Chapitre 7
La terre se creusait sous leur passage. Les pluies récentes facilitaient leur travail. Quelques brindilles craquaient dans un bruit sec, accompagné de faibles gémissements. Un triple sillon se dessinait peu à peu, créant un tout nouveau chemin dans les contrées inconnues et verdoyantes de la jungle sauvage. Les guêpes n’étaient plus qu’un lointain souvenir urticant. Le chant des oiseaux, les cris des singes dans les arbres ramenaient la vie à plus de tranquillité.
Pourtant, Tarzan avait mal. Aux chevilles, surtout. Il avait l’impression d’avoir la grosse tête, défaut qu’il se défendait d’avoir. Et il souffrait des poignets, aussi au dos, qu’il sentait tordu dans tous les sens. Mais c’était très précisément au centre de sa personne qu’il souffrait le plus. Les yeux fermés et boursouflés à cause des piqûres, il ne pouvait pas encore comprendre ce qu’il lui arrivait, bien sûr. Pourtant, il avait vraiment mal aux roupettes !
Les sons lui parvenaient avec difficulté, encore une fois à cause des dards plantés comme autant d’aiguilles d’acuponcture. Le pire était ce curieux mal de mer qui lui donnait la nausée. Il avait l’impression de monter et de descendre régulièrement. Ce n’était pas une grande marée, tout juste une petite houle un peu chaotique. Épuisé, il était sur le point de renoncer à comprendre. Un bon somme devrait le remettre sur pied, pensa-t-il brièvement. Malheureusement, un requin ou une méduse vorace venait probablement de mordre l’endroit le plus sensible de sa personne ! Il ressentit de vives douleurs, successives à un choc plus violent. Sur le coup, il se lança dans de terribles contorsions pour ouvrir les yeux, désireux de découvrir le nouvel ennemi que le sort lui imposait.
Tout d’abord, il ne vit rien qu’un environnement flou, principalement vert et marron. Persuadé qu’il était immergé, il ne respirait plus depuis plusieurs minutes, mais il sentit qu’il ne pourrait pousser l’effort encore bien longtemps. Il se débattit autant que ses faibles forces le lui permettaient, mais il ne tarda pas à penser que l’animal qui venait de l’attraper ne devait pas être moins qu’un calamar géant, une pieuvre gigantesque. Ou une méduse carnivore. Une bestiole effrayante, pour le moins.
A bout de souffle, rouge comme un fer plongé dans une forge, il comprit que la vie allait s’arrêter vite pour lui, et que le mieux qu’il lui restait à faire se résumait à remplir ses poumons de l’eau salée dans laquelle il se démenait en vain.
Mais à sa grande et heureuse surprise, quand il crut ses jours finis dans d’atroces souffrances, il n’aspira rien d’autre que quelques litres d’air frais et pur !
Cet oxygène lui rendit presque tous ses moyens. Au moins ses sens naturels. Et ce fut avec joie qu’il réalisa que D’Arnot était près de lui, devant ou derrière lui, à quelques brasses. Non, quelques mètres, puisqu’ils n’étaient pas dans l’eau, rectifia-t-il en silence. Et ce dernier semblait en parfaite santé !
- Bande de sauvages ! Libérez-moi ou je fais un malheur ! Je vous préviens que je vais vous réduire en bouillie ! Et je vous donnerai à bouffer aux vers !
Tarzan resta stupéfait de la vindicte de son compagnon, encore inconscient de sa situation personnelle. Pourtant, les vociférations du capitaine le rassuraient un peu. S’il rageait de la sorte, c’était signe que tout n’allait peut-être pas si mal ! Cependant, et en dépit de l’air frais et les cris de son ami, Tarzan souffrait vraiment le martyre pour son appareil reproducteur qui continuait d’encaisser choc sur choc…
Il observa alors les choses avec plus d’attention, ce qui relevait finalement du simple bon sens. D’abord, il constata qu’il avait les pieds et les mains liés. Ils étaient… suspendus à un long morceau de bois, ou quelque chose de ce genre. Auraient-ils fait une mauvaise chute pendant leur lutte contre les guêpes, chute au cours de laquelle ils auraient perdu conscience, au point de ne plus savoir la suite des évènements ? Seraient-ils tombés d’une branche ? Coincés dans une de celles-ci ? Mais sa tête battait une étrange mesure, balancée vers le haut puis vers le bas. C’était assurément la raison de son mal de mer. Faisant fi des douleurs, il banda ses muscles pour stabiliser sa tête. Donc, sa vue.
Et il comprit !
Tarzan était prisonnier, tout comme D’Arnot, tous deux suspendus à l’envers par les membres ! Le mal de mer, c’était à cause des hommes noirs, robustes mais petits, qui se trouvaient à chaque extrémité de la branche qu’ils portaient sur leur épaule !
Ils étaient tombés entre les mains des redoutables pygmées de la forêt située au nord du fleuve Congo ! Et Tarzan trembla soudain, ce qui était vraiment rare. D’un simple coup d’œil, il observa les tatouages qui marbraient la peau de leurs geôliers. Et il reconnut immédiatement les terribles Hottedeaugues, nains et cannibales en même temps !
- D’Arnot, fit-il avec difficulté, je crois que nous sommes dans la mouise…
- M’en parlez pas ! répondit l’autre avec hargne. Si j’avais su qu’une bande de Papous se permettraient de nous prendre pour des cochons, je vous assure que vous seriez encore à quai en Angleterre ! Mais quelle contrée pourrie, je vous jure !
- Rien à voir avec le pays, fit Tarzan d’un ton sombre.
- En plus, j’ai faim !
- Ne soyez pas trop pressé de passer à table, croyez-moi !
Tarzan n’ajouta rien de plus. Pas seulement parce qu’il sentit qu’il devait d’ores et déjà ourdir un plan pour les sortir de ce nouveau pétrin. Mais, surtout, parce qu’une voix qu’il n’avait plus entendue depuis plusieurs semaines couvrit tous les autres bruits de la région !
- Ah, il est beau, le Tarzan ! Ma pauvre mère avait raison ; j’aurais mieux fait de m’envoyer toute la banlieue de Londres plutôt que d’épouser ce va-nu-pieds ! Et à quoi il ressemble, accroché comme un sauciflard fumé, vous pouvez me le dire ? Et à poil, en plus ! Dire que j’ai rêvé et fantasmé pendant des années sur ce truc stupide qui lui pend entre les cuissots ! Admirez les sillons, vous, les demi-portions ! Et vas-y que je creuse avec mes valseuses inutiles ! Et le gouvernail, hein ? Vous matez la chose, mes petits amis ? Ridicule, non ? Et ça voudrait diriger le monde avec ça ? Mais laissez-moi rire ! Tu sais quoi, Tarzan ? Quand j’en aurai fini de me taper tous ces pseudo singes crépus, je demande le divorce et je retourne chez ma mère !
A suivre…
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