Chapitre 3 - Chronique d’entre-apocalypses #1
7 aout 2019
J’ai décidé d’en faire des chroniques, et d’oser les partager avec vous, oui, vous de l’autre côté de du papier, qui avez décidé de tourner le page (quelle idée ! si vous aviez su…). Chroniques parce que la constance est mon chantier du moment, et que ça m’oblige. Apocalypse parce que c’est sincèrement mon état d’esprit du moment.
Booz : il faudrait souligner qu’elle écrit avant le Covid, là, Mar. La Bête est apparue le 16 novembre de la même année, à Wuhan (Chine). Elle n’a impacté la vie en France qu’à partir de février 2020.
Plast : pas faux, l’crapaud.
Chu : c’est même très juste, et très important, mon renardeau. Cette version-là de Mar, elle est dans le monde d’avant. Les titres ont été lissés pour apparaitre en une série cohérente – enfin cohérente…
Plat : oué, « cohérente… »
Chu : *sourit*
Booz : … mais son titre était original « chronique d’avant l’apocalypse ».
Plast : æl visait l’effondrement écologique. Elle n’avait pas vu venir le fait que la prochaine déferlante était si proche…
Plast : …mais ça tombe drôlement bien quand même.
Booz : requiescat in pace, Mar d’avant.
Plast : là elle vient juste d’avaler le Fred Vargas, « L’humanité en péril ». Elle savait déjà – elle a fait la campagne d’Eva Joly en 2012 puis celle de Michèle Rubirola à Marseille, mais le livre de Fred, c’est un autre genre de claque. Elle l’a lu début juillet, elle n’a pas pu parler pendant un mois.
Chu (s’allongeant sur la table pour regarder le plafonnier en bambou d’en-dessous) : C’est aussi la dernière année de scolarisation forcée de ses enfants. Juste avant la première déclaration d’instruction en famille, juste avant le grand saut.
Booz : requiescat in pace, régime déclaratif de l’instruction en famille.
Plast : c’est malin !
Chu : n’empêche, elle a le souffle coupé, Mar, là. Elle est suspendue. Elle sait qu’elle ne peut pas continuer – pas continuer à participer. Mais elle ne sait pas comment faire, et elle sait essentiellement qu’elle ne peut pas faire grand-chose. Elle a tourné une page, mais derrière, rien n’est écrit : elle n’a rencontré que l’abime et aucun mode d’emploi. Alors elle se recentre, et elle fait ce qu’elle a toujours fait dans ces cas-là. Elle regarde ses mots s’envoler loin de ses cordes vocales et elles les posent sur le papier à la place. Elle écrit. Elle crie avec de l’encre, pour elle – et pour se rassurer sur le fait qu’elle existe, elle lance ses mots dans l’abime et elle attend de voir s’il y a un écho.
Booz : ou si elle est vraiment seule.
Plast (grognon) : on était là, pourtant, déjà.
Chu (tournant la tête sans se redresser, une main tendue vers lui) : needy, renardeau. So needy. Viens là.
Suit un coassement de gorge. Les deux qui flirtaient un instant avant se retournent vers l’étagère à épice.
Booz : Nan rien.
Plast : Tu ne coasses jamais pour « rien ».
Booz : Ah. C’est juste qu’elle écrit « la constance est mon chantier du moment ». Et, eh bien, du côté de la constance, euh.
Plast : c’est sûr, ça fait davantage sens avec un diagnostic de TDAH.
Chu : « Attention multifocale stimulée par la nouveauté, l’intérêt, l’urgence et le challenge ».
Booz : c’est vrai que c’est plus agréable comme étiquette que « inconstante ». Mais quand même, æl n’a jamais été au bout.
Chu (intéressée) : Définition de « au bout » ?
Booz : au bout de son plan pour les Chroniques.
Chu (toujours allongée, qui vient de repérer une asymétrie dans le croisillon du bambou) : æl a été au bout de ce qu’æl avait à apprendre en écrivant ces Chroniques. « Aller au bout du planifié » c’est très… enfin, c’est une attente tellement neurotypique…
Plast : neuremmerdante, oui. Æl a été au bout d’æl-même,
Chu : …c’est-à-dire au début d’un-e autre. Le bout de soi n’est pas le bout des autres.
Plast : Et personne d’autre que soi-même ne fait la règle.
Booz : C’est la définition même de l’auto-nomie ! Du grec « auto » (pour soi) « nomos » (règle). « Qui fait les règles pour ce qui le concerne lui-même ». Il y a une chronique sur la confusion très validiste avec « l’indépendance » ?
Chu : je ne crois pas non, petite crapaud.
Plast : Dommage ! Bon, c’est quoi la suite ?
Il y a une montagne de choses dans ma tête, ça risque d’être désordonné, pardonnez-moi.
Booz et Plast (avec un bel ensemble) : loooool
Disons qu’en cet été 2019, j’ai l’impression qu’une forme de conscience collective sur le « oh merde mais en fait, en vrai, c’est déjà trop tard » a pris forme.
D’accord, je vis dans une bulle, comme tout le monde – ça limite sévèrement le « collectif » dans « conscience collective ». Disons que dans ma bulle, au moins, une forme de conscience a pris forme. Mon éco-anxiété, tant que j’étais la seule de mon entourage à penser sérieusement apocalypse, je pouvais la gérer – c’est-à-dire vivre avec, faire pousser des enfants, aimer librement et planter un pommier. Ce qui n’est pas sans courage, ceux qui connaissent l’amie dépression comprendront.
En juillet 2019, je me suis pris violemment dans la figure que ce n’était plus possible. Je ne sais pas… comment vous faites, vous, avec ça ?
