Chapitre 12 - Entité

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Lahynn leva la tête, s’attendant à trouver un visage familier, elle trouva plutôt le vieil elfe, appuyé sur son bâton.

Lui aussi avait des traits particuliers, un visage lisse, des cheveux argents et surtout des yeux clairs et perçants.

— Bonjour, Lahynn.

Cette voix la frappa, elle l’avait déjà entendu.

Le vieil elfe tourna ses yeux vers sa fille et fit un signe de tête approbateur, face à la demande silencieuse de sa fille.

Héwine se leva de manière solennelle et gratifia Lahynn d’un regard malicieux, avant de quitter la chambre.

— Alors Lahynn comment te sens tu ? demanda Lenjja en s’asseyant sur le lit, avec des gestes lents et calculés, il tenait toujours fermement son bâton.

— Bien, merci. Et vous ? C'était bien vous la voix dans ma tête ?

— C'était bien moi. Il s'en est fallu de peu, ces manipulateurs n'auraient fait qu'une bouchés de toi. Mais tu es hors de danger à présent.

Il sourit.

— Et ton retour ici ? continua-t-il, Tu as des souvenirs de ton passage sur Terre ?

— Pas vraiment… le seul nom qu’il me reste est celui d’Alna. Quand j’essaye de mettre un visage sur ce nom, c’est impossible. Mais je ressens quelque chose là (elle désigna son plexus du doigt) ça me soulage et je me sens apaisée.

— Ah… Thedehus est en capacité d’effacer tous souvenirs d’autres mondes, mais en ce qui concerne les sentiments forts, il faut croire qu’ils sont plus forts que toute théorie.

— Thedehus ?

— Le dieu du Temps. Un des piliers fondateur de ce monde, il s’assure que les populations n’entreprennent pas de voyages inconsidérés entre les mondes. Son rôle sera alors de les dissuader, en effaçant tous souvenirs de l’ancien monde.

— Mais pourquoi les empêcher de voyager ?

— Les guerres… le commerce… la discrétion, toutes ces choses à la fois ou une façon de brimer les libertés, je ne connais pas exactement ses intentions. Je sais qu’elles sont justes en tout cas.

— Et qu’est-ce qu’il arrive, si on ne respecte pas cette loi ?

— Ah ça… il y aura des conséquences au niveau du vieillissement de la personne. Du temps qu’il lui reste. En quelques mots, aller dans un autre monde une première fois, offre un retardement du vieillissement. En revenir, donnera l’effet inverse. Et pour répondre à ta prochaine question, faire le voyage plusieurs fois amène à la folie. L’esprit ne peut plus supporter les changements constants de son horloge biologique.

— Mais alors… Je vais vieillir plus vite que la normal ? s’horrifia Lahynn, en cherchant tout à coup un reflet, qui puisse la rassurer.

Lenjja ria doucement.

— Ne t’en fait pas. Notre Mère Iéonïsse est présente auprès de toi. En toi. Je peux la sentir dans ton énergie. Le seul « antidote » à cette loi, est le fait de porter un dieu en soi ou son essence.

La jeune fille le regarda avec de grands yeux, « En moi… »

— A ce propos, se souvient Lenjja, je dois te remettre quelque chose.

Il fouilla la longue poche de son manteau et en sortie un collier. Le pendentif en or blanc, présentait de fines courbes incrustées, et six bulles de verres disposées en hexagone. En tout le pendentif n'était pas plus grand que la paume de sa main.

— Il s’appelle Isindh…

— Le collier d’Iéonïsse ! Je l’ai vu dans la boutique de l’antiquaire, il y a plusieurs années, avec Tory !

Elle tendit la main, espérant entendre de nouveau la voix d’Iéonïsse, mais rien ne se produisit. Le bijou était des plus ordinaires. Froid et magnifique.

— Ta tante l’avait conservé toute ces années sur Terre, puis l’a remis à Valcor, avant ton départ. Il est inestimable et sera un allié pour toi, à l’avenir.

— Comment ça ?

Lenjja la contempla longuement, sondant son âme. Il était de son devoir de l’informer de la raison de son retour.

— Est-ce que tu sais pourquoi tu es ici, Lahynn ?

— Parce que j’ai atteint ma majorité ortilienne et que c’était le meilleur moment pour moi de revenir.

Silence.

— En partie, oui.

— Et l’autre partie ?

— Tu es née avec l’essence d’Iéonïsse, la déesse de l’harmonie. L’essence passe depuis des siècles, des mères aux filles de ta lignée. Ta mère et ta grand-mère avant toi, ont également reçu cette essence, qui se réveille lorsqu’elle sent une menace. Depuis des générations, les filles de ta famille sont testées précocement afin de déterminer si l’essence est réveillée, ou si elle dort toujours. Tu as grandi comme une enfant normale, ta mère avait caché son appartenance à ton père. Le secret sur cette essence a pris tellement d’ampleur, que beaucoup de filles de ta famille sont nées illégitimement, cachées, parfois kidnappées et vendues. Cette essence représente un pouvoir inestimable et il doit rester secret. Alna était la sœur de ta mère, Sowënne. Elle savait qu’elle n’avait pas l’essence et la preuve en est : elle n’a eu qu’un garçon.

— Un garçon ? Et je le connais ?

— Malheureusement, Alna n’a pas pût ...

Silence.

— Elle n’a pas pût ?

— Te souviens-tu qu’elle t’en ait parlé à un moment ou un autre ?

— Ça ne me dit rien.

