2 - Illumination
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Je me levai tard avec un mal de dos horrible. Pas étonnant, j'étais resté couché une bonne partie de la veille. Dix heures et demie... Vu à quel point j'avais réfléchi la nuit, je n'aurais su dire si j'avais bien dormi ou non.
Petit-déjeuner en vitesse. Là, ce qu'il me fallait faire, c'était attraper mon sac à dos, prendre mon vélo, le trimbaler jusqu'en bas de l'immeuble puis partir vers un magasin spécialisé. J'aurais pu prendre le bus, mais j'ai songé qu'un peu d'exercice m'aurait fait du bien.
A treize heures, j'étais de retour avec deux batteries de téléphone, trois chargeurs de téléphone et un chargeur de pile qualifié de "hyper-rapide", tous neufs et différents. J'ai fait de la rétro-ingénierie sur le tout pendant des heures... Pour les batteries, j'ai rien pu avoir. Il me fallait définitivement plus de connaissances, et j'avais perdu le contact avec le seul gars calé en chimie que je connaissais vraiment. Et des quatre chargeurs... J'ai rien de trouvé de plus. Pour mieux comprendre le fonctionnement d'un chargeur rapide, il faut bien connaître les batteries.
Il me fallait un expert en la matière. J'ai bien failli appeler mon père, mais je ne voulais pas lui annoncer un potentiel renvoi. Alors je contactai le meilleur chimiste de Breakthrough Knowledge : son répondeur se déclencha. Je refis une tentative ; toujours pas.
-Bien le bonjour, cher collègue ! ai-je improvisé après le "bip" sonore. C'est le n°58, du département de Physique, à l'appareil. Dites, j'ai un gros soucis, et j'ai besoin de votre science. S'il vous plaît, rappelez-moi dès que possible.
Je raccrochai l'appel et regardai le fond d'écran de mon téléphone. Qu'est-ce que je pouvais bien faire ? C'est comme réfléchir sur une seule équation à trois inconnues ; quand on a déjà tout simplifié, tout ce qu'il faut pour avancer ce sont des données supplémentaires. Là, une des données qui me manquait, c'était ce rendez-vous informatif avec l'employé n°38 du département de Chimie. Résultat, j'ai encore regardé des vidéos d'ingénierie jusqu'à la fin de la journée. J'avais bien pensé à regarder des podcasts de chimie, mais j'avais des questions précises, et non des généralités.
J'étais crevé. J'étais en train de me préparer à manger avant d'aller pieuter lorsque mon téléphone vibra enfin : un appel. Je décrochai :
-Allô, numéro 58 ? fit la voix dans le téléphone.
-Oui, c'est bien moi.
-C'est Edward Rigo ici. Numéro 38 chez BK. Vous aviez demandé de l'aide ?
-Oui... Déjà, vous pouvez m'appeler Matt.
-Matt ? Très bien.
-Je peux vous appeler Edward ?
-Bien sûr, cette affaire de matricules me tape sur le système. Qu'il y a-t-il ? Aurait-ce un rapport avec votre réunion avec Therier, hier ?
-Comment en avez-vous entendu parler ?
-Quand le patron convoque quelqu'un de cette manière, tout le monde le sait. Le bouche-à-oreille, vous savez.
-Ah, oui... en effet, ça a un rapport avec ma convocation. il a menacé de me virer si je ne trouve rien de jamais-vu d'ici trois mois.
-Comme quoi ?
-Comme n'importe quoi... Une démonstration scientifique, une invention ou n'importe quoi, le seul critère qu'il lui faut c'est que ce soit assez stupéfiant pour attirer la presse.
-J'ai toujours trouvé que Therier n'était pas seul dans sa tête, mais là il fait fort. Que puis-je faire pour vous ?
-Je vais essayer de révolutionner la conception des piles, puisque c'est encore ma seule option pour le moment. Vous n'aurez pas à faire grand-chose, juste à répondre à mes questions, je manque de beaucoup trop de connaissances en matière de batteries.
-Eh bien, j'ai beaucoup de travail ces derniers temps, mais je peux passer un peu de temps avec vous à la cantine pour vous donner des cours. Je déteste Therier autant que tous ses employés, et je refuse qu'il vire un collègue d'une façon aussi honteuse. Il croit qu'on est quoi, ce malade ? Des vulgaires usines à science ? Je vous aiderai, même si ça signifie l'aider à s'enrichir.
-Merci. Si je réussis, je toucherai quelques mots à votre propos et je ferai en sorte que vous ayez une augmentation.
-Vous aurait-il promis quelque chose ?
-Oui, il m'avait promis une place permanente parmi ses employés et une augmentation...
-Faites bien attention, Matt. Therier est sournois et mauvais. Ce ne serait pas la première fois qu'il fait des fausses promesses pour motiver son personnel.
-Vous êtes en train de me dire que quoi que je fasse, Therier va me virer ?
-Peut-être pas. Si vous l'impressionnez suffisamment, il va sans doute vous garder et vous aurez le double de votre promesse. Sinon, il vous virera quand même et s'accaparera de l'exclusivité de votre invention.
