Le fumoScribe
Il ajuste ses lunettes écaillées et, avec un sourire bienveillant, se tourne vers l’assemblée qui le regarde avec curiosité. « Mesdames et messieurs, avant de vous présenter ma merveilleuse machine, laissez un passage à mon très cher Arthur qui amène la pièce centrale de mon FumoScribe ». Je m’avance timidement jusqu’à lui, en tendant le précieux cylindre. Il l’insère. Ses grandes mains s’affairent sur des manettes, le montage prend vie. Il tient une manivelle et se tourne vers son public avec un sourire en coin. Le spectacle commence.
« Mesdames et messieurs, merci pour votre patience. Pour la première partie de ma démonstration, je vous demande d’ajuster vos lunettes et autres binocles puis de regarder ce drap noir. » Des bruits s’échappent de l’estrade, les pistons s’agitent de plus en plus vite. Les tuyaux tremblent. Soudain, de la vapeur sort d’un cône, identique à ceux que l'on trouve sur les phonographes. Le murmure d’admiration des spectateurs couvre le son des sifflements et des cliquetis. Une légère buée s’élève doucement, formant des mots flottants « Bienvenue à l’Exposition Universelle ». Il poursuit « Mais, mesdames et messieurs, ce n’est que le début… ». L’impatience grandit. Les plus curieux tentent de se placer le mieux possible.
Le professeur, le visage éclairé par les lueurs vacillantes des lampes électriques, continue sur un ton presque dramatique « Mais, vous n’avez encore rien vu… ». Au premier rang, un jeune poète aux traits délicats, tenant fermement un manuscrit, s’avance timidement. L’inventeur l’accueille avec un clin d’œil complice. Il l’invite à déclamer ses strophes devant l’assemblée. Une voix douce et mélodieuse s’élève dans un silence de cathédrale. Ses mots, chargés d’émotion et de métaphores, semblent capturer l’essence même de la soirée, entre rêves d’avenir et contemplation du présent. Sa main tremble légèrement alors qu’il termine, chaque syllabe laissant derrière elle une empreinte dans l’esprit de ceux qui écoutent. Le professeur actionne une manette et extrait le cylindre de cuivre où sont gravées les paroles du poète. Il l’insère délicatement dans un autre compartiment du FumoScribe. Un clic, et voilà le tube qui commence à tourner, entrainé par les pistons, accompagné par le chant des tuyaux crachant de la vapeur en cadence.
Soudain, une fumée blanche s’élève, et tourbillonne lentement dans l’air comme des nuages libérés de leur prison mécanique. La foule retient son souffle. Les paroles, capturées quelques instants plus tôt, prennent forme dans des volutes bleutées. Chaque vers flotte, suspendu, d’abord indistinct, puis de plus en plus net à mesure que son image s’épaissit. Puis il s’évapore, laissant la place au suivant. Les phrases s’enroulent, se déroulent, créent des messages éthérés au-dessus de la machine. Le texte du jeune homme, maintenant visible dans l’air, semble danser au rythme du vent, chaque mot se volatilisant doucement après avoir révélé sa beauté fugace. Les nuages, d’abord intenses, s’évanouissent, emportant avec eux les pensées du poète. La scène s’enveloppe alors d’une légère brume.
Les spectateurs, bouche bée, suivent du regard les dernières arabesques qui se dissipent dans le ciel. Elles entrainent avec elles la magie du moment. Le silence retombe sur l’assemblée. Un silence lourd de signification, où chacun entrevoit la nature éphémère des mots, destinés à se dissoudre. Après avoir observé cette scène, je me sens profondément touché. Le FumoScribe a réussi à capturer la poésie, mais aussi à illustrer sa fugacité. La leçon est claire : les paroles s’envolent, comme ces volutes de fumée, mais les écrits, eux, restent gravés dans le temps, immortalisant les pensées et les rêves de ceux qui les retrouveront dans les années à venir.
Annotations
Versions