L’elfe et la fille eurent un moment de réflexion avant que Lahynn ne revienne sur sa propre histoire :

— Et comment vous pouvez savoir que j’ai cette essence en moi ? Et qu’elle est réveillée ?

Lenjja approcha la main de son bandage et le retira.

— Voici la réponse à ta question.

Il approcha un miroir à main, l’estafilade sur sa pommette avait disparu. Lahynn porta ses doigts sur la blessure qui lui tiraillait avant l’arrivée d’Héwine.

— Sais-tu à quel moment ta cicatrice a disparu ?

Lahynn était sans voix.

— Tu as eu un moment de peur ou de colère précédemment ? continua Lenjja.

— J’ai été vexée et agacée…, souffla Lahynn.

Elle manquait de souffle, la vérité commençait à prendre un goût trop prononcé tout à coup.

— Pourquoi je suis là ? repris Lahynn.

— Parce que l’essence d’Iéonïsse est le seul pouvoir capable de mettre fin au règne de dieu du chaos, son contraire, Isâârd. Le règne d’Isâârd revient de manière cyclique, et il est en place depuis bientôt douze années. Tu as un grand pouvoir qui t’incombe, mais tu ne seras pas seule.

— Et si je refuse ce pouvoir ? Si je le transmets à quelqu’un d’autre ?

Lenjja resta interdit face à cette question, qui sonnait comme un refus catégorique.

— C’est impossible, malheureusement.

Lahynn sentit une peur grandissante accélérer son cerveau : elle était démunie face à une fatalité, tout en étant la seule à posséder la clef.

— Nous allons tout faire pour t’aider dans cette tâche, tenta de la rassurer Lenjja.

— Il y a forcément un moyen, quelqu’un comme moi, une sœur cachée peut être, qui aurait le même pouvoir que moi. Ou un moyen de m’enlever ce truc de mon corps, ce n’est pas possible, je ne peux pas.

— Lahynn calmes toi, tu peux compter sur …

— Et je ne sais même pas à quoi sert cette essence ! En quoi je vais pouvoirs vous sauver !, elle sentit sa nuque la démanger sérieusement. Elle ne pouvait plus arrêter sa panique, elle avait besoin d’air, besoin de partir le plus loin possible. Retourner dans cet ancien monde, dont elle n’avait aucun souvenir, mais qui étaient forcément plus doux qu’ici.

Elle respirait de plus en plus fort et se leva pour sortir, quand une force bloqua son corps sur place.

— Lahynn revient t’asseoir, je répondrais à toutes tes questions, mais je t’en prie, calmes toi.

Sa voix trahissait son inquiétude.

Le corps de Lahynn pivota avec raideur sur la gauche.

« NON ! » cria-t-elle dans son esprit. Une colère liée à sa peur enflamma son estomac et remonta jusqu’à sa tête.

— Lahynn reprend toi !

Elle brisa la main invisible posée sur sa tête dans un grognement et fonça vers la sortie. Elle courut dans un dédalle de couloirs, mais son flair lui disait que l’air pur n’était pas loin. Tout droit, deux escaliers qui descendaient vers le rez-de-chaussée. Elle sauta par-dessus la rambarde de plus de cinq mètres de haut et atterrie avec souplesse sur ses quatre pattes.

Il y avait une odeur de rapace, de loup et un félin s’approcha, elle grogna en passant à côté.

La sortie était en face.

Elle passa le vestibule de glace et se retrouva enfin dans la cour de pierres. Les odeurs envahirent ses narines, la glace éternelle, la sueur et l’odeur fraîche de la terre retournée.

Son cœur battait la chamade, mais elle se sentait plus vivante que jamais. Elle continua sa course effrénée vers la forêt en lisière, courir à la verticale n’était pas le plus approprié, mais elle ne pouvait pas prendre sa forme totale. La rage contrôlait ses mouvements, elle en voulait plus.

Elle voulait plus de vie, plus de sensations.

Exploser pour ne plus être.

Devenir un être éthéré et laisser libre cours à ses pulsions. Elle fut envahie d’odeurs de pins, de sèves, de proies, beaucoup de proies. Son instinct de chasseur lui ordonnait de se concentrer sur la plus accessible et la plus savoureuse. L’appel du sang, l’appel de la chair brûlait son corps.

Elle était enfin libre.

Elle s’élança de nouveau en avant, un lapin venait de sortir de son terrier. Il ne l’avait pas encore sentie.

Elle propulsa ses jambes et s’abattit sur une masse importante de poils, sans odeur.

Elle leva alors ses yeux de félin et tomba sur une Entité comme elle, à demi métamorphosé.

Il avait des yeux noirs, une face en cuir et des poils très longs et cuivrés s’étalaient sur ses bras.

Ces même bras qui l’enserraient dans un étau.

Elle tenta de se dégager avec force, lui n’avait peut-être pas d’odeur, mais sa proie commençait à sentir la sienne.

Il se mettait en travers de son chemin !

Elle se débattit avec force de grognements, montra les dents et tenta de dégager son bras pour lui assener un coup avec ses griffes. Plus elle se débattait, plus elle se sentait molle.

Qu’est-ce qui lui arrivait ?

Le sans-odeur lui aspirait toute son énergie. Impossible ! Elle ne pouvait pas s’arrêter maintenant !

Le lapin fuyait plus loin.

L’Entité de Lahynn lâcha toute résistance et se lova de nouveau dans le creux de son estomac.

Lahynn se sentait faible, fourbue, apathique et de nouveau en possession de ses moyens.

Elle ne pouvait plus porter son corps et son esprit était vidé.

Ohênn desserra son emprise et porta pour la seconde fois, ce corps mince vers le château de glace.

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