Cauchemar
Ses paupières semblaient peser une plombe, sa gorge lui brûlait, comme une lame chauffé à blanc, son mal de crâne lancinant lui donnait la nausée. Elle aurait préféré rester inconsciente, au chaud, au calme, dans sa bulle irréelle.
– Réveillez-vous ! Je sais que vous m'entendez ! Réveillez-vous ! Une voix féminine lui martèla la caboche, chaque syllabe prononcée par son interlocutrice semblait lui fêler le crâne davantage.
– Hum ! Dormir... ces deux mots-là lui demandent un effort surhumain. En tant qu'infirmière expérimentée, elle vit cela comme une bonne nouvelle.
– Allez debout ! Vous n'avez plus beaucoup de temps !
Mouna cligna difficilement des yeux. Quand elle réussit à les ouvrir, la lumière lui brûla la rétine. Deux gros néons se dressent effrontément face à elle. Elle inclina la tête et perçut une silhouette féminine à contre-jour. Sa vision est floue, elle essaya de se redresser, mauvaise idée. Son estomac lui fit part de son mécontentement. Elle restitua la bile acide qui lui enflamme davantage la gorge.
La femme lui tendit un haricot pile au moment du point de non-retour. Bon, elle n'avait plus de doute, un bon trauma crânien. Son interlocutrice anticipa ses besoins et lui redressa un peu le dossier du lit grâce à la "déesse Télécommande qui fait tout".
Au bout d'une à deux minutes, Mouna arrive enfin à observer la femme sans voir double. Hourra pour moi ! pensa-t-elle avec ironie.
Une nana d'une soixantaine d'années, le visage creux, des yeux bleus en amande et les cheveux grisonnants la regardait d'un air solennel.
– Bien ! Commençons ! Qui êtes-vous ?
– Hein ?
– J'ai dit : qui êtes-vous ? Vous parlez français ? Do you ...
– Je comprends très bien.
Sa bouche est toute pâteuse, elle articula difficilement et avait du mal à déglutir. Elle se rendit compte alors de son environnement, on aurait dit un hôpital militaire, ou souterrain. Quelque chose de froid et de lourd lui serrait les poignets et les chevilles. Dans un léger tintement, elle découvrit des menottes reliées par des chaînes.
– Je ne comprends pas où je suis et qui vous êtes vous ? Pourquoi suis-je attachée ? Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ? Que ...
– Je vous répondrais dès que vous aurez fini de répondre à mes questions.
– Mais c'est du délire ! Je ne vais pas vous dire quoi que ce soit tant que je ne saurais pas qui vous êtes et pour qui vous travailliez. On est en France et j'ai des droits tout de même.
Aïe ! La colère lui provoqua des décharges électriques dans le crâne, sa tête tourna. Elle essaya de se recentrer sur sa respiration et compta jusqu'à dix.
La femme lui enserra soudainement le cou et lui envoie un regard glacial. Elle comprit dans celui-ci qu'elle la tuerait de sang-froid sans aucune difficulté. Elle chercha l'air comme un poisson hors de l'eau, elle se scia les poignets à force de lutter contre les menottes. Au moment où la jeune femme commencait à voir des taches noires défiler devant ses yeux, la psychopathe la relâcha.
Elle lui laissa dix secondes pour reprendre son souffle puis lui donna un dernier avertissement.
Mouna craqua, sa vie est devenue un enfer en quelques instants. Les larmes chaudes débordèrent, sa voix chancella.
– Je m'appelle Mouna Laderman, j'ai 31 ans et je suis née à Toulouse. Je suis infirmière depuis 10 ans et je me rendais à une réunion pour une formation professionnelle...
La femme ne bougeait pas d'un cil et attendait qu'elle poursuive.
– Je sais que cela peut paraître absurde, mais je me suis perdue dans les couloirs. Ensuite, le gros molosse m'a poussé et enfermé dans une pièce. J'ai essayé de trouver une issue jusqu'à ce que je me retrouve cet étrange endroit. Après j'ai vu ces personnes discuter et ... oh mon dieu ! Ils ont parlé de choses affreuses !
Se rendant compte qu'elle en avait peut-être déjà trop dit et qu'elle pouvait se tromper d'interlocuteur elle se tût soudainement.
Une violente décharge électrique lui claqua la jambe. La morue tenait une baguette reliée à une prise par un fils électrique et observait la jeune femme avec un sourire malsain et un œil lubrique. Mouna comprit que cette tarée prenait son pied à lui faire peur et mal.
Elle était dans la merde jusqu'au coup. Attachée à ce lit face à cette perverse la panique s'empara d'elle.
La folle l'attrapa par la gorge pour l'immobiliser et lui colle un énorme scotch sur la bouche.
Plus Mouna s'agitait plus la femme semblait apprécier.
Soudain les décharges pleuvèrent sur toute sa chair. Sous les pieds, entre ses cuisses, son ventre, ses doigts. Le corps de Mouna se cabra, tendu et tremblant comme une feuille. Puis, elle se mit en pilote automatique, comme elle appelait ça.
Mouna avait vécu des choses très difficiles et lorsqu'elle ne pouvait plus les supporter, elle s'isolait dans sa bulle imaginaire. C'est comme si elle déconnectait son esprit à son corps.
Cet interrupteur lui avait plusieurs fois sauvé la vie. Elle pensait à une île déserte où son âme se reposait. Elle était si bien. Un bruit sourd résonnait au loin alors qu'elle admirait son environnement onirique. Puis cette voix grave fut plus forte, plus insistante. Mouna se rappelait qu'elle ne devait pas rester dans sa bulle trop longtemps. Plus elle attendait, plus il lui était difficile de revenir à la réalité.
Comme si son esprit était relié à son corps par une chaîne psychique, elle reprit progressivement le contact avec son corps.
Elle appréhendait la souffrance de son organisme, mais fut soulagée de constater que seul un profond épuisement subsistait.
Elle ouvrit les yeux et eut le choc de sa vie. Elle n'avait jamais vu rien d'aussi beau et sauvage sous ses yeux. Ce regard qui la fixait semblait lui transpercer l'âme. C'est comme s'il pouvait voir à travers elle. Elle ne put s'empêcher de retenir ses larmes face à « lui ».
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