4 - La machine
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Trois mois... C'est le temps qu'il fallut pour que toutes les pièces arrivent... Heureusement, tout n'est pas arrivé en même temps ; on a d'abord reçu les outils, dont les fers et chalumeaux à souder (et encore, les bonbonnes de gaz pour les chalumeaux arrivèrent bien plus tard), puis les composés les plus basiques (c'est-à-dire carte-mères, circuits électriques, ...). Ce qui arriva à la fin, c'étaient en particulier les choses encombrantes nécessitant beaucoup de main-d'œuvre, donc par exemple les tôles en tout genre, celle qu'on ne pouvait pas plier/courber par nous-même.
C'est étonnant qu'on ait pu se procurer tout ça... Je veux dire, autant de matériel ne pourrait-il pas être louche aux yeux de l'état ? Après, je sais qu'il existe des moyens pour se procurer des armes à feu sans que personne ne le sache... J'espère juste que Witz et nous-même n'allions pas avoir de problèmes à cause de ça.
Donc sur ces trois mois, nous avions pu commencer à travailler dès la seconde semaine. Xenthores et moi-même étant peu expérimentés, les choses allaient très lentement... J'appelai notre informaticien, qui nous passa un peu de soutien logistique, mais pour le moment il ne pouvait pas faire grand-chose. Pour qu'il y mette du sien, le mieux c'était d'attendre que la machine soit terminée au trois quart, donc évidemment nous ne pouvions pas encore solliciter son aide. Quoi qu'il arrive, ce genre de machine a besoin d'un peu de programmation.
Les jours passaient, et ma concentration ne devenait que plus forte. Je mâchonnai des cure-dents plus que jamais ; généralement, avant d'aller manger, je devais me gargariser pour enlever toutes les échardes humides, restes écrasés de ces petits bâtonnets pointus, qui s'étaient infiltrés entre mes dents.
Un certain temps après le début des travaux, je dénichai une boutique qui vendait encore des petits bâtons de réglisse. C'est à ce magasin que je me réapprovisionnai de manière hebdomadaire en trucs à mastiquer ; des bâtons de réglisse, c'est sain et bien moins dangereux que des cure-dents !
Le temps que les derniers matériaux arrivent, je crois que notre progression n'était pas bien grande... Nous avions composé les systèmes principaux, tout au plus. Le gros problème vient de neuf pièces que nous n'avions pu nous procurer : même avec les plans à l'appui, personne n'a l'air d'avoir entendu parler de tels systèmes. Basiquement, c'étaient neuf structures (dont six identiques) de dix centimètres cube de volume chacune, composés d'appareils plutôt mystérieux... Comme personne ne voulait les faire à notre place, il fallut les créer nous-même de A à Z, ce qui prit BEAUCOUP de temps.
Cependant, rien ne prit autant de temps que la mise en place de la structure de l'appareil. Avant de terminer, il nous fallait nous arranger avec les tôles. Aucun de nous deux n'avait quelle compétence que ce soit pour souder ces machins. Le résultat ? Une structure aux joints précaires, qui pouvait potentiellement s'effondrer à chaque instants. Mais c'était mieux que rien.
La structure faite, j'appelai Atherach pour qu'il travaille sur le futur programme de la machine. Il est arrivé comme ça, un après-midi, chez Xenthores, et je l'ai serré dans mes bras tellement j'étais content de le revoir. On a pris un apéro tous les trois, puis mon meilleur pote s'est mis à étudier ce qu'on avait déjà. Cette machine prenait peu à peu l'aspect d'un disque, avec six sorte de petites machines à la circonférence, qui avaient l'air de pouvoir projeter quelque chose au centre. Bon, pour le moment, il s'agissait d'une coque vide, donc rien ne marchait encore, mais on se demandait tous les trois ce que pouvait bien être cette étrange structure, à quoi elle servait.
Des problèmes qui se profilaient encore devant nous, il y en avaient deux : en premier, comment on allait s'arranger pour les neuf pièces inconnues, et en second... Quel pourrait être notre source d'énergie ? Car plus on avançait, plus je me doutais qu'on puisse alimenter une telle mécanique avec le réseau électrique.
