Enfer et Damnation

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Me faire ça, à moi ! Comment a-t-il pu me faire cela ?

Pas bien futé, laid comme un pou, grippe-sous. Un indéniable répertoire de tares, doté, de plus, d’une anguille aussi vive que si elle avait été pêchée de quatre jours. Mais quand bien même, comment a-t-il pu me faire ça, à moi ?

Rien, il ne m’a rien laissé, pas même un douaire ! Il aurait pu mourir de bien des façons. Peste bubonique ou choléra auraient pu l’attraper et dans leurs bras, il aurait souffert des semaines durant. J’aurais, du moins, eu le temps de me retourner, d’amadouer le clerc de notaire, de consulter le testament, peut-être de le lui faire falsifier.

Qui sait ? Ma glorieuse ancêtre Lady Winter aurait été capable d’un tel exploit ! Pourquoi, moi, ne l’aurais-je pas été ?

Mais, non ! Monsieur mon époux est décédé, sans crier gare, d’un coup de sabot de sa jument préférée : Tendresse. Sans un égard pour moi, sa femme.

Je t’en ficherais des tendresses comme elle ! Droit à la rate ! Cinq petites minutes pour se mettre en paix avec son Dieu. Et, hop ! Directement face à Saint-Pierre. Si imbu de sa personne que je ne doute pas qu’il ait dû claironner devant le grand portail : « C’est moi, Olivier de Breuil, j’arrive, me voilà. Moi, le puritain qui a suivi aveuglément, sans jamais dévier, tous vos commandements ! »

J’espère que le gardien des clés a examiné toute sa vie, toutes ses mesquineries de mâle à l’esprit étriqué, méticuleusement, avant de se décider à lui ouvrir la porte du Paradis.

Diable ! Suis-je idiote ? Entre hommes ils se soutiennent, pour nous l’enfer, pour eux le ciel. Ève ? Elle a bon dos Ève, et sa pomme de la tentation. Il avait un cerveau, l’Adam. Il pouvait dire non. Et puis, on ignore comment cela s’est réellement passé. Des foutaises, tout cela !

Droit des mâles ! Ce rustre a légué l’intégralité de sa fortune, ma dot comprise, à ses deux fils, déjà mariés à des laiderons. Des descendantes de capitaines de la finance. Familles de parvenus et fort bien pourvues en châteaux, terres, industries.

Et à moi, qu’a-t-il laissé ? Rien ! Ah, si ! Une aumône qui ne passera pas la période de deuil qui m’est imposée : la jouissance de cette maison et de sa domesticité durant les dix-huit prochains mois.

Et après, après ? Ma mère m’a déjà parlé de quelques prétendants. Ah ! La belle histoire ! Une année et demie à pleurer, à vivre recluse comme une nonne, habillée de mort des mollets au cou, et ensuite on recommence le cycle infernal ! Épousailles, trois minutes de labourage, deux fois par semaine et goujaterie de mari !

Oh, non ! Je ne courberais pas l’échine devant un destin si cruel. Presque six semaines qu’il a passé l’arme à gauche, il me faut imaginer une solution. Enfin, « arme à gauche », si je puis dire, parce que ce n’est pas le courage qui l’étouffait feu Monsieur mon mari. Le feu, il ne l’a jamais vu, pas plus qu’il n’a embrasé mon entrecuisse.

A-t-on l’idée de mourir ainsi, un trente et un décembre à minuit ? Cela aura été sa seule originalité. Il voulait apporter des pommes à sa préférée et paf ! Elle, pour le remercier, elle l’a envoyé ad patres.

L’idiot, il n’avait pas pris la précaution de s’annoncer en entrant dans le box.

Voilà bien les hommes et leur défaut : aucun prélude, jamais, droit au but. Trop sûrs d’eux et de maîtriser leur cavale.

Et c’est moi, aujourd’hui qui suis enfermée telle une jument reproductrice dans mon écurie, en attendant qu’un prochain étalon me saille.

Parce que là, je ronge mon frein, aucune visite, sortie interdite. Je dois rester vertueuse, et éloignée du monde. Dix-huit mois de ce régime, autant me condamner au pain sec et à l’eau. Une pauvresse a plus de liberté qu’une Lady. Quelle infortune ! Quelle injustice !

Madame ma mère, dans son immense bonté, m’a dépêché à demeure, pour, dit-elle, me tenir compagnie dans ma douleur, cette saleté de vieille bique de Jenny qui épie mes moindres faits et gestes ! Si elle pouvait s’étouffer en mangeant un de ses muffins !

