Chapitre 11
Jane dormait à poings fermés, et Tarzan ne sut comment la réveiller. A court d’arguments, il se résigna à la placer dans une hutte qu’une vieille femme lui proposa gentiment. Elle ne put cacher sa déception quand elle réalisa que Tarzan ne s’allongerait pas lui-même… Elle tenta, alors, de récupérer son espace vital, mais le jeune homme imposa sa volonté et installa Jane, sur le tas de feuilles séchées qui faisaient office de lit.
Ulcérée de se voir ainsi rembarrée, elle retourna au centre de la clairière et, perfide, ajouta quelques redoutables épices dans la marmite, sachant qu’elles plongeraient tous les convives dans un profond sommeil dont elle pensait tirer profit le moment venu…
Puis, elle s’approcha de D’Arnot qui, pourtant, faisait en sorte d’être invisible, trop conscient qu’il risquait de figurer bientôt dans la liste des plats à venir.
Sans seulement l’honorer d’un regard, elle tâta sans vergogne le français, s’attardant sur quelques parties molles, jaugeant d’une main experte les meilleurs morceaux à cuire au bain-marie, puis ceux à faire mitonner doucement, enfin, ceux qu’il conviendrait de sauter à la poêle. Le malheureux luttait pour garder le silence, mais quand elle se mit à lui tripoter l’entre-jambes, l’air pensif, il ne put se contenir plus longtemps et explosa de rage.
- Dis donc, la vioque, tu veux bien arrêter de m’asticoter, là ? Je ne te permets pas !
Mais l’autre continuait son petit manège, un léger sourire nostalgique aux lèvres. D’Arnot, qui se démenait comme un beau diable sous sa branche, sentait monter en lui une de ces colères noires qui faisaient la triste réputation des Français.
- Toi, pas manger moi ! Moi, pas bon ! Moi, pas miam-miam pour toi ! Toi compris ?
Imperturbable, la vieille finit son inspection frontale pour, lui sembla-t-il, s’attaquer à l'arrière de ce qu’elle prenait vraiment pour un simple quartier de viande. Elle débuta à deux mains, depuis les épaules jusqu’aux reins, visiblement satisfaite de la musculature du marin. D’Arnot gesticulait encore un peu plus, sans comprendre qu’il faisait exactement ce qu’attendait l’autre. Au terme de quelques instants, il allait se résigner au silence quand, les yeux exorbités de surprise, il sentit qu’elle prétendait lui sonder une certaine partie de lui-même, ordinairement réservée à l’expulsion de son trop plein personnel. Violé dans son intimité, il réagit violemment !
- Mais ça va pas, non ! Toi faire attention à toi, sinon toi mourir bientôt ! Toi comprendre ? Enlève tes mains de là, sinon je ne réponds plus de rien, bourrique !
Mais cela ne changea rien à l’affaire. Au contraire, elle s’appliqua un peu plus, demandant même de l’aide d’une autre vieille ! Trop heureuse d’être sollicitée, la seconde grand-mère apporta tout son soutien à la première, s’armant d’un morceau de bois pour écarter les genoux du récalcitrant. La honte au front, D’Arnot se fit investir malgré lui pendant que, les larmes aux yeux, il continuait de proférer toutes sortes d’injures, maudissant le jour où il avait rencontré Tarzan, pour son plus grand déshonneur.
- Saloperies de vieilles toupies, je vous ferai regretter vos actes, moi ! Toi, sauvage ! Et toi aussi, affreuse guenon !
C’est alors que les deux femmes cessèrent leur visite, puis vinrent se planter devant lui, l’air mauvais.
- Pour commencer, cher monsieur, sachez que nous parlons parfaitement votre langue… J’ai, pour ma part, suivi mes études à Bruxelles, pour y apprendre la biologie, ce qui, naturellement, m’a menée sur les voies de la cuisine. Pour votre gouverne, je suis l’épouse du chef de ce village trois étoiles. Mon nom est Mama Fishandships, ce qui me prédestinait au beau métier que j’exerce aujourd’hui, ne trouvez-vous pas ?
- Vos menaces ne nous effraient pas ! coupa la seconde femme. En guise de sauvage, sachez que vous l’êtes assurément plus que nous. Vous devriez plutôt vous dire que c’est un honneur de notre part, plus qu’une honte pour vous, que nous envisagions de vous consommer bientôt.
- Rigoureusement vrai ! compléta la chef d’un air autoritaire. De plus, après une analyse soignée de votre méchante personne, nous avons pu constater que votre état général, en dépit d’une musculature intéressante, laisse grandement à désirer.
- Aussi, et seulement pour mieux respecter nos coutumes, nous allons vous transférer dans notre basse-cour pendant quelques jours, ceci, afin de vous rendre plus tendre pour la cuisson que nous vous réservons !
- Mais… mais, il n’est pas question que je vous autorise à me bouffer ! s’exclama D’Arnot. Si vous connaissez ma langue…
- Que nous découperons bientôt pour la faire mariner quelques jours dans de l’huile de coco et quelques écorces.
- Jamais ! Et laissez-moi parler, sauvages ! Vous devez bien savoir qu’il est interdit par Dieu et ses Anges de manger de la chair humaine !
Les deux femmes sourirent, exposant quelques méchantes absences sur leurs gencives, puis désignèrent le chaudron dans lequel O’Reilly finissait de bouillir…
- Je suis persuadée qu’il n’aurait pas parlé autrement… fit Fishandchips, en guise de conclusion.
Puis elles s’en allèrent visiter le reste des victuailles encore accrochées à leurs bouts de bois. Autour d’eux, le village baignait dans l’allégresse, au son de chants inconnus et au rythme de danses endiablées. Tarzan, pour sa part, continuait ses obscures négociations avec Papa Schizebeurgheure.
À suivre…
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