Chaque matin je me levais plus motivé. Et de la motivation, il en fallait ! Combien de temps nous ont pris ces fameuses neuf pièces, encore ? Quatre mois ? Cinq ? Ou bien était-ce six... Je ne sais plus. Mais "on en a chié", pour reprendre les mots de Xenthores. Il nous fallait du temps pour en manufacturer une seule, et on s'est trompé au moins dix fois au total. Toujours la même chose : faire les circuits ; achever un système ; se rendre compte qu'il est mal fait et qu'il ne marcherait pas ; recommencer ; foirer de nouveau ; ...
Ce fut une telle satisfaction quand ces neuf-là furent enfin construits que Xenthores prépara une fête en cet honneur, à laquelle il invita Atherach et Witz. Atherach en profita pour affiner ses observations et avoir une meilleure idée du programme dont nous avions besoin.
Sept mois avaient passé depuis que Therier m'avait lancé le défi. J'avais été obligé de refaire tout le trajet vers B. K., juste pour que mon ancien patron m'engueule inutilement et me vire, avant de prendre le chemin du retour, un quart d'heure plus tard. Je déteste ce mec.
Le huitième mois, on commençait à voir le bout du tunnel. Il ne restait plus qu'à faire quelques réglages, relier les différents systèmes, terminer le programme et l'insérer.
Tout cela, ce fut réglé en deux semaines. Notre travail achevé, Xenthores et moi nous sommes affalés sur le divan, épuisés. J'étais satisfait, lui semblait perplexe.
-Bon, gars, c'est terminé, fit mon pote. Il reste plus qu'à alimenter ce truc. Tu sais ce que ça fait, maintenant ?
-Aucune idée. Mais j'ai un bon pressentiment. Je n'ai pas l'impression, je SAIS que ça va marcher, quoi que ça fasse. Mais, comme tu dis, il faut alimenter tout ça...
-Tu sais, on a arrangé le tout pour que ça puisse supporter le 220 volts... On a déjà le câble d'alimentation. Vas-y, c'est toi qui a imaginé ce machin, c'est toi qui aura l'honneur de l'allumer.
-Mais c'est toi qui a fait la plupart du boulot d'ingénierie ! Je ne veux pas être tout seul à mettre la prise. Viens, on la met à deux.
Xenthores a soupiré, puis s'est levé du divan avec moi. L'air sec et chaud du garage de mon pote ne convenait pas tant à un événement historique comme celui-ci, mais à moi il me seyait. C'était une ambiance calme et douce, portant des odeurs de pneus et de parfum datant encore de l'époque de l'ancienne propriétaire.
Le port d'alimentation produisit un "clic" sonore quand il pénétra dans la prise électrique. Rien ne se passa.
-Ben... Et alors ? m'interrogeai-je.
-Le bouton d'alimentation n'est pas activé, Thor'.
-Ah oui, très juste.
J'appuyai sur le bouton... Les lampes du garage grésillèrent alors que l'écran de la machine s'alluma.
-Aïe, le réseau électrique a pas l'air d'apprécier, remarqua le pyromane.
Je ne fis pas attention. Le programme d'Atherach était en train de se lancer, je le voyais par le biais de l'écran. Les protocoles se lançaient un par un à une vitesse folle, et je captai le terme "Sucess" de nombreuses fois sur le texte défilant. Lorsque cela s'arrêta, la formule "Enable ?" apparut. Je tapai "Yes" sur le clavier intégré... Et les lumières pétèrent.
-Nom de Satan ! proféra mon pote, qui prit son téléphone portable, afin d'activer la fonction "lampe-torche" et de monter les escaliers.
Je voulus aussi prendre mon téléphone pour m'éclairer, mais je n'en eus pas besoin...
-Tous les systèmes de la maison ont cramé ! hurla Xenthores pour se faire entendre du rez-de-chaussée. C'est une chance qu'un feu ne se soit pas déclaré ! Attends... Dans la maison d'en face, les voisins s'agitent... C'est une blague ? Leur électricité a l'air d'être coupée aussi !
