Oooh, hi-ho hi-hoo, li-hoo-li-hooo…  ! (ou presque !)

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Le reste de la traversée fut d’une affligeante banalité : Tarzan grimpait tous les soirs pour rapporter les repas, D’Arnot jouait aux cartes. Le plus pénible pour eux fut peut-être de toujours se dissimuler sous la lourde bâche de la chaloupe. Au moins purent-ils se tenir à l’abri des rayons incandescents du soleil équatorial. Pourtant, ils auraient dû remarquer quelque chose.

Edwin Finn, employé aux cuisines, et plus précisément à celle du Commandant Nelson, eut tôt fait de constater certains manques dans ses étagères. Il imagina d'abord quelques marins chapardant de quoi embellir les infects brouets dont ils devaient se contenter, mais son expérience en la matière lui fit vite comprendre que deux personnes, pas plus, venaient piller ses réserves avec une parfaite discrétion. Parce qu’on n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace, il fit sa petite enquête.
Celle-ci, en deux jours à peine, l’amena à la poupe du navire…
Avec patience, il attendit de découvrir qui étaient ceux qui se cachaient dans la chaloupe. Quand il reconnut D’Arnot, fameux pilier de comptoir de son échoppe à Hastings, il n’eut aucun doute quant à l’identité du deuxième clandestin. Ceci ne fit que le convaincre qu’il avait eu raison de partir à l’aventure…
Sourire aux lèvres, il prépara donc tous les soirs de quoi remplir la panse de ceux dont il espérait soutirer le trésor de ses rêves. Il ignorait bien ce que l’avenir lui réservait, mais il demeurait persuadé que le Destin ne le décevrait pas.
Le père O’Reilly et Jane ne se doutèrent de rien, seulement occupés à passer le temps sur l’immense navire où ils s’ennuyaient ferme.

***

Les feux de la côte clignotaient avec insistance. L’Exeter n’était plus qu’à quelques miles de l’embouchure du fleuve Congo, porte d’entrée de l’Afrique Centrale. La lune, trônant au milieu d’un ciel sans nuages, illuminait généreusement la mer, laissant même deviner la silhouette sombre du port de Boma, destination finale du navire. Le Commandant Nelson, en marin expérimenté observait à la longue-vue les abords. Le chenal était étroit, les courants contraires et puissants, et il dut attendre la marée montante pour entamer les ultimes manœuvres d’approche.

Deux heures plus tard, des dockers fatigués accrochèrent les dernières amarres. L’Exeter, gigantesque navire comparé à toutes les petites embarcations locales, daignait s’arrêter quelques jours, le temps de vider puis de remplir à nouveau ses cales à destination de l’Empire de Sa Majesté George VI. Les officiers se chargèrent de faire descendre l’échelle de coupée le long du bord et les passagers s’échappèrent pour faire leurs premiers pas sur la terre ferme.
Et c’est ainsi qu’ils arrivèrent à Boma, en pleine nuit, sur les côtes verdoyantes du Congo Belge, propriété de Léopold, roi de Belgique.

Mais, pour le Commandant et son équipage, il y avait encore fort à faire, et le plus important à cette heure était de vérifier l’état de la coque après cette longue traversée.
Aussi, le-seul-maître-à-bord -après-Dieu ordonna-t-il qu’on lui fît le rapport des éventuelles avaries.

Pressés d’aller s’enivrer dans la première taverne venue, et elles ne manquaient pas, les marins ne perdirent pas une seconde pour inspecter le bâtiment sous toutes les coutures. Les sous-officiers avaient bien du mal à noter sur leurs carnets toutes les informations qu’on leur braillait à tue-tête, qui du haut des vergues, qui du fond des cales, qui des ponts inférieurs ou de tout autre infime recoin. Nelson entendait tout cela avec calme, heureux de constater que son vaisseau avait encore vaincu les rages de Poséidon.
Il haussa à peine les sourcils quand il entendit le bosco hurler depuis la poupe que « ces cochons avaient volé la chaloupe ! »

Tarzan et D’Arnot, bien avant que le navire eut accosté, avaient coupé la corde de la barque et profitèrent de l’obscurité pour rejoindre la côte. Ils abandonnèrent leur esquif sur une plage non loin de la ville, joyeux comme des enfants. Le jeune homme gambadait sur le sable, shootant d’un pied léger les malheureux crabes qu’il croisait, ajoutant quelques galipettes savantes pour impressionner D’Arnot qui, de son côté, cherchait plutôt une taverne ou un bouge de ce genre.

  • Non, mais regardez-moi ça ! glapissait le bosco en montrant à un lieutenant la corde, coupée net. M’est avis que vous devriez retenir quelques hommes à bord, armés jusqu’aux dents, faute de quoi ces damnés sauvages nous voleront le navire tout entier !

