour le préserver de l’amertume des larmes des anges endeuillés. Le ponte eut la décence de prendre la peine d’écouter les deux parties avant de décider néanmoins que les gueux étaient les premiers responsables.
- J’espère que vous tiendrez vos compagnons en laisse jusqu’à Destan, madame Salevic. Ou je ne pourrais pas garantir que je respecterai notre marché.
- Dans ce cas, n’oubliez pas de mettre une muselière à vos petits caniches, répliqua Mila sans se démonter.
- Ouais, renchérit Mouez. Ils jappent beaucoup trop.
Adam les fusilla tous les deux avant de se tourner vers le gradé qui faisait office de porte-parapluie.
- Général Alister, veuillez à ce que cela ne se reproduise pas.
- Oui, Conseiller.
Il ne nous accorda pas un regard de plus, estimant que nous lui faisions perdre suffisamment de temps. Les soldats s’éloignèrent sagement vers leurs camions, rangés sur le bas-côté de la route de Destan tandis que nous restions près des nôtres.
Je croisai le regard de celle qui portait un masque de loup. Comme je le pressentais, elle était plutôt jeune bien que je ne pouvais pas déterminer son âge. Était-elle adulte, ou bien encore une enfant insouciante de la dureté du monde dans lequel nous survivions ? Sous sa capuche, elle soutenait mon regard d’un air mutin.
Elle s’approcha sans cesser de me sourire, les mains dans les poches de son pantalon terne.
- Eh, camarade. T’aurais pas une clope ?
Bon visiblement, j’étais devenu son distributeur attitré de nicotine. Un véritable honneur pour moi.
- Ok, si tu me donnes ton nom, petite.
Elle me décocha un clin d’œil, comme si nous étions devenus complices.
- La Guêpe, répondit-elle.
- Hein ?
- On m’appelle la Guêpe, à Destan.
Elle se pencha pour me glisser d’un murmure.
- Et je suis recherchée comme terroriste.
Je compris qu’elle était sérieuse. Sous ses airs d’écolière en carence de maturité, je devinais une tueuse froide et sans remords, malgré sa taille menue et fine comme une allumette.
- Tu m’en diras tant, grognai-je. Moi c’est…
- David Selstan.
Ah, je n’avais pas de secrets pour elle. Futée en plus d’être dangereuse. Je lui tendis finalement sa clope dont elle savourait quelques bouffées peu après.
- Merci, me fit-elle.
- De rien.
Je posai alors la question qui me préoccupait le plus, dans l’immédiat.
- J’imagine que t’es pas la seule corneille dans le coin, fis-je en la regardant fumer comme si elle était à une fête. Quand un oiseau de malheur traîne dans les parages, les autres ne rôdent jamais très loin.
Elle se contenta d’acquiescer.
- Nous avons quelque chose à craindre de votre part ?
- Non, répondit-elle sans hésiter. Tes nouveaux copains d’ailleurs non plus, ajouta-t-elle en désignant un soldat qui nous contournait d’un mouvement du bras. Enfin pour l’instant, en ce qui les concerne.
Elle devait cacher une arme sur elle, aussi bien un flingue qu’une lame. Je la devinais aussi à l’aise avec l’un ou l’autre outil nécessaire à son travail et à la cause qu’elle défendait. J’aurais pu le vérifier avec une fouille au corps du temps où j’étais le flic de Rain City mais la Guêpe me l’aurait fait digérer douloureusement avec son dard. Mine de rien, je tenais à ma petite santé.
- Alors, quel est le plan ?
- Chaque chose en son temps, tempéra-t-elle. Vous n’êtes pas encore arrivés à Destan et vous n’êtes pas les bienvenus pour beaucoup de gens importants.
Là, elle enfonçait des portes ouvertes et je n’avais pas de temps à perdre avec ces futilités.
- Bon, et sérieusement ?
- Quand le moment sera venu, nous vous contacterons. Jusque là, toi et les autres devez survivre, m’avertit-elle.
Nous restâmes ainsi pendant quelques minutes, attendant qu’elle ait grillé sa cigarette. Elle écrasa ce qui en restait sous sa botte.
- Encore merci pour la clope, camarade. Kumiko.
- Pardon ? Fis-je.
- Tu voulais savoir mon nom ? C’est Kumiko.
- Enchanté. Mais tu prends un risque en me le disant.
- Tôt ou tard, tu l’aurais su.
Elle se détourna après m’avoir lancé :
- Nous nous reverrons à Destan.
Elle s’éclipsa discrètement sans avoir attiré l’attention de qui que ce soit. Elle monterait dans un autre camion, je ne la retrouverais pas avant d’être arrivé à destination. Là où les Anges sont les Démons.
Mila se rangea à ma hauteur.
- C’était qui ? Me demanda-t-elle.
- Un des Corbeaux.
Ses grands yeux châtains dardaient d’une grande intensité curieuse la silhouette de la fine corneille qui avait rejoint une nouvelle couvée dans un de nos camions.
- Tes impressions ?
- Pour le moment, je ne sais pas encore à qui nous avons affaire. Mais il ne faut pas la sous-estimer, appuyai-je.
- Dangereuse ?
- Potentiellement. Mais si ses petits camarades lui arrivent à la cheville, ils pourraient nous être utiles pour renverser le Conseil.
Mouez nous rejoignit à cet instant pour nous annoncer la fin de la récréation. Il était temps de reprendre la route, Destan nous attendait.
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