-Ferme un peu ta gueule et magne-toi au sous-sol ! réussis-je à articuler.
-Quoi ? Un truc grave ?
Je ne répondis pas. Je n'entendis pas les pas empressés de mon ami quand il descendit en vitesse pour voir si j'allais bien. Je n'avais même pas remarqué que mes jambes avaient cessé de me porter, me laissant tomber sur les fesses sur le sol froid du garage.
Xenthores n'avait pas vu l'activation de la machine... Cette panne d'énergie dans le secteur, c'est comme si la chose qu'on avait créée était en train d'absorber toute l'énergie dont elle avait besoin... Des six petites machines à la circonférence du cercle étaient sortis six lasers blancs, qui se rejoignirent au centre, pour former une boule gélatineuse... Une sorte de sphère d'énergie qui se mit à s'allonger, s'aplatir et s'étendre, pour recouvrir toute la surface vide du cercle. Nous avions devant nous un anneau, contenant en son centre la fameuse E.M.T.S., une énergie transcendant l'espace et le temps, sous une forme gélatineuse et fluide, apparemment contrôlée. Une chose si brillante que nous voyions comme en plein jour.
Xenthores s'était arrêté en bas des marches, bouche bée. Il n'osa même pas bouger d'un pouce quand je me relevai et que je m'approchai progressivement du halo blanc. Je le touchai du bout des doigts, apeuré par le fait que ce truc aurait pu me désintégrer la main. En fait, cette énergie n'était ni brûlante, ni froide. Au contact, je ne ressentais qu'un léger picotement. Je me lançai, et plongeai ma main entière. Je la ressortis deux secondes plus tard, et Xenthores explosa de surprise.
-GARS !
-quoi ?
-TA MAIN !
-Elle n'a rien, ma main !
-EXACTEMENT ! JE NE LA VOYAIS PLUS QUAND TU L'AS PLONGÉE DANS CE TRUC !
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
Xenthores me fit un signe, comme pour dire "Attends : regarde", puis s'avança vers l'anneau avant d'hésiter à y plonger quoi que ce soit. Il se lança, et mis son bras entier dans la chose. Je fus plus stupéfait que jamais quand je découvris que son bras entier avait disparu, comme avalé par cette énergie matérielle. Puis il retira vite son bras, rassuré qu'il pouvait toujours contrôler sa main, qu'il n'avait pas subi d'effet secondaire.
-MAIS QUOI ? m'écriai-je.
-Tu crois que ce truc est capable d'avaler la matière pour la stocker ?
-Si c'est ça, c'est génial... Encore un test et on sera cernés...
J'ai mis mes deux bras dans l'énergie, et j'ai essayé de bouger mes mains. Je découvris que, même à travers l'énergie, je pouvais toujours bouger mes doigts et sentir des choses avec. Tout ce que je ressentais de louche, était le fameux picotement là où mes bras passaient au-travers de la chose lumineuse.
-Tout corps conserve ses fonctions à l'intérieur, je sens encore mes bras... Voyons voir à quoi ça ressemble à l'intérieur...
Je soufflai un bon coup avant de plonger mon visage dans la matière blanche. J'écarquillai les yeux à la vue du spectacle, eut un mouvement de recul et me laissai violemment tomber sur le divan.
-Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a, Thor' ! Dis quelque chose !
-C'est... C'est merveilleux... C'est... ENCORE MIEUX QU'UN DISPOSITIF DE STOCKAGE ! Xenthores... Je... Je n'ai pas les mots...
-Dis-moi juste ce que tu as vu. Tu peux le décrire, au moins ?
-Bien sûr, que je peux le décrire... C'était un décor simple... Une forêt... Une forêt garnie, au sol agréable... Les oiseaux y chantent, le soleil y règne... Quand j'ai passé ma tête, un cerf était en train de s'enfuir...
-Mais... C'est banal ?
-ça le serait, pour n'importe qui... Mais pas pour nous. Il s'agit d'un autre lieu, Xenthores. Ce qu'on a inventé, c'est pas un ridicule dispositif de stockage... C'est... C'est un portail.
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