Moi, cela m’a abattue. Mais vraiment. Moralement, mentalement, physiquement. J’ai beaucoup dormi, pas mal pleuré aussi. Je me suis mise en colère contre ceux qui me disaient qu’il fallait que je me soigne – non en fait, il est parfaitement rationnel de déprimer à l’idée des 50 années qui viennent, c’est faire l’autruche qui est anormal. Mais faire peur, ça ne sert à rien.
Plast : contestable.
Et puis je n’ai pas envie de passer 50 ans à avoir peur.
Booz : plus juste.
Aussi, j’ai décidé d’aller au bout de la descente – nul ne parvient à l’aube sans passer par la nuit – et de laisser les étoiles s’aligner pour trouver quoi en faire. Je vais vite sur ce genre de chemin, je sais qu’on a du mal à me suivre. Mais j’ai bien envie que vous suiviez. J’ai bu un café avec une amie. Je vous raconterai. Et les Chroniques sont nées.
Plast : attends, attends, attends ! Elle a dit quoi, là ?
Booz : je crois qu’elle parle du café de rupture avec son aimée, avec le café, là.
Plast : tu veux dire, l’aimée de ses quatorze ans ? Vingt-quatre ans qu’elles s’aimaient, ces deux-là ! Elles avaient tout traversé ensemble, alors qu’elles n’avaient pas de mots pour expliquer. L’être à part (autiste), les livres, le harcèlement scolaire, le trauma d’emprise religieuse, se récupérer quand les freins de vélo lâchent en plein côte, les parents maltraitent, ou en plein marasme d’un divorce pas safe. Jusqu’à la mémoire, au Cameroun ! Les premiers diags, ceux qui sont à côté de la plaque, mais qui permettent d’avancer jusqu’au suivant, plus juste.
Booz : celle-là, oui. Je suis désolé. A un moment Mar a viré : elle prit le tournant qui nomme les violences et les injustices. Radicale, comme une Mar sauvage. L’aimée, pas. Ou moins sorcièrement. Elle était confortable un capitalisme libéral bon teint – blanc, cis, études sup – privilège partout. Aveugle aux violences éducatives ordinaires quand elles reproduisaient un classisme dont elle adhérait aux valeurs.
Chu : au café, Mar lui a dit que ce capitalisme était le premier pilier de l’anthropocène, et que par conséquent, elle tenait ses positionnements idéologiques comme responsable d’un génocide du vivant. L’aimée n’a pas aimé.
Booz : tu m’étonnes !
Plast : mais quand même, vingt-quatre ans de relation ! Finies sur un café au bord d’un lac ! Pour un livre.
Plast : oui. Fred lui a mis une telle claque, à Mar, que ça n’avait plus d’importance. Réalignement des planètes. Elle a pleuré, mais elle n’a pas regretté. C’était un deuil, pas une erreur.
Chu : L’effondrement, il est intérieur, d’abord.
Notez que le café, j'aurais pas dû. Je suis hypersensible à la caféine, du coup j'ai pas fermé l'oeil avant 5h du mat,
Plast : genre, l’insomnie c’était la faute à la caféïne. Mais, oui, Mar, c’est ça…
…laps de temps que mon pote B. - celui que j'ai connu quand je militais à Europe-Ecologie, tous avec Eva, on se refait pas - a mis à profit pour publier un article sur la potentialité du mur dès 2027, ce qui n'a rien arrangé. Disons que ce fut le creux et que les étoiles ont eu la gentillesse de s'aligner entre 5 et 7h, avant la tétée du matin.
Booz (bondissant de joie sur l’étagère à épices): mais oui !!! c’est vrai qu’en 2019, æl allaitait encore ! Et æl avait pas fini d’ailleurs. Six ans d’allaitement complets pour le petit der, la vache ! Pardon, euh, l’humaine. Neuf au total pour les trois gnomes. Là, æl en était à quatre du dernier.
Perso, ça me fait du bien d’écrire. J’espère que ça fera du bien à lire.
Aussi, pour cette première chronique, je vous invite à l’empathie. Bienvenue dans la tête de personnes conscientes au quotidien que potentiellement, à la génération de ses petits-enfants, plus de la moitié des 8 milliards d’homo sapiens actuellement présents sur la planète pourraient avoir dis,,,,,,,,,,,,,,,,p^^mppppppppppppppppppppppppppppppppppppppppppppppppp*paru. Et quand je dis la moitié je suis sympa. Parce qu'à +4 degrés, c'est 75% de l'humanité et à + 6 degrés.... personne n'a envie de savoir à quoi ressemble une crise à + 6 degrés.
Ne déprimez pas. Enfin si, si vous voulez, c'est fort utile. Mais, bref, c’est juste le point de départ. Dans ces chroniques, on va danser sous la pluie, et vivre avec le tonnerre en ligne de mire, je vous le promets.
Chu : suivait l’intégration d’une vidéo du média www.vice.com (Québec), titré « Vivre avec l’éco-anxiété », partagée le 12 avril 2019 . « En février, VICE avait assisté à la réunion d'un groupe de soutien, créé spécialement pour les gens qui souffrent d’écoanxiété » – et retransmettait un montage de captations des témoignages, j’imagine avec le consentement des personnes concernées, je n’ai pas vérifié.
Booz (sentencieux) : le lien est dans la note de bas de page.
Chu : merci, Booz-chou.
Plast : *lève les yeux au ciel* - ça va, vous deux ! On va peut-être la retranscrire, nan ?
Booz : à l’écrit, une parole orale sans l’intonation, l’expression corporelle ?
Chu : on va la laisser résumer, plutôt.
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