Nouvelle vie
Le chirurgien lui avait administré un calmant. Visiblement il avait fait effet, car elle planait complètement. Elle se souvenait vaguement de certains détails. On l'avait installé sur un brancard et on lui avait posé un masque sur le visage. Au bout de quelques respirations, elle s'était endormie une première fois. Elle s'était à moitié réveillée dans une autre pièce avec du personnel inconnu, tous masqué, en tenue de bloc. Ça lui faisait bizarre de se retrouver de l'autre côté, en tant qu'ancienne infirmière.
Elle n'aurait su dire si le lieu où elle se trouvait désormais était dans le même bâtiment que celui où elle avait séjourné ces dernières semaines.
Akira la rassura en lui expliquant qu'ils allaient l'endormir une nouvelle fois et qu'ils allaient procéder à l'intervention. Lorsqu'elle se réveillera, elle aurait un bouton pour la morphine dans la main, elle n'aurait qu'à presser pour se soulager si besoin.
Le bruit de son souffle, lent et régulier la réveilla en premier. Elle cligna doucement les yeux pour s'habituer à la lumière. Elle mit quelques minutes à se rappeler où elle se situait. Une infirmière aux beaux yeux verts lui parla calmement. Elle portait toujours un masque chirurgical, ce qui faisait ressortir son grand regard.
– Bonjour, vous êtes enfin réveillée. L'intervention s'est parfaitement déroulée et votre corps réagit particulièrement vite. Les principales modifications sont terminées. Vous avez encore besoin de repos et d'antidouleur pour l'instant.
La jeune femme avait la bouche pâteuse et la gorge douloureuse. L'infirmière la redressa à demi et lui fit boire de l'eau à l'aide d'une paille. Puis elle lui donna une pastille pour la gorge. Elle lui nettoya les yeux collants avec une compresse mouillée. Sophia essaya de parler, mais sa gorge était encore trop enrouée.
– N'essayez pas de parler trop pour l'instant. Vous avez été intubé durant l'intervention, par sécurité. Vous pourrez voir les résultats de l'intervention dans quelques jours avec l'accord du docteur. Pour l'instant vous avez des œdèmes un peu partout, comme une boxeuse en fin de match. Demain nous ferons un essai de nourriture liquide. En attendant, vous avez une sonde naso-gastrique et les perfusions pour vos nutriments. Je vais vous examiner et vérifier vos constantes.
Enfin l'infirmière lui fit un examen neurologique. Elle vérifia si elle pouvait serrer les deux mains, bouger ses orteils, si elle avait des réflexes archaïques, ses pupilles étaient de mêmes tailles et réagissaient parfaitement. L'infirmière la rassurait au fur et à mesure de l'examen. Elle devait savoir que Sophia avait des connaissances médicales.
Les jours qui suivirent furent très pénibles. Mais Sophia avait de moins en moins mal. Des vessies de glace avaient été posées sur toutes les parties du corps les plus œdématiées, cela avait diminué rapidement le symptôme et les douleurs.
Enfin arriva le jour de visite d'Akira. Sophia était moins douloureuse et les calmants étaient plus légers. À part quelques courbatures et un mal de crâne, elle se sentait mieux et pouvait manger normalement et se lever pour prendre sa douche. Ce qui n'était pas évident, car elle était couverte de bandages sur la moitié du corps.
Le chirurgien lui posa quelques questions puis il découpa les pansements avec délicatesse. Il l'examina puis il revint quelques instants plus tard avec un miroir, qu'il lui donna.
La jeune femme prit une grande inspiration et leva le miroir d'une main tremblante. Deux yeux verts la fixaient et non plus noisettes. Ils étaient plus en amande qu'avant, ses pommettes étaient plus seyantes et son nez plus fin. Son visage était plus rond. On aurait dit une poupée russe. Et enfin la peau de son visage, son cou et le reste du corps ne portaient plus aucune trace de ses cicatrices ou brûlures. Elle resta plusieurs minutes à se découvrir en silence puis questionna Akira.
– Je suis pas mal, non ? J'ai vraiment l'air d'une fille des pays de l'Est.
– Je suis très satisfait du résultat. Votre corps s'est parfaitement adapté. Vous pourrez rejoindre votre chambre dès demain. La suite vous appartient.
– Je vous remercie pour ce que vous avez fait. Il va me falloir du temps pour me faire à tous ces changements dans ma vie et aussi à tourner la page. Et je sais que j'ai bénéficié d'une chance inouïe. Je ne vais pas tout foutre en l'air, vous avez ma parole.
Akira lui sourit légèrement, posa la main sur son épaule et sortit en silence.
Le lendemain, elle rejoignit sa chambre dans un fourgon, les yeux bandés. Elle roula un bon moment. Ce qui lui fit prendre conscience qu'elle était bien éloignée de sa chambre.
La voiture s'arrêta et quelqu'un monta à ses côtés. Ève lui enleva le bandeau et la prit dans ses bras. Sophia se mit à pleurer, sans trop savoir pourquoi. Après quelques minutes à pleurer sur l'épaule de son amie, elle comprit qu'on fond d'elle, elle connaissait l'origine de sa tristesse. Elle lui disait au revoir.
– Tu es prête Sophia. Tu ne le sais pas encore. Il faut que tu apprennes à te faire confiance et à y aller petit à petit.
– Je ne sais pas.
– Fais-toi des amies, sympathise avec tes voisins, travaille dur et ta vie défilera vite. Profite de chaque instant et va toujours de l'avant. Soit tu réussis, soit tu apprends.
C'était le leitmotiv de son amie. Elle la prit une dernière fois dans les bras et lui dit adieu. Lorsqu' Ève sortit de la voiture, Sacha rentra pour lui donner ses derniers conseils et lui dire adieu également. Puis il lui donna une mallette avec tous les papiers dont elles pouvaient avoir besoin, ainsi qu'un grand sac à main bleu Roy. Dedans, elle avait un portefeuille, de la monnaie, sa carte bleue, son passeport avec sa nouvelle photo, un portable et son chargeur, une montre, du maquillage et tout un tas "d'indispensables pour une femme", selon Sacha. Sa valise était dans le coffre. Cependant, Aidan n'était pas venue lui dire adieu, un pincement au cœur la toucha plus qu'elle n'aurait voulu.
Elle roula encore deux heures et elle s'arrêta devant un vieux ranch au bord d'un lac. Les panneaux qu'elle avait vus indiquaient les Laurentides, une province du Québec. Elle était donc à des milliers de kilomètres de son ancienne vie. Dans le trou du cul du monde, pensa t 'elle.
Elle descendit de la voiture et admira le paysage. Le vent frais chargeait un parfum de terre, de sapin et de neige. Le soleil était bientôt couché. La montagne et les arbres se reflétaient dans l'eau. Le chauffeur sortit sa valise et lui tendit une carte de la région ainsi qu'un dépliant contenant tous les lieux commerciaux et touristiques de la région. Il la salua et repartit dans sa voiture.
Sous le porche, un vieux pick-up était garé. Elle avait aperçu des clés Ford sur son trousseau. Elle monta les marches en bois et ouvrit la porte de sa maison.
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