Et, je n’ai même plus la consolation de mes menus plaisirs coupables : Mandy partie, envolée ! À mon retour du château de Craigdarroch, j’ai eu la surprise de m’apercevoir que certains de mes bijoux et quelques bibelots avaient disparu avec cette carne !

Salope, oui, une salope ! Je suis certaine qu’elle a agi sous la mauvaise influence de son charbonnier. À présent, cette gourgandine doit battre la campagne en sa compagnie. Elle s’est bien foutue de moi. Elle, qui me mignotait, tout en préparant son tour en vache !

L’humain est immonde ! Une cochonnerie qui encombre la terre de ses vices sans y apporter le moindre délice !

Qu’ils crèvent tous ! Peste bubonique, phtisie, syphilis, choléra, peu m’importe. Qu’ils aillent, tous, bouffer les pissenlits par la racine et qu’ils me laissent vivre en paix ! Enfin ! Libre…

Qui ose me déranger ? Pas moyen de rester seule plus d’une demi-heure. Tu parles d’une domesticité ! Des garde-chiourmes !

— My Lady, veuillez excuser mon intrusion, mais il y a un pli qui vient d’arriver pour vous et le valet qui l’a apporté m’a transmis pour consigne de vous le mander sans de délai. Je vous le dépose sur la petite commode ? Ou souhaitez-vous en prendre connaissance maintenant ? Mais, mais, mais, My Lady, qu’advient-il de vous ? Vous avez l’air tourneboulée. Voulez-vous que j’appelle votre médecin ?

— File, idiote ! Donne-moi cette missive, et oublie le Docteur Grimpchip. Il ne m’infligera que tourments supplémentaires. Hystérique, atrabilaire, il ne me trouve que des maladies étranges et les soigne avec de pseudo-remèdes. En vérité, autant de poisons pour mon âme que pour mon corps. Il comploterait pour m’envoyer de vie à trépas qu’il ne s’y prendrait pas différemment.

Sûrement une missive de Madame ma mère ! Si, elle, elle pouvait crever, mais non, elle va sur ses cinquante-cinq ans, toujours raide comme la justice, pas même un rhume ! Faut croire que la rosserie, ça conserve. Je serai vieille et décrépite quand je toucherai enfin l’héritage. Au moins mon cher père, lui, lui avait fait l’amitié de la coucher sur son testament.

De tout, elle a bénéficié, de tout et du reste aussi ! Ça dure depuis plus de quinze ans ! Et ce n’est pas près de s’arrêter !

Pourquoi faut-il que cela soit ceux que l’on aime, que l’on adore, qui nous apportent bienfait et bonheur qui doivent disparaître en premier ? Dieu est si cruel, il ne mérite aucune de nos prières, sourd comme un pot, le vieux.

Ah, mais pardon, pardon. Oh, My Lord! Je viens de blasphémer ! Sotte que je suis ! Tu viens d’exaucer une de mes suppliques.

Edward est rentré en Angleterre. Il m’informe qu’il réside à quatre pâtés de maison d’ici. Sa femme et lui-même m’invitent pour le quatorze février, à l’heure du thé. Il n’y aura qu’eux et moi. Aucune des deux vieilles biques ne pourra m’empêcher d’y aller. Ce n’est pas une sortie dans le grand monde. Il me consolera de mon deuil.

Hum et ses mains, je les sens encore sur moi, depuis cette veillée de Noël. Quand je me caresse pour me faire jouir, je n’ai de cesse d’imaginer ses lèvres suçotant mon bonbon. Et ce vibromasseur qu’il savait manier si adroitement. Il n’a plus marché depuis. Lorsque j’ai voulu m’en servir, pour calmer mes nerfs à l’annonce de la mort de mon geôlier, ce qui n’a pas ouvert la porte de ma prison, de la fumée en est sortie. J’ai bien failli m’électrocuter.

Foutue camelote ! Foutus Amerloques !

Ah ! zut, j’avais presque oublié, sa toute nouvelle épouse, « Yankee », sera présente. Encore une parvenue, couchée sur un tas de billets, aussi gros qu’elle est laide. J’en suis certaine !

Et puis quel drôle de prénom est-ce là ? Makéda !

Tant pis, la perfection n’est pas de ce bas monde. À une exception près, elle s’incarne dans la personne de mon Wardy, et fin comme il l’est, je suis assurée qu’il trouvera une astuce pour…

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