Chapitre 1 - protagonistes

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– Chaque maison a ses dieux lares, pourtant, c’est évident, grogna le renard en plastique depuis le haut du micro-ondes.

– Æl le sait bien, Plast ! Ou alors t’as oublié la coupelle ?

Booz, le crapaud en bronze, lui répondait depuis l’étagère à épices dont ses quatre centimètres occupaient un rebord.

– La coupelle en terre cuite rouge ? Avec l’éclat ? Pfff… tu y crois vraiment ? rétorqua le renard. Il y a quoi, dedans, en ce moment… un bouton de pissenlit ? Au milieu d’un nid de poussière. Æl la nettoie aussi souvent que toi. Tu étais brillant à la base, nan ?

– ça va, le Schleich[1] en plastoc. Tu ternis peut-être pas, mais elle t’as déjà perdu deux fois. T’es un rachat, tu sais ? En série, s’il te plait.

– Alors que toi, tu viens direct du Cameroun colonial. C’est sûr, tu dures. T’as la peau dure. Comme le néo-colonialisme avec lequel æl se débat.

– La coupelle a toujours été là, depuis le jour où æl a rencontré Chihiro, quand æl avait … ans et qu’æl aimait Hélène depuis le placard. C’est la seule survivante du service à thé que le beau gosse catho de la pelote basque de ses vingt ans lui avait offert pour quand æl s’est marié-e, la première fois. Toutes les autres ont péri dans la chute apocalyptique du placard mural en 2008, vous vous souvenez ? Et elle prend la poussière parce qu’un jour, l’impulsion « subite nécessité d’honorer les dieux lares » TM læ prend, alors elle met du lait dedans. Du lait de riz, bio, produit en Europe. Puis, elle oublie et la poussière colle.

Le renard et le crapaud se taisent. Si l’un est fait de plastique peint et l’autre de bronze coulé dans des moules en terre rouge – comme la coupelle, Chu, elle, est un bel et bien un esprit immatériel. Longiligne, élégante, nonchalamment tranquille, jamais un mot plus haut que l’autre, aussi belle que tranchante, elle se montre rarement. Les deux miniatures sont fous d’elle : le renard, avec flamboyance, car il se sait chéri en retour. Le crapaud, en pataugeant, doutant toujours. Il est tendrement aimé aussi, pourtant, mais l’idée crasse que les princesses n’embrassent pas les crapauds lui colle à la peau. Si c’est vrai des princesses, ce ne peut être qu’encore plus vrai de l’esprit d’une arme. Et Chu-ow est si fine, si agile, et si lascivement non sexuelle, avec sa peau sombre et ses grands yeux vert.

Booz le crapaud a vu le jour dans la terre du Tchad en 1955. Plast le renard, dans une usine roumaine ou chinoise quelque part entre six mois et deux ans plus tôt, selon la gestion des stocks de la firme Schleich. L’étiquette originelle qui aurait permis de trancher est perdue depuis longtemps : saon propriétaire la lui a oté de la patte – contrairement à son prédecceseur, qui l’avait gardée durant tout son passage dans le terrier des Alpes.

Chu, elle, est née dans un livre. Chu, c’est un diminutif – son nom entier : Chu-Ow. Elle est l’esprit de la lame d’un dragonnier, l’âme du cimeterre de Salmane[2], passée d’Ouzo à la cuisine de l’humain-e qui répond au stimuli sonore de « Mar » - actuellement – par un miracle dont Blaise, le poussin masqué[3], saurait fort bien expliquer la mécanique.

– Chez Mar, dans ses Chroniques, précise Booz le crapaud.

– Enfin elle ne signait pas « Mar », alors, ajoute Plast.

– L’autre nom, c’est son deadname. Ça se fait pas, de l’utiliser. Trop souvent, chez les trans, le deadname est associé à un paquet de violences. Aussi on est empathique, Plast, on passe au nom choisi. Et c’est « ael », s’il te plait.

– ça dépend, intervient Chu. Parfois c’est elle, parfois æl. Et même, parfois, il, même s’il ne veut pas le savoir.

– Mais æl a commencé à écrire cette introduction et æl se genre toujours en « æl »… remarque Plast avec une moue.

– Peut-être qu’æl a peur de perdre les lecteurs, lectrices et lecteurices, si æl varie ses genres ? propose Booz.

– Les lecteurs sont capables de saisir, murmure Chu, rêveuse.

– Iels sont capables de sacrées violences aussi, rétorque le renard en s’enroulant dans sa queue. C’est exposant de publier des Chroniques autobiographiques, quand même.

– Ecrire, c’est compliqué, commente le crapaud de bronze. Ou publier, peut-être.

– Être lu-e ? offre Chu.

– Bon, on la commence, cette lecture ? s’impatiente Plast, en agitant sa queue touffue.

L’âme du sabre lui envoie un baiser. L’animal en plastique soupire, atteint par la caresse distante mieux que par une flèche anesthésiante. Il se fait chat, là-haut sur le micro-onde, montre son ventre et ronronne.

Chu ouvre l’ordinateur.

7 août 2019.

[1] Schleich : marque

[2] Personnage

[3] Ref à inclure

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