-ATTENDS, QUOI ?
-Vous avez bien entendu. Therier est du style industriel ; il veut baigner dans l'argent et il ne reculerait devant rien pour ça.
-Mais qu'est-ce qu'on attend pour lui coller un procès ? ai-je dit, éhonté.
-Il n'y a pas assez de preuves contre lui, et on a aucun témoin. Mais il y a les rumeurs de son ancien boulot, et j'ai passé suffisamment de temps à ses côtés pour savoir qu'il serait capable de faire des choses du genre.
-Bref, fis-je. Excusez-moi, mais je suis très fatigué et j'aimerais être d'aplomb pour vous écouter parler demain... Si vous êtes disponible demain midi, bien entendu.
-Ah, vous voulez commencer dès demain ? Ah, euh... Très bien, je croyais seulement que j'aurais un petit temps de préparation. Demain, ça ira, mais je serais peut-être un peu confus dans mes réponses.
-Ce n'est pas grave, au moins j'aurai une idée. Je vous souhaite une bonne soirée, Edward.
-Mais vous de même, Matt.
Et je raccrochai.
Je mangeai mon repas, pris une douche bien chaude et me jetai sur mon lit. Il me fallait dormir avant cette réunion, le lendemain. Je suis un très mauvais auditeur lorsque je suis fatigué. Etrangement, cette nuit-là, je m'endormis aussitôt.
Moi qui ne fais jamais de rêves, d'habitude ! Dans 99% de mes nuits, je ferme les yeux, espérant le sommeil, me réveillant le matin comme si l'horloge avait subitement sauté un quart de journée... Les autres soirs, je fais des rêves classiques comme tout le monde en a, pratiquement jamais de cauchemars.
Cette nuit-là, j'en ai voyagé, dans le monde de l'Onirisme : En premier, j'ai vu un gars moche et costaud avec des attelles discuter avec un chevalier d'argent et une elfe somptueuse ; Ensuite, un délire de construction d'un lieu sous-terrain secret dont j'étais le commanditaire ; Puis je me voyais en train de forger un objet, rigolant avec une belle dame brune drapée à la romaine de l'antiquité ; dans le quatrième rêve, je tenais une épée de lumière, me dressant bravement face à un démon ; et dans le cinquième, je me trouvais dans un monde étrange aux principes physiques totalement différents, où l'espace se pliait à ma volonté.
Puis je me suis vu moi-même, en train de dormir. Dans ma vision, je m'approchais de ma propre tête, jusqu'à entrer dans mon cerveau. Là, je n'ai plus rien compris. Je me suis retrouvé dans le vide spatial, où j'ai vu de mes propres yeux la puissance d'un trou noir. Je me suis approché à la limite de la singularité, avant de sortir de son orbite en toute tranquillité. Dès que je fus à bonne distance, je me retournai ; au lieu du trou noir, il y avait une sorte d'énergie. Une énergie qui fusa à travers l'espace, fonça vers le soleil, et l'absorba.
J'avais entendu dire que les trous noirs étaient si puissants qu'ils déformaient l'espace-temps autour d'eux ; mais cette déformation n'était rien par rapport à ce que je voyais. Cette force, devant moi, agrandissait les planètes ; dupliquait les soleils ; brisait des quatrièmes murs mystiques vers d'autres dimensions ; tranchait la réalité elle-même comme un couteau dans le beurre. Et cette énergie, elle se trouvait dans les mains de mon moi onirique. Je la manipulais précautionneusement, l'étudiai sous tous ses angles... Aidé par un robot de haute technologie, je forgeai et assemblai une sorte de cage, dans laquelle j'enfermai la chose, qui devint docile, sous contrôle.
Je me réveillai à deux heures du matin, pantelant de sueur. Ce rêve... Pour je ne sais quelle raison, il emplissait l'entièreté de mes pensées. Malgré l'heure, je ne songeai pas une seule seconde à dormir, et sautai littéralement en-dehors de mes draps. Je m'installai sur ma table d'ingénierie, attrapant papiers et crayons, juste pour écrire ce dont j'avais été témoin. Un peu malgré moi, je me mis à considérer et même à étudier cette force mystique. Aucun principe de la physique, que ce soit ceux démontrés par Galilée, Newton ou Einstein, n'aurait approuvé ces visions, pourtant mon corps entier en ce moment même carburait rien qu'avec la force de ma conviction.
J'en étais au point que j'arrivais à avoir des visions. Cette... énergie, que j'avais vue en rêve, je la discernais partout autour de moi, docile comme un mouton. Plus je passais du temps à faire mes notes et mes plans, plus des détails impossibles me parvenaient, comme si une entité me soufflait des réponses. J'en ai fini vers dix heures du matin, lorsque ma faim se fit sentir. J'avais passé tant de temps sur ces convictions, j'avais accumulé tant de détails improbables, que j'étais sûr et certain que cette chose existait ; et, encore plus, qu'il était possible de la maîtriser.