Le Pacha jugea que le conseil était bon. Il chargea donc le bosco, et quelques marins dont il savait le comportement insatisfaisant pendant le voyage, de la surveillance du bateau…

  • Curieux, tout de même, pensa-t-il à voix haute. À quoi bon dérober une barque quand on pourrait arraisonner un trésor… ?

Il nota l’incident dans son journal de bord puis fit dire aux charpentiers d’en fabriquer une nouvelle.

***

Tout à sa joie de débarquer, Jane, accompagnée par O’Reilly, exultait. Elle était heureuse de revenir sur ces terres lointaines, pleines des rumeurs et des légendes les plus folles. Quelque part, se promettait-elle, elle serait la première, perdue au beau milieu d’une jungle inconnue des blancs, à découvrir des animaux fantastiques, des arbres gigantesques, des fleuves et des lacs immenses. Elle rêvait d'un continent caché qu’aucun aventurier n’aurait imaginé.
La Nature savait protéger ses secrets, ne dévoilant que ceux qu’elle voulait bien laisser en pâture à la furie humaine...
A peine sur le port, elle s’enivrait des parfums de l’Afrique. Cette terre rouge et cuivrée brûlait encore des terribles chaleurs du jour. La fournaise se dissipait lentement, comme à regret, dans la nuit qui bruissait de mille et un cris lointains.
Le prélat, lui, regrettait déjà son arrivée ; sa peau grasse et tendre, habituée au triste soleil anglais, était assaillie par des escadrilles enragées de petits moustiques affamés. Un mets de choix dans cette contrée. Il suait d’abondance, amer de cet accueil qu’il n’avait pas imaginé.
Quelques hommes, noirs comme des boulets de charbon, s’approchèrent avec respect, chapeaux de paille à la main, et proposèrent de porter leurs bagages. Ils espéraient quelques pièces, voire un emploi. Chaque endroit ayant son envers, ils estimaient qu’un salaire ou un repas valaient bien quelques arrogances de la part de ceux qui ne savaient rien de la misère absolue…

***

Ils n’avaient plus qu’une dernière étape à franchir avant de se reposer vraiment. Jane savait ce qu’elle devait faire, O’Reilly ne s’inquiéta donc pas outre mesure des formalités auprès des Autorités belges. Il put se consacrer avec véhémence à sa toute nouvelle croisade... Et il avait fort à faire contre les terribles insectes ! Il priait à voix haute, le ton haletant et entrecoupé de syllabes plus marquées que d’autres quand il terrassait enfin un ridicule moustique repu et trop lourd pour s’envoler à temps. Irrité du derme et de l'épiderme, il gesticulait dans tous les sens, dans toutes les postures possibles, ce qui lui valut quelques sourires moqueurs...

Jane se mit tout de suite en quête d’un moyen de transport.
Une diligence, sorte de tombereau mal adapté au déplacement des Européens, mais suffisant pour les fagots de bois en temps normal, fut rapidement proposée pour emmener Jane et le curé à Matadi, là où les attendait un hôtel qu’elle connaissait depuis son enfance. O'Reilly fit un peu grise mine mais Jane fut ravie : avec un peu de chance, le périple ne durerait pas plus de quelques heures.

***

La curieuse remorque, tractée par un vieux cheval, cahotait sur la piste pierreuse. La région était en altitude, même si on l’appelait le Bas-Congo. La température avait sérieusement baissé et Jane s’était calfeutrée dans une chaude couverture de laine. O’Reilly ronflait comme un sonneur, vaincu par les monstres ailés. Il ne tarderait pas à connaître les premiers effets de la fièvre jaune…

La route était en si mauvais état, parfois, qu’ils n’arrivèrent qu’aux premières lueurs à Matadi. Située sur un plateau, apparut alors la longue silhouette de l’Hôtel A.B.C. nimbé d'un voile de brume. Exténuée, Jane n’en demeurait pas moins survoltée. Elle savait qu’on l’attendait.

Et puis elle avait entendu une bonne nouvelle dans la nuit.
Tarzan, qui avait enfin délaissé son costume occidental, avait profité d’un bosquet non vénéneux ni piquant, ce qui fut ardu à trouver dans l’obscurité, pour enfiler son slip vénéré. Couvert de ce symbole unique dans les annales de l’Histoire, il laissa libre cours à sa joie de replonger dans la verdure.
Et Jane entendit retentir longuement le fameux cri du Roi de la Jungle :

Oooh, hi-ho hi-hoo, li-hoo-li-hooo… (ou presque !)

L’Afrique tout entière dut frémir de bonheur.
Jane, elle, ne s'en priva pas.

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