Je me souvins d'Edward. J'attrapai mon téléphone, en train de charger sur mon premier bureau, et l'appelai. Après une attente interminable, j'entendis la voix de son répondeur. Je lui laissai un message :
-Salut, Edward ! Désolé, mais on va devoir annuler ces cours de chimie. J'ai un autre projet en tête, et j'ai l'impression qu'il va révolutionner le monde. Je ne sais pas de quelle manière, je ne sais pas si cela sera une bonne ou une mauvaise chose pour l'humanité, mais j'ai quelque chose. Si tu me prends pour un fou, attends quelques mois avant de juger.
Je raccrochai l'appel et me dirigeai furieusement vers ma table d'ingénierie ; les lettres EMTS étaient écrites en grand sur toutes mes feuilles. J'attrapai un papier titré "Stabilisateur à Energie Matérielle Trans-Spatiale", où j'avais fait le plan de la "cage" que j'avais vue en rêve, et en pris une photo, que j'envoyai à Xenthores par Discord.
Xenthores :
...
wut ?
C'est quoi, ça ?
Thauroji :
ça, mon pote, c'est une révolution.
Xenthores :
J'ai jamais vu un machin pareil... Tu sors ça d'où ?
Thauroji :
De ma tête. J'ai eu une vision, cette nuit.
Xenthores :
ok
Thauroji :
Je suis sérieux, mec ! Cette nuit, j'ai fait plein de rêves bizarres. Et puis... j'ai eu l'illumination.
Il faut juste que tu me fasse confiance. Toi et moi, on peut créer et maîtriser l'Energie Matérielle Trans-Spatiale.
Xenthores :
Mais ça ne fait aucun sens ! Une énergie "matérielle" n'existe pas à ma connaissance... Et qu'est-ce que ça veut dire, "trans-spatial" ?
Thauroji :
Aucune idée. Je ne comprends pas ces concepts non plus. Ce nom est sorti de ma tête, comme une évidence.
Xenthores :
Gars, je crois que ce connard de Therier t'a beaucoup tapé sur le système.
Thauroji :
JE NE SUIS PAS FOU !
Xenthores :
Je te crois, gars.
Thauroji :
Non, tu ne me crois pas ! Je le sais ! Parce que je n'y crois pas moi-même !
Enfin, non, c'est pas ça que je voulais dire...
Je crois à cette énergie, cette E.M.T.S., mais ce dont je ne crois pas c'est le moyen avec lequel je l'ai découverte.
Xenthores :
Il faut vraiment que tu te reposes. Tu ne sais même pas ce que c'est, et tu présentes ça comme une révolution ?
Thauroji :
Si, je sais ce que c'est ! Je ne peux te l'expliquer qu'en vocal. Trop long à écrire, ça prendrait au moins trois pages entières.
Je ne sais pas totalement ce qu'elle fait, mais je l'ai vue de mes propres yeux trancher la réalité.
Xenthores :
Mais t'es complètement dingue en fait !
Thauroji :
Ecoutes, mec... Je sais que cela peut paraître extravagant, impossible, fou...
Mais j'ai des raisons de croire que cette énergie va bouleverser le destin de l'humanité entière.
Xenthores :
De quelle façon ?
Thauroji :
Aucune idée...
Xenthores :
Et tu crois que je vais te suivre pour ça ? tu es probablement en burn-out, prends un ou deux jours de congé et on verra après si tu t'es calmé.
Thauroji :
JE NE ME CALMERAI PAS, XENTHORES !
Ce n'était peut-être qu'un rêve, mais je n'ai pas de doutes... J'ai la CERTITUDE que cette chose peut être créée.
Je ne sais pas exactement ce qu'elle fait, je ne sais pas si elle peut être utilisée en tant qu'arme, je ne sais pas si ça pourrait engloutir la terre, mais je sais qu'elle peut être facilement domptée, maîtrisée.
Je ne te demande pas de me faire confiance, Xenthores. C'est la première et peut-être la dernière fois que je te demande de travailler ensemble. Je t'en pries, mec, tu es mon seul espoir. Toi seul, parmi ceux qui ne voudraient pas me jeter dans un asile, a suffisamment de connaissances en ingénierie.
Xenthores ne répondit pas. Je renchérit :
Mec, cette découverte pourrait changer radicalement nos vies. Si ce truc se manipule comme je le pense, on pourra voyager des milliards d'année-lumières en un instant, combattre la force des trous noirs, parer des sursauts gamma et contenir les Bosons de Higgs ! Cette énergie manipulerait l'espace à sa volonté, imagine tout ce qu'on pourrait faire avec !
Gros silence. Pendant cinq minutes, j'observai attentivement le dessus de la barre d'écriture de Discord, espérant voir le fameux "Xenthores est en train d'écrire..."... Mais rien ne vint.
Désespéré, sans motivation, j'allai sur youtube, et me perdit dans le flux des vidéos. J'étais en train de regarder une compilation marrante sur les animaux de compagnie, quand une notification de Discord se fit entendre. Xenthores avait envoyé un message :
Tu sais quoi ? OK. Si t'es aussi convaincu que ça, c'est qu'il y a une raison. Je t'appelle, et tu pourras m'expliquer. Je vais faire de mon mieux pour